2012-06-14

 

Pern et les pesticides

Et si Rachel Carson avait inspiré Anne McCaffrey ?

Dans Silent Spring, Carson décrivait entre autres l'abus de pesticides issus de la chimie organique d'après-guerre pour s'en prendre aux nuisibles, microscopiques ou non, et aux mauvaises herbes.  Elle faisait aussi allusion aux profits retirés de cette nouvelle industrie par une poignée de grandes compagnies.

Dans le monde de Pern tel qu'on le découvre au début de la série, une petite classe féodale profite sans vergogne de ses privilèges acquis en chevauchant des dragons pour s'en prendre à des nuisibles extraterrestres.

Dans le courant de la série, on découvre que des larves dans le sol seraient capables de détruire les « fils » mortels venus de l'Étoile rouge tout aussi efficacement que les chevaliers de dragons cherchant à calciner ces même fils au milieu des airs.

Ceci rappelle le contraste dressé par Carson entre l'usage de pesticides toxiques (aldrine, DDT, etc.) pour venir à bout d'un petit scarabée japonais et l'usage d'une maladie (« milky spore disease ») provoquée par la bactérie Bacillus popilliae capable d'infecter les larves de ce scarabée.  La maladie en question faisait presque aussi bien que le pesticide, tout comme les larves de Pern sont capables de contrer les terribles « fils » avec une efficacité comparable à celle des dragons...  Ce qui ferait de toute l'épopée de Pern une des rares œuvres de science-fiction directement inspirées par le livre fondateur de l'écologie moderne.

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2012-06-13

 

Rompre le contrat social

Les étudiants québécois sont bêtes.  De leur manque de solidarité à leur jusqu'au-boutisme appuyé sur une minorité de grévistes, de l'utilisation du salut nazi à la tolérance intermittente des casseurs, les exemples n'ont pas manqué au fil des derniers mois.  Toutefois, la bêtise est de leur âge.  En principe, on ne devrait pas pouvoir en dire autant de leurs aînés, que l'on parle des recteurs universitaires ou des membres du gouvernement Charest.  Par conséquent, si Charest et ses ministres ont accumulé les bêtises depuis le début de la crise, il ne peut s'agir d'un signe de bêtise.  Soit c'est du machiavélisme soit c'est de l'idéologie.
 
Depuis Margaret Thatcher (« There is no such thing as society. »), on sait que les néo-conservateurs ne croient pas à l'existence de la société, encore que même Thatcher s'en était défendue après-coup en rappelant les trois phrases accrochées à son affirmation initiale : « There are individual men and women, and there are families. And no government can do anything except through people, and people must look to themselves first. It’s our duty to look after ourselves and then to look after our neighbour. My meaning, clear at the time but subsequently distorted beyond recognition, was that society was not an abstraction, separate from the men and women who composed it, but a living structure of individuals, families, neighbours and voluntary associations. » On prendra ou non cette mise au point au sérieux, mais cette analyse demeure beaucoup plus réductionniste que la vision conservatrice plus traditionnelle de la société comme un organisme (doté, par conséquent, de propriétés émergentes) tandis que la vision libérale traditionnelle a voulu d'une société organisée selon des principes explicites,

Quand les Libéraux de Jean Charest prétendent imposer une hausse des frais de scolarité, ils le font au nom des intérêts de la société, comme le disait Bachand en soutenant : « Il est clair, et je le dis depuis des mois, que la question des frais de scolarité est une question de justice sociale envers le contribuable, qui verse 3,5 milliards $. »  Malgré l'appel à la justice sociale, il est clair pourtant que tout se réduit pour eux à une simple transaction commerciale.

C'est là où le bât blesse.  En décrétant une hausse unilatérale des frais de scolarité, les Libéraux s'en sont pris à un contrat social implicite liant les étudiants au gouvernement (et au reste de la société).  Dans la réalité, la décision de faire des études supérieures (et, en particulier, des études universitaires) reflète un équilibre délicat entre le sacrifice de revenus immédiats (même en supposant qu'un étudiant travaille à temps plein et étudie aussi à temps plein, en prenant sur son sommeil, il ne jouira pas des mêmes revenus nets qu'un non-étudiant du même âge puisqu'il en consacrera une partie à ses frais d'étude) et la perspective de revenus futurs plus élevés.  La société, par l'intermédiaire du gouvernment, finance une partie du coût de ces études en considérant qu'une population plus éduquée favorisera la croissance future de l'économie, et aussi la croissance des revenus que le gouvernement pourra appliquer au bien commun.  Mais il ne faut pas oublier que l'étudiant aussi finance ses études, ainsi que les revenus futurs de la société, non pas seulement en payant des frais de scolarité mais en acceptant soit des revenus inférieurs (ainsi que des loisirs moindres) à ceux des autres jeunes du même âge soit des dettes plus élevées.  On peut certes débattre de la valeur de cette contribution comparée à la contribution des étudiants d'autres provinces, mais l'étudiant qui espère gagner un revenu plus élevé au Québec grâce à ses études sait aussi qu'il sera plus lourdement taxé.

