2007-06-04

 

Un livre sans fin...

... ni début. Qu'est-ce? Un héritage que j'ai sorti d'une caisse hier et que j'ai feuilleté avec une perplexité grandissante. Il s'agit d'un exemplaire d'Harmonies poétiques et religieuses (1830) de Lamartine, suivi de La mort de Jonathas, mais il manque les premières et les dernières pages. Or, rien n'indique que ces pages aient été déchirées. Il n'y a pas de solution de continuité dans la reliure et je dois donc conclure qu'on a fait relier un fragment.

Le papier est de bonne qualité, et la reliure aussi, mais je ne suis pas assez expert pour en déduire une date. Tout ce que je puis dire, c'est que c'est une édition de 1850 ou plus tard, puisqu'elle est introduite par une lettre à M. D'Escrigny datée du 4 novembre 1849. Lamartine y décrit son retour dans le village de Saint-Point où il avait vécu autrefois. La maison de ses parents est désertée, promise à d'autres, et il est subitement accablé par le sentiment (proustien avant l'heure) de ce qui a disparu :

« Je cachais mon visage entre mes deux mains ; je regardais furtivement entre mes doigts les tours, le balcon, le jardin, le verger, la fumée sur le toit, les bois derrière bordés de chaumières connues, la prairie, la rivière, les saules sur le bord de l'étang ; et recevant de chacun de ces objets un souvenir, une image, un son de voix, une personne, une voix à l'oreille, une vision dans les yeux, un coup au cœur, je fondis en eau, et je m'abîmai dans l'impossible passion de ce qui n'est plus!... Vouloir ressusciter le passé, ce n'est pas d'un homme, c'est d'un Dieu ; l'homme ne peut que le revoir et le pleurer. Les imaginations puissantes sont les plus malheureuses, parce qu'elles ont la faculté de revoir, sans avoir le don de ranimer. Le génie n'est qu'une grande douleur! »

La description par Lamartine de son voyage à Saint-Point m'a rappelé (madeleine avant l'heure) mon propre passage par ces lieux, car Saint-Point est un petit village au sud de Cluny, niché dans une vallée dont j'ai remonté une des crêtes en suivant le GR 76. Cette randonnée m'amènerait quelques jours plus tard dans la ferme d'Ayerdhal en banlieue de Lyon, mais j'étais encore en train de traverser ce pays de collines. Et je me souviens d'avoir été frappé par la longueur de ce trajet à l'écart des routes, le GR 76 suivant une route forestière étroite qui côtoyait les fermes à flanc de vallée (et les carcasses d'anciens tacots abandonnés aux confins de leurs terrains). Quelques heures plus tard, en émergeant des bois, j'avais été frappé par la largeur de la petite route départementale sur laquelle je tombais, comme si je constatais pour la première fois que notre civilisation asphaltait sans vergogne une telle étendue de terre!

Je me souviens aussi de la profondeur de la vallée que je surplombais. Le printemps était jeune et des arbres encore dénudés me livraient de vastes aperçus de la vallée. J'ai dû apercevoir le village de Lamartine, mais je me rappelle surtout d'avoir assisté au passage d'un chasseur à réaction qui a survolé le fond de la vallée en rugissant. J'étais si haut que l'appareil volait en contrebas...

Quant au livre, j'ignore si j'en percerai un jour le mystère, mais je suis tenté d'y voir la preuve de la valeur des livres au Canada au XIXe siècle. J'imagine volontiers qu'un libraire canadien, ayant trouvé dans son arrivage de feuillets imprimés une liasse peut-être gâtée par l'humidité ou des salissures, aurait décidé d'en retirer les pages indemnes, de les relier et d'offrir le volume à la vente puisque les Harmonies poétiques et religieuses en tant que telles étaient complètes. Le libraire savait qu'il serait obligé de l'offrir à rabais, mais il pouvait espérer en retirer un petit profit au lieu d'enregistrer une perte sèche...

Ou sinon, on peut envisager que c'était un livre chéri de son propriétaire mais qu'un accident aurait abîmé, de sorte qu'on fit relier de nouveau les pages rescapées...

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