2008-05-06

 

Le savoir et l'histoire

Passage rapide à Québec hier pour présider à une séance du 76e congrès de l'ACFAS, qui s'appelle maintenant l'Association francophone pour le savoir, histoire de faire oublier qu'elle s'appelait autrefois l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences... (Bel exemple de pensée magique : à défaut de gagner des référendums, on fera disparaître le Canada en se débarrassant du mot partout où c'est possible de le faire.) Comme la version annoncée du programme ne correspond pas nécessairement à la réalité, notons pour l'histoire qu'il y eut six présentations, et non sept ou huit. Pour une fois, j'étais en avance — la salle du Centre des congrès, deux étages sous le niveau utilisé par le Salon du Livre, était vide!
Et la combinaison des absences et des retards a également bouleversé l'ordre prévu. En fin de compte, Karine Lalancette de l'UQÀM est passée en premier avec sa communication « Fragmentation, désir, infini et totalité : la figure du livre dans The Logogryph. A bibliography of Imaginary Books de Thomas Wharton ». Elle m'a d'ailleurs donné envie de lire ce livre, mais il me reste encore à m'attaquer au roman de Danielewski, House of Leaves, dans un genre un peu voisin.

En second lieu, Philippe Gauthier (aucun rapport avec l'ancien fan de sf qui avait co-fondé Samizdat) de l'Université de Montréal nous a présenté sa communication « La salle de cinéma comme lieu institutionnel et cadre de signification : l'exemple des "Hale's Tours" dans l'historiographie traditionnelle », qui m'a appris l'existence d'un fort ancien exemple de réalité virtuelle, les Hale's Tours qui offraient aux clients la simulation d'un voyage en train loin de chez eux.

Ce fut ensuite au tour de Geneviève Cloutier, également de l'Université de Montréal, qui présenta une des plus belles présentations de la séance sur « La récupération de l'avant-garde dans la culture contemporaine ». J'ai relevé pour consultation ultérieure plusieurs des projets de récupération de l'ancienne avant-garde du XXe s., dont l'architecture inspirée de l'avant-garde russo-soviétique dans un projet d'Erik Van Egeraat, la musique concrète de Structural Resistance inspirée de Tatline et l'Action futuriste FTM 2007 inspirée, naturellement, des Futuristes. Tandis que des créateurs comme Kourliandski et commentateurs comme Manovich mériteraient aussi le détour.

Marian Misdrahi-Flores, étudiante en sociologie à l'Université de Montréal, a enchaîné avec les résultats d'une étude sur les boursiers et jurys du CALQ qui avait retenu l'attention du Devoir. Sa communication intitulée « Le profil de l'excellence en lettres québécoises contemporaines : l'évaluation de la qualité littéraire au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) » incluait des chiffres fascinants. Durant la période étudiée, les femmes avaient non seulement obtenu plus de bourses que les hommes, mais leur taux de réussite était également plus élevé. Durant cette même période, les créateurs originaires de la grande région de Montréal (qui représente tout au plus 40-50% de la population québécoise) avaient non seulement déposé la grande majorité des demandes, mais aussi obtenu la grande majorité des bourses. Et l'immense majorité des écrivains n'étaient pas des autodidactes, mais des produits de nos universités, parfois au plus haut niveau. (Par contre, le taux de réussite des diplômés en littérature étaient assez bas.)

Laure Miranda, de l'Université de Sherbrooke, a présenté à son tour les résultats d'un dépouillement minutieux, celui des livres dédicacés dans la bibliothèque d'Anne Hébert. Sa communication intitulée « Formalisation d’un réseau d’auteur(e)s autour d’Anne Hébert à travers les ouvrages dédicacés de sa bibliothèque personnelle » révélait non seulement quelques aperçus de sa bibliothèque personnelle (beaucoup de Simenon) mais aussi des personnes qui lui avaient dédicacé des livres, dont Marie-Claire Blais, Mavis Gallant, Hélène Cixous, Paul Zumthor, Gilbert Choquette, Émile Martel et Jacques Godbout parmi les principaux.

Enfin, Fabienne Soldini-Bagci, chercheuse au CNRS, a expliqué les fonctionnements observés au sein de bibliothèques marseilles. Sa communication, « Bibliothèques à Marseille : la notion d’institution culturelle confrontée aux pratiques non conformes des jeunes usagers », était un témoignage extrêmement vivant des défis observés sur le terrain.

Avant de repartir, j'ai croqué quelques photos de Québec. Tout d'abord, un cliché classique des remparts, mais surtout des deux grands édifices qui dominent le vieux Québec.Ensuite, je suis entré par la porte Saint-Jean, non sans noter la présence de neige dans quelques encoignures et zones ombragées des remparts. Comme la photo de la porte le montre bien, il faisait très beau... Mais les dernières poches de neige établissaient au-delà de tout doute que l'hiver avait été dur... mais peut-être qu'à mon retour jeudi pour parler de Québec en 1900, il n'en restera plus.

