2006-07-22

 

La fée des eaux

Le nouveau film de Manoj « Night » Shyamalan, le tout nouveau Lady in the Water, est un ratage intéressant. Ce n'est pas le cas de tous les ratages. Dans le cas de films comme Aeon Flux ou Ultraviolet, on s'intéresse aux détails de la production ou on admire le spectacle visuel, mais l'histoire n'est qu'un prétexte et on ne peut vraiment prétendre que l'expérience pique l'intérêt.

Ici, assez curieusement, on a envie d'opérer une dissection inusitée et d'affirmer que l