2006-07-13

 

Poe et la science-fiction

J'avais fait remarquer à Readercon que les trois auteurs les plus réimprimés dans Amazing Stories de 1926 à 1929 inclusivement étaient Wells, Verne et Poe. La présence de Poe peut surprendre, car la science-fiction scientifique est loin de prédominer dans son œuvre. Toutefois, on ne peut nier que sa fiction repose, dans plusieurs cas, sur des raisonnements et des démarches essentiellement scientifiques (dans le contexte de son époque).

Si Edgar Allan Poe demeure aujourd'hui encore une référence pour de nombreux créateurs actuels, dont Groening (The Simpsons) et J. K. Rowling, il a aussi influencé des auteurs de son temps, dont le jeune Jules Verne, qui a repris plusieurs thèmes de Poe dans sa propre œuvre (voyages en ballon, voyages polaires, solutions d'énigmes... jusqu'à l'impact cométaire d'« Eiros and Charmion » revu et corrigé dans Hector Servadac). Même la fin de Vingt mille lieues dans les mers, quand Nemo brave le maëlstrom, doit beaucoup plus à la nouvelle de Poe « A Descent into the Maelström » qu'à la réalité géographique.

Même si Poe ne s'intéresse pas vraiment à l'anticipation, il fait partie de ceux qui expriment, dès la première moitié du dix-neuvième siècle, la découverte des possibilités du futur. Dans « The Mystery of Marie Rogêt », il écrit d'ailleurs : « It is through the spirit of this principle, if not precisely through its letter, that modern science has resolved to calculate upon the unforeseen. The history of human knowledge has so uninterruptedly shown that to collateral, or incidental, or accidental events, we are indebted for the most numerous and most valuable discoveries, that it has at length become necessary, in any prospective view of improvement, to make not only large, but the largest allowances for inventions that shall rise by chance, and quite out of the range of ordinary expectation. It is no longer philosophical to base upon what has been a vision of what is to be. » Il y a dans la même nouvelle, d'ailleurs, un passage extrêmement lucide sur ce qu'on appelle aujourd'hui la sagesse des foules, Poe soulignant même qu'il est absolument nécessaire que l'opinion publique n'ait pas été suggestionnée.

Ces derniers jours, je me suis replongé dans Poe en utilisant une édition de T. Nelson and Sons héritée de ma grand-mère Trudel, dont l'ex-libris indique l'acquisition le 28 janvier 1918. Tales of Mystery and Imagination est un recueil posthume qui remonte à une première édition britannique en 1852, mais dont l'intitulé et le contenu ont légèrement varié au fil des ans et des éditeurs. Dans la mesure où il s'agit d'une édition des plus répandues, je trouve particulièrement intéressant l'absence presque complète des textes les plus fantastiques de Poe dans ce recueil. Ce sont les nouvelles policières qui sont à l'honneur et si des textes horrifiques sont également présents, ce sont dans la plupart des cas des textes essentiellement réalistes.

Il serait sûrement instructif de comparer les nouvelles de Poe reprises dans Amazing Stories et celles qui étaient disponibles dans les éditions les plus lues de ses recueils. D'une part, on comprendrait mieux que Gernsback ait choisi de reproduire des textes vieux de presque un siècle mais qui auraient été partiellement écartés des éditions les plus répandues. Pour les lecteurs d'Amazing, ces textes auraient été, en partie, des nouveautés. D'autre part, ce faisant, on cernerait un peu plus facilement les limites de l'acceptation du fantastique en littérature à cette époque. La mise à l'écart du fantastique franc indiquerait alors que la ghettoïsation de la science-fiction inaugurée par Gernsback s'inscrivait dans une tendance lourde et que l'amateurisme qu'on reproche à Gernsback face à des pulps qui imprimaient déjà du fantastique signé par des professionnels n'est pas la seule raison de l'isolement des genres de l'imaginaire à l'écart de la littérature générale.

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