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Comments:
Je n’ai aucune idée pourquoi l’ACFAS a changé de nom, mais plutôt que d’y voir un sombre complot pour faire disparaître toute trace du Canada, il me semble y voir une volonté d’éliminer le caractère ethnique de l’association en faveur d’une approche élargie. Une association canadienne-française est une association où le regroupement est ethnique, il n’y a pas de place pour des Louisianais ou des Canadien-Anglais même ceux, nombreux, qui parlent le français. Une association francophone est un regroupement fondé sur une langue partagé, ça ouvre la porte aux francophones de tous crins. C’est mieux, non ?

Par ailleurs, de grâce, arrêtez de parler de la neige. Pus capab’. On a eu un hiver record, c’est vrai, et ça a duré 5 mois, alors prenons collectivement un break. Arrêtons de nous battre la coulpe, style : Regardez par là, il en reste !
 
Il y a depuis longtemps des Suisses francophones au Canada, quelques Belges et Haïtiens, des Métis et des membres francophones des Premières Nations. Quand on parlait de Canadiens-français (avec le f minuscule), parlait-on exclusivement de Canadiens originaires de France ou de tous les Canadiens de culture ou langue française? L'adjectif est ambigu. (Si "Français" est un substantif avec un F majuscule, on peut certes lire Canadien-Français de manière nettement plus ethnique.)

Après tout, quand on parle de Canadiens-anglais, on n'exclut pas les Gallois, Écossais, Irlandais et autres anglophones. On inclut tout simplement ceux qui s'expriment en anglais et sont donc de culture au moins partiellement anglaise.

Bref, dans la mesure où on parle aussi français en Belgique, Suisse ou Haïti, pour ne nommer qu'eux, sans lien ethnique obligé avec la France, voir nécessairement dans le terme "Canadien-français" quelque chose d'ethnique qui ne serait pas dans Québécois (une des "races blanches", si je me souviens bien des mots de Lucien Bouchard), c'est chercher la petite bête. "Canadien-français" n'est pas plus ethnique que "francophone"... à moins de considérer que "Canadien" ne renvoie pas à la citoyenneté, mais à une quelconque ethnicité. Ce qu'on ne fera que si on ne se reconnaît pas comme citoyen canadien...

L'argument en ce qui concerne la place pour les Louisianais, Canadiens-anglais (je vois que ce terme ne vous dérange pas) et autres non-francophones est plus convaincant. Il le sera encore plus quand l'ACFAS aura tenu un congrès à Halifax ou à la Nouvelle-Orléans.

Quant à la neige, bah, j'ai un point de vue historique et je me dis que si ce blogue survit quelques annnées, ce ne sera pas inintéressant de retourner dans le temps sur les hivers passés.
 
Vous écrivez : Canadiens-anglais (je vois que ce terme ne vous dérange pas)...

Je vous demande en toute humilité : Cela devrait-il me déranger ? Aurais-je commis un horrible faux-pas langagier ?
 
Pour avoir côtoyé les gens de l'Acfas, je peux vous assurer que le changement de nom est simplement né d'un désir de se moderniser. L'expression "canadienne française" leur est apparue désuète.

Je doute qu'ils tiennent jamais un congrès à la Nouvelle-Orléans, par contre, ils en ont tenu à l'occasion à l'extérieur du Québec. La principale limite en est une de moyens de l'université ou de l'institution d'accueil.
 
Pour Richard : si l'adjectif « canadienne-française » dans le nom originel de l'ACFAS avait un « caractère ethnique » pour employer vos propres termes, l'expression « Canadiens-Anglais » n'est-elle pas également ethnique, sinon plus ? (Après tout, en mettant la majuscule, vous semblez ne désigner que les Canadiens d'origine anglaise, en excluant non seulement les autres souches britanniques mais tous les anglophones issus d'autres régions du monde.)

Pour Pascal : j'accepterais plus facilement la neutralité de l'ACFAS à l'égard du reste du Canada si les dates n'étaient pas si malcommodes pour les universitaires du Canada hors-Québec; l'examen final de mon cours avait eu lieu à la toute fin du mois d'avril, de sorte que j'étais encore en train de corriger des examens tandis que j'essayais aussi d'être présent à l'ACFAS, à grand renfort de va-et-vient en autobus entre Ottawa, Montréal et Québec. On me dira que l'ACFAS est coincée parce que les Congrès des sciences sociales et humaines (anciennement des Sociétés savantes) a lieu à la fin du mois, et que les fins de semaines précédentes sont celles de la fête des Patriotes/de la Reine et de la fête des Mères. Mais comme l'ACFAS se déroule en semaine, je ne vois pas grande prévenance pour les universitaires d'ailleurs au Québec dans ce choix d'une tenue aussi près du début du mois. Ce qui me fait donc considérer avec méfiance le rebranding de l'ACFAS...
 
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