2009-10-07

 

La sociologie du blocage

Aujourd'hui, Le Monde consacrait plusieurs pages au nouvel ouvrage du sociologue Éric Maurin, La Peur du déclassement, une sociologie des récessions (Le Seuil-La République des idées). Depuis quarante ans, selon Maurin, la France d'en-haut a fait le choix de défendre toujours plus ceux qui étaient déjà protégés : fonctionnaires, salariés et syndiqués, au détriment des électrons libres du système — jeunes, travailleurs autonomes, minorités — qui héritaient surtout de la précarité. Plus le fossé s'approfondit, plus il devient redoutable de sortir du cercle magique des emplois protégés et plus la peur d'un tel déclassement s'aiguise. Le diagnostic est dur :

« La société française a peur et cette anxiété induit des stratégies individuelles et des politiques publiques qui, en fin de compte, alimentent et entretiennent la peur. »

Autrement dit, la peur du déclassement rend le déclassement lui-même (consécutif à la perte d'un emploi, etc.) plus terrible. Au terme de l'entretien que publie Le Monde, Maurin se prononce en faveur d'un modèle économique plus flexible : « il me semble qu'une société où ce qui s'acquiert et ce qui se perd seraient moins irréversibles, moins définitifs, pourrait constituer un progrès. » Dans un entretien avec Louis Chauvel, l'auteur de l'ouvrage Les Classes moyennes à la dérive, celui-ci se montre plus incisif. Il distingue d'abord le déclassement intergénérationnel, quand les enfants font moins bien que les parents; le déclassement intragénérationnel, quand les travailleurs doivent accepter un nouvel emploi moins bien rémunéré ou considéré; et le déclassement scolaire, quand le diplôme ne donne plus accès à un emploi aussi intéressant qu'auparavant. Si Maurin considère que le diplôme reste plus que jamais la clé de l'accès à l'emploi, au vu du taux de chômage des sans-diplômes, Chauvel souligne que la valeur nominale d'un diplôme a décliné : il faut étudier plus longtemps pour en retirer les mêmes bénéfices qu'avant. Il suggère même qu'il y a eu une sur-production de diplômes par rapport aux emplois correspondants, contrairement à des pays nordiques où l'adéquation du nombre de diplômés au nombre d'emplois correspondants est plus serrée.

Mais la regard que Chauvel pose sur le modèle français ne diffère guère du verdict de Maurin :

« En France, on a fait tout le contraire. Les entreprises en difficulté ne recrutent plus et laissent vieillir leurs travailleurs jusqu'à l'âge de la préretraite. Les entreprises dynamiques essaient d'embaucher le moins possible en augmentant de plus en plus la productivité de leurs travailleurs en place.

« Et en France, changer d'emploi, c'est le risque permanent de perdre tout un ensemble de droits fondés sur l'ancienneté dans l'entreprise. Le résultat est qu'on travaille avec de moins en moins de gens, de plus en plus épuisés et stressés, jusqu'à la veille du départ à la retraite. Ce n'est pas un modèle stable de développement. »

À lire ces différents constats, je trouve que ce que j'écrivais en 2005 (!) sur le modèle social français reste assez d'actualité. Chauvel conclut son entretien sur une réflexion au sujet du futur :

« Nous devrions nous poser la question de quel modèle social nous voulons pour 2025, mais la vraie question des politiques aujourd'hui, c'est : "Comment préparer 2012 ?" Cette inconséquence, nous la paierons très cher en 2025 et avant. »

Pour Chauvel, cette réflexion sur le futur des modèles sociaux a lieu aujourd'hui en Chine, aux États-Unis et dans les pays scandinaves. Mais si la France refuse d'y songer, elle n'est pas seule. On ne peut pas dire que le Canada de Harper s'intéresse beaucoup aux évolutions futures de la société canadienne... sauf dans la mesure où on peut postuler qu'un modèle de société ouverte et libre arrivera toujours à évoluer et à s'adapter.

Libellés : , ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?