En faisant mine d'ignorer le sacrifice réel des étudiants (du point de vue financier global, mais aussi du point de vue des loisirs et de la possibilité de démarrer une vie familiale, etc.), le gouvernement a piétiné le contrat social qui appelait le gouvernement et les étudiants à y mettre chacun du leur afin de gagner plus à long terme.  La révolte du carré rouge était non seulement une affaire de chiffres précis et une fonction de la valeur de la contribution demandée, mais elle concrétisait aussi l'opposition à une rupture d'un contrat social qui avait profité aux générations précédentes, comme je l'ai déjà indiqué.

Le résultat de cette rupture ne s'est pas fait attendre.  Les étudiants ont manifesté en masse (et pacifiquement) pour rappeler au gouvernement l'existence humaine et concrète de ce contrat social, mais le gouvernement n'a démontré qu'une ouverture limitée, plus probablement par machiavélisme que par idéologie (puisqu'il a lâché du lest sur certains points).  Du coup, les plus radicaux ont cherché de nouveaux moyens de se faire entendre, c'est-à-dire d'inciter le gouvernement à respecter le contrat social rompu.

Or, manifester dans la rue relève aussi d'un contrat social implicite, en particulier quand les manifestations s'accompagnent de perturbations plus ou moins violentes.  Une partie des étudiants et des manifestants croient, semble-t-il, à un droit absolu de manifester qui découlerait de la liberté d'expression reconnue au Canada et qui obligerait les policiers à une retenue extraordinaire.  La réalité, c'est que la présence policière dans les rues relève aussi d'un contrat social implicite.  La police n'est pas là pour faire appliquer les lois sous la menace : les lois sont appliquées pour la plupart par les citoyens eux-mêmes qui ne cherchent pas d'emblée à gêner la circulation, à vandaliser les biens publics ou à faire du tapage.  S'il fallait la présence et l'intervention active de policiers pour faire appliquer les lois, il faudrait multiplier leur nombre par dix ou vingt ou plus.  En général, un contrat social bien compris régit le comportement de tous en public : la masse des citoyens s'abstient de poser des actes dérangeants et la police se concentre sur les infractions les plus graves sans abuser de ses pouvoirs et de sa position.  Dès lors que des manifestants violent ce contrat, ils démontrent rapidement qu'un nombre ordinaire de policiers aura du mal à contrôler un nombre encore plus réduit de manifestants, du moins sans recourir à des mesures extraordinaires.  (Ce qui souligne, en fait, à quel point nos sociétés sont policées.)  Et cette rupture d'un contrat social inscrit dans les mœurs publiques n'a pas plus conquis l'appui de la population que la rupture du contrat social par le gouvernement Charest n'avait conquis l'appui des étudiants.

La crise sociale au Québec aura donc fait toucher du doigt les limites de certains des idéaux des Lumières, selon lesquels la société pouvait reposer sur des principes abstraits (droits réciproques, suprématie de la démocratie).  D'une part, le gouvernement Charest a invoqué le primat démocratique et s'est heurté à la réalité d'un contrat social.  D'autre part, les étudiants ont invoqué leur droit de s'exprimer librement et ils se sont heurtés à la réalité d'un autre contrat social.  Pour sortir de l'impasse, il faudra écarter une fois pour toutes les raisonnements réducteurs qui font fi des conventions sociales qui, quoique non-écrites, n'en conservent pas moins une intransigeante réalité.

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2012-06-08

 

L'hésitation du fantastique

La nouvelle collection « Le Lycanthrope » des éditions du Marchand de feuilles s'ouvre au roman gothique québécois en invoquant les grands prédécesseurs du genre au Canada francophone, en commençant par L'Influence d'un livre de Philippe Aubert de Gaspé, fils.  Pour l'instant, la collection se lance avec un premier livre, Transtaïga d'Ariane Gélinas, le volume initial de la série des « Villages assoupis ».

Dans La Nuit soupire quand elle s'arrête de Frédérick Durand, l'héroïne du roman s'appelle Ariane et elle règne sur un lieu isolé qui se veut cruel et meurtrier, comme j'avais déjà eu l'occasion de le rappeler.  Ce n'est pas sans rapport puisque, dans ce premier tome de la trilogie annoncée des « Villages assoupis », Anissa est l'héritière désignée d'un village dissimulé dans le Moyen-Nord québécois, consacré à la magie noire et fondé par une grand-mère éprise de sorcellerie ainsi que d'un Cri errant, devenu l'amant de sa fille le temps de lui faire une petite-fille à sa convenance.  Fille d'une forme d'inceste et petite-fille d'une sorcière, Anissa a donc de qui tenir.  Toutefois, sa mère a fui le village de Combourg avec son bébé pour refaire leur vie dans la société québécoise conventionnelle dédaignée par la matriarche.

Anissa amorce son retour à Combourg le jour où, poussée à bout, elle assassine une collègue de travail.  L'enclave créée par sa grand-mère, protégée par des sacrifices humains et des sortilèges poétiques, lui apparaît comme le seul refuge possible, et même le seul refuge souhaitable.  Elle s'y sentira chez elle et elle y sera puissante.

De fait, Anissa ne connaît guère que l'assassinat et la conciliation des puissances infernales pour se tirer d'affaire quand une contrariété ou une difficulté se présente.  Un meurtre en entraîne donc un autre jusqu'à ce qu'elle trouve le mythique Combourg, avec deux cadavres dans le coffre de sa voiture et un dernier bouquet de décès en perspective...  Après la mort de sa grand-mère, puis de son père, puis d'une paire d'importuns, Anissa peut enfin aspirer à prendre la relève de son aïeule.  Entourée de spectres dociles et fidèles, elle reconstruira la Combourg de ses rêves et entreprendra une tâche à sa mesure sanguinaire.

Depuis la parution de L'Influence d'un livre, le fantastique canadien-français a souvent oscillé entre l'horreur suscitée par des crimes bien concrets et l'horreur suscitée par les interprétations de la réalité qui les justifient.  (En un sens, c'est une sacralisation du meurtre parce qu'on refuse d'admettre qu'on puisse tuer pour des raisons aussi bêtes que la cupidité ou l'emportement, ou le dérangement mental.)  Gélinas signe elle aussi l'histoire de l'influence d'un texte, celui du journal de la grand-mère d'Anissa, cette dernière se nourrissant en le lisant d'une autre vision du monde.  Le motif du livre dans le livre, et qui interagit avec le récit premier, mériterait d'ailleurs d'être étudié dans l'histoire de la littérature fantastique canadienne-française.  Il se retrouve, par exemple, dans Manuscrit trouvé dans un secrétaire de Daniel Sernine, et chez certains de ses prédécesseurs.

Dans La nuit soupire quand elle s'arrête, Durand campait une châtelaine qui vivait en fait dans l'illusion.  Dans Transtaïga, l'illusion se dissipe à la fin pour les lecteurs, mais Anissa n'émerge jamais du délire et c'est ce qui engendre l'horreur du lecteur, en fin de compte.  Sans doute que cette horreur serait plus profonde encore si le personnage d'Anissa avait quelque droit à notre compassion, ou si ses victimes avaient suscité notre sympathie, mais c'est tout au plus la pitié qui se mêle à la répugnance tant le personnage est resté une création froide et distante.  Ce qui mérite l'attention, ici, c'est l'habileté de l'écrivaine qui joue sur plusieurs tableaux en conférant autant de vraisemblance à la fuite d'Anissa sur les routes du Nord qu'aux affabulations de l'aïeule.  Du coup, le lecteur balance et hésite jusqu'à la fin, pris au piège de cet entre-deux dont Todorov avait fait le critère même de l'appartenance au fantastique.

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2012-06-07

 

La douzième vie d'une nouvelle

Le dix-septième numéro (nouvelle série) de la revue Galaxies accueille le numéro 84 du périodique Lunatique ainsi qu'un dossier consacré à Gudule.  Le sommaire inclut aussi une nouvelle de ma plume : « Des anges sont tombés ».  D'abord parue dans la revue franco-ontarienne Liaison, elle en est à sa douzième publication, en comptant les publications dans des revues et des fanzines, au Canada et en France, en français mais aussi en anglais, en russe, en italien, en brésilien, en galicien et en roumain.

Je l'avais écrite en 1996 dans le cadre d'un concours d'écriture de la revue Liaison, qui fournissait la première phrase et laissait les auteurs écrire la suite.  L'idée de la nouvelle m'était venue à Ottawa, il me semble, en conduisant un soir sur la promenade Rockcliffe qui surplombe la rivière des Outaouais.  J'avais rapproché ces falaises de celles qui dominent le quartier Petit Champlain à Québec et l'essentiel du texte m'était venu dans la foulée, sous la forme d'images assez précises d'anges tombés au pied d'une falaise.  (Il se peut que cette inspiration devait quelque chose à la nouvelle « Figures imposées » de Jean-Claude Dunyach dans Solaris 79, mais je n'en ai pas eu conscience sur le coup.  Un passage de la nouvelle pourrait avoir été inspiré par une description du conte « L'Enfant de la haute mer » (1928) de Jules Supervielle, mais il faudrait que je m'en assure un jour.)

Aussitôt de retour à l'ordinateur, j'avais rédigé la nouvelle en une heure environ.  Le matin suivant, j'avais révisé la toute fin de la nouvelle, donnant sa forme définitive à la phrase finale.  Depuis, la nouvelle a pris son essor et vole toujours.

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2012-06-06

 

Une tache sur un avenir radieux

Antan, quand un boucan s'élevait des hameaux
pour effrayer le démon croquant le soleil,
je n'aurais pas souri à la simple merveille
du tintement citoyen des cuillers et pots

Eux qui jouaient des cymbales sans dire un mot,
jeunes tignasses folles et mains si vieilles,
pour appeler leur cité branchée au réveil,
savaient-ils qu'un grain gâchait du soleil la peau ?

Moi qui courait après le bel astre couchant,
mes pas portés toujours plus haut par le beau chant
des casseroles pleines de nouveaux débuts

je n'ai vu que le rose émouvant des nuages
abandonnés par leur seigneur lâche et fourbu,
seuls et libres de fonder ce soir un autre âge

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