2009-10-13

 

Les professeurs et la pratique de la politique

Et si le point faible de Michael Ignatieff était d'être un ancien professeur d'université?

Les déboires actuels d'Ignatieff font presque regretter à certains Stéphane Dion, qui fait désormais figure d'homme de principe en comparaison. (Notons que les membres du Parti libéral du Canada, souvent taxés de cynisme, auront fait le choix du candidat le plus convaincu en décembre 2006, préférant Dion à deux rivaux plus ou moins opportunistes : Ignatieff, le parachuté de Harvard, et Rae, le transfuge du NPD.)

Alors que Dion avait été obligé de plier devant Harper en raison d'un rapport de forces défavorable (tant financier qu'électoral ou parlementaire), Ignatieff donne l'impression de toujours tourner selon le sens du vent. Après le 11 septembre, quand il était facile aux États-Unis d'être en faveur de la torture et de l'invasion de l'Irak, Ignatieff l'avait été, non sans chanter la palinodie en 2007 quand c'était devenu la chose la plus facile au monde. Dès qu'il avait pris le pouvoir comme chef de parti, il avait jeté aux orties la coalition de Dion qu'il avait pourtant endossée, parce qu'une partie de l'opinion canadienne avait été remontée contre cette perspective par ses adversaires (la démagogie conservatrice avait également eu raison de Michaëlle Jean), laissant échapper la possibilité d'exercer le pouvoir. Pour séduire les nationalistes québécois, il s'était déclaré prêt, dès avant le congrès de 2006, à marchander les principes fédératlistes traditionnels des Libéraux. Et s'il fallait illustrer encore son absence de fidélité, voire de colonne vertébrale, l'affaire d'Outremont qui a vu Ignatieff balancer entre son lieutenant politique au Québec et la commodité de favoriser un ami de ses amis aura complété le portrait.

Ignatieff est-il un homme entièrement dénué de convictions? Sans doute que non. Mais comme beaucoup d'universitaires, il est suffisamment intelligent pour justifier n'importe quel changement de cap, mais pas assez pour comprendre l'intelligence qu'il y a en politique à avoir des convictions et à le montrer. Malgré une incompétence notoire, Dion a longtemps conservé un minimum de sympathie parce qu'il avait des principes.

Si Ignatieff a pour défaut d'être tout juste assez intelligent pour flairer le sens du vent et feindre la sincérité au point de se convaincre lui-même, c'est qu'il a peut-être les qualités de certains professeurs d'université qui font carrière actuellement en Amérique du Nord. On sous-estime souvent à quel point ceux-ci sont souvent de parfaites bêtes politiques, rompues à biaiser et composer avec des intérêts divergents, à lécher les bottes de leurs supérieurs et à botter le cul de leurs inférieurs. Mais c'est la politique d'appareil qu'ils maîtrisent le mieux, à l'instar des apparatchiks de partis uniques, et il importe surtout dans ces conditions de ne pas faire plus de vagues que nécessaire et de changer de couleur comme un caméléon traqué... L'apparatchik reste toujours une créature de l'appareil, pourvu d'un poste qu'il soit ou non bien en cour, et les rigueurs de la politique populaire, qui donne ou enlève complètement le pouvoir, lui sont étrangères. Plus un professeur a réussi dans sa carrière universitaire, plus il a de chances d'être acquis aux vertus du système qui l'a promu et moins il le remettra en cause, même si, par exemple, ce système repose sur l'exploitation du travail des étudiants diplômés et des chargés de cours.

C'est pourquoi on s'illusionne en faisant de professeurs universitaires des sauveurs politiques. À quelques exceptions près (comme Michael Geist ou Paul Krugman, voire Pierre Elliott Trudeau), ils sont rarement portés à s'opposer. Absolvons-les : ils n'ont pas été formés à être des agents libres et autonomes. À l'instar de ces artisans que les philosophes aristocrates de la Grèce antique décriaient pour avoir trop bien pris le pli de plaire aux clients potentiels pour avoir voix dans la Cité, ce sont plutôt des serviteurs que des chefs qu'on élit dans de tels cas.

Et si j'ai amorcé cette réflexion en pensant à Michael Ignatieff, je la conclus en me demandant si elle ne s'appliquerait pas à un autre ancien de Harvard qui a fait le saut en politique — Barack Obama...

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