2009-02-21
Communiquer la science (2)
Pascal Lapointe vient de signer un Guide de vulgarisation aux Éditions MultiMondes. L'ouvrage est formidablement documenté (des sources parues en 2008 sont citées) et l'auteur ne se limite pas aux textes journalistiques, car il renvoie aussi à plusieurs articles par des spécialistes de l'étude de la vulgarisation, publiant dans Public Understanding of Science ou Science Communication. D'autres textes historiques sont rappelés fort à-propos, dont l'article de Paul Carle et Jean-Claude Guédon, « Vulgarisation et développement des sciences et des techniques. Le cas du Québec (1850-1950) », dans Vulgariser la science (1988).
Le livre se présente en partie comme un vade-mecum pour futurs vulgarisateurs, mais il approfondit aussi l'histoire de la vulgarisation en remontant à Fontenelle (et même avant) tout en analysant plusieurs controverses. Il évoque des réalités sociologiques, comme l'aptitude de simples citoyens à se prononcer sur des controverses au terme d'une formation rapide. En même temps, Lapointe examine aussi l'évolution de la vulgarisation depuis l'époque des scientifiques qui prenaient eux-mêmes la plume ou la parole jusqu'à celle des journalistes qui ont pris le relais au XXe siècle. Toutefois, la relation de cette évolution est un peu hachée et la schématisation n'est pas toujours exempte de contradictions : d'une page à l'autre, on passe de la crise de l'énergie des années 70 comme point de rupture (qui voit les vulgarisateurs délaisser l'espace pour les questions environnementales) à la catastrophe du Challenger en 1986 (la même année que Tchernobyl, que cet historique passe sous silence) comme motif de désillusion pour une génération entière de journalistes scientifiques. Mais admettons que les réalités n'ont pas toujours été les mêmes entre l'Amérique du Nord et l'Europe...
Lapointe essaie peut-être d'en faire trop. Des livres entiers (il en cite certains) ont été écrits sur l'histoire de la vulgarisation; résumer cette histoire en quelques pages condamnait le résultat aux raccourcis. Par contre, l'ouvrage excelle dans sa présentation de la mutation québécoise et nord-américaine des métiers de la vulgarisation. Désormais, le communiqué de presse (ou media release) est devenu un des lieux principaux de la vulgarisation, et la communication scientifique est une activité pratiquée de moins en moins par des « médiateurs » relativement indépendants et de plus en plus par des organes institutionnels, publics ou privés, c'est-à-dire par des relationnistes et autres employés au service d'une entreprise quelconque. Lapointe nous fait entrer dans les coulisses de ces métiers bien rémunérés et de plus en plus influents, dont les pigistes comme moi devinent les ficelles sans les connaître tout à fait.
Somme toute, Lapointe est loin d'être encourageant pour ceux qui désireraient se faire journalistes scientifiques. Les débouchés disponibles ont fondu comme neige au soleil, ce que l'auteur se borne à constater, mais il faudrait sans doute incriminer le contexte du virage néo-libéral des années 90 qui a donné beaucoup plus de valeur aux nouvelles économiques qu'aux nouvelles scientifiques (on voit où cela nous a menés....) et qui a fait des grands médias comme Radio-Canada des bastions assiégés de l'information publique, en même temps que la polarisation entre commentateurs vedettarisés ou syndiqués sur-protégés et pigistes précarisés permettait aux entreprises de sabrer dans leurs coûts. De manière peut-être un peu optimiste, Lapointe finit par plaider pour une déontologie de la vulgarisation que même les relationnistes devraient adopter, dans leur propre intérêt.
Cela dit, le principal atout de ce guide est au niveau de la pratique. Lapointe présente les deux grands axes de la vulgarisation médiatique des sciences : la découverte annoncée en primeur et l'analyse des rapports entre les activités scientifiques et la société. Il expose les bases de l'écriture journalistique (la pyramide, les 5W, l'art de l'amorce) et il illumine les pièges que les vulgarisateurs doivent éviter pour ne pas se faire instrumentaliser. Des exercices pratiques d'interprétation et d'analyse sont inclus pour le lecteur (mais il faudra m'expliquer l'exemple du muffin en page 180). L'ouvrage conclut sans se prononcer en dressant un portrait rapide des ultimes métamorphoses de la vulgarisation, des revues scientifiques ouvertes aux révisions collectives par les pairs aux blogues, chroniques baladodiffusées, vidéos et wikis.
Bref, c'est un ouvrage riche d'enseignements, réalisé avec soin et qui vaut le détour. Rares sont ceux qui n'en retireront rien du tout, car les universitaires apprendront sur la pratique, et les praticiens sur la théorie ou l'histoire. Et c'est de lecture fort agréable, ce qui ne gâche rien.
Un autre billet sur la communication scientifique :
Communiquer la science (1) : les scientifiques sont-ils allergiques aux journalistes?
Le livre se présente en partie comme un vade-mecum pour futurs vulgarisateurs, mais il approfondit aussi l'histoire de la vulgarisation en remontant à Fontenelle (et même avant) tout en analysant plusieurs controverses. Il évoque des réalités sociologiques, comme l'aptitude de simples citoyens à se prononcer sur des controverses au terme d'une formation rapide. En même temps, Lapointe examine aussi l'évolution de la vulgarisation depuis l'époque des scientifiques qui prenaient eux-mêmes la plume ou la parole jusqu'à celle des journalistes qui ont pris le relais au XXe siècle. Toutefois, la relation de cette évolution est un peu hachée et la schématisation n'est pas toujours exempte de contradictions : d'une page à l'autre, on passe de la crise de l'énergie des années 70 comme point de rupture (qui voit les vulgarisateurs délaisser l'espace pour les questions environnementales) à la catastrophe du Challenger en 1986 (la même année que Tchernobyl, que cet historique passe sous silence) comme motif de désillusion pour une génération entière de journalistes scientifiques. Mais admettons que les réalités n'ont pas toujours été les mêmes entre l'Amérique du Nord et l'Europe...
Lapointe essaie peut-être d'en faire trop. Des livres entiers (il en cite certains) ont été écrits sur l'histoire de la vulgarisation; résumer cette histoire en quelques pages condamnait le résultat aux raccourcis. Par contre, l'ouvrage excelle dans sa présentation de la mutation québécoise et nord-américaine des métiers de la vulgarisation. Désormais, le communiqué de presse (ou media release) est devenu un des lieux principaux de la vulgarisation, et la communication scientifique est une activité pratiquée de moins en moins par des « médiateurs » relativement indépendants et de plus en plus par des organes institutionnels, publics ou privés, c'est-à-dire par des relationnistes et autres employés au service d'une entreprise quelconque. Lapointe nous fait entrer dans les coulisses de ces métiers bien rémunérés et de plus en plus influents, dont les pigistes comme moi devinent les ficelles sans les connaître tout à fait.
Somme toute, Lapointe est loin d'être encourageant pour ceux qui désireraient se faire journalistes scientifiques. Les débouchés disponibles ont fondu comme neige au soleil, ce que l'auteur se borne à constater, mais il faudrait sans doute incriminer le contexte du virage néo-libéral des années 90 qui a donné beaucoup plus de valeur aux nouvelles économiques qu'aux nouvelles scientifiques (on voit où cela nous a menés....) et qui a fait des grands médias comme Radio-Canada des bastions assiégés de l'information publique, en même temps que la polarisation entre commentateurs vedettarisés ou syndiqués sur-protégés et pigistes précarisés permettait aux entreprises de sabrer dans leurs coûts. De manière peut-être un peu optimiste, Lapointe finit par plaider pour une déontologie de la vulgarisation que même les relationnistes devraient adopter, dans leur propre intérêt.
Cela dit, le principal atout de ce guide est au niveau de la pratique. Lapointe présente les deux grands axes de la vulgarisation médiatique des sciences : la découverte annoncée en primeur et l'analyse des rapports entre les activités scientifiques et la société. Il expose les bases de l'écriture journalistique (la pyramide, les 5W, l'art de l'amorce) et il illumine les pièges que les vulgarisateurs doivent éviter pour ne pas se faire instrumentaliser. Des exercices pratiques d'interprétation et d'analyse sont inclus pour le lecteur (mais il faudra m'expliquer l'exemple du muffin en page 180). L'ouvrage conclut sans se prononcer en dressant un portrait rapide des ultimes métamorphoses de la vulgarisation, des revues scientifiques ouvertes aux révisions collectives par les pairs aux blogues, chroniques baladodiffusées, vidéos et wikis.
Bref, c'est un ouvrage riche d'enseignements, réalisé avec soin et qui vaut le détour. Rares sont ceux qui n'en retireront rien du tout, car les universitaires apprendront sur la pratique, et les praticiens sur la théorie ou l'histoire. Et c'est de lecture fort agréable, ce qui ne gâche rien.
Un autre billet sur la communication scientifique :
Communiquer la science (1) : les scientifiques sont-ils allergiques aux journalistes?
Libellés : Sciences, Vulgarisation
Comments:
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Bonjour Trudel
L'Association des communicateurs scientifiques (www.acs.qc.ca) aimerait reprendre votre critique du Guide de vulgarisation de Pascal Lapointe dans son bulletin.
À quelle courriel pourrais-je vous contacter à ce propos?
Merci
Bruno
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L'Association des communicateurs scientifiques (www.acs.qc.ca) aimerait reprendre votre critique du Guide de vulgarisation de Pascal Lapointe dans son bulletin.
À quelle courriel pourrais-je vous contacter à ce propos?
Merci
Bruno
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