2013-05-25

 

Philippe Aubert de Gaspé, fils, auteur frénétique romantisant ?

De passage aux Ulis en banlieue de Paris, j'ai assisté à une réunion du club local de science-fiction, fantastique et cie à la médiathèque, animé par le sympathique Sylvain Fontaine.  Celui-ci a abordé le sujet du roman noir, ou roman gothique, en citant un ouvrage récent, La littérature frénétique (2009), du critique canadien Anthony Glinoer.  L'ouvrage a bénéficié d'une large réception, doont une critique dans Le Monde.  Son auteur inscrit le roman gothique dans une histoire longue et identifie en particulier des épigones français qui, après avoir imité la première vague du roman gothique caractérisé par sa prédilection pour le macabre et le surnaturel, ses lieux étranges, son choix de cadres géographiques souvent empruntés à l'Europe du Sud, ses péripéties ténébreuses et ses mises en scène aussi pathétiques que cruelles, ont adopté les caractéristiques du nouveau roman gothique exploré par des auteurs qui s'intéressent plus au personnage du méchant.  Émilie Pezard le résume ainsi dans cette critique de Glinoer :
Il en va tout autrement du « roman frénétique romantisant » étudié ensuite, qui correspond au « genre frénétique » visé par Nodier dans ses articles. Ce « nouveau type de roman frénétique » se développe à partir de 1818, sous la quadruple influence de The Vampire de Polidori, Frankenstein de Mary Shelley, Melmoth ou l’homme errant de Maturin et Jean Sbogar de Charles Nodier. La principale différence avec le type précédent réside dans « un type nouveau de protagoniste ». Alors que le « roman radcliffien » — assimilé ici, semble-t-il, au « roman frénétique classique » — « n’envisageait l’histoire que sous l’angle de la victime », les romans frénétiques romantisants « font ressortir la personnalité du bourreau ou du justicier ».
Par conséquent, si le roman gothique classique s'était imposé entre 1764 et 1818, avec des auteurs comme Walpole et Radcliffe, les années 1820 voient apparaître, y compris en français, des romans plus complexes ou plus ambigus.  Du coup, ceci rapproche chronologiquement le roman L'Influence d'un livre (1837) de Philippe Aubert de Gaspé, le jeune, des auteurs de cette seconde période de même que le choix d'un personnage principal alchimiste et détraqué dans L'Influence d'un livre apparenterait celui-ci aux auteurs en question.  Un tel rapprochement, à la fois chronologique et thématique, permettrait de mieux comprendre la nouveauté radicale de l'ouvrage aux yeux des lecteurs canadiens contemporains tout en conférant au texte une modernité nouvelle.

C'est à tout le moins une hypothèse qu'il faudrait confirmer, mais elle aurait pour intérêt d'enraciner ce premier roman canadien-français dans une veine littéraire plus récente que celle du roman gothique invoqué le plus souvent — sans parler des interprétations plus biographiques ou allégoriques, comme celle de Louis Lasnier dans Les Noces chymiques de Philippe Aubert de Gaspé dans L'Influence d'un livre (2002).  Outre la proximité dans le temps et dans le thème, il serait sans doute envisageable de glaner des indices dans les allusions et références du texte.  Les exergues des chapitres combinent des citations de plusieurs auteurs et plusieurs époques.  Parmi les plus récentes, il y a l'extrait du poème « Le Départ » de Casimir Delavigne (1793-1843), publié dans Les Messéniennes en 1835 mais dont la sortie première pourrait remonter aux années 1820.  Parmi les plus anciennes, il y a celles de Shakespeare, mais aussi celles de Thomas Otway (1652-1685) ou de Crispin Médecin, une comédie du XVIIe siècle de Noël Lebreton de Hauteroche (1617-1707).  Les sources des citations des dénommés Bertaud et Gratot restent à déterminer, toutefois...

Libellés : ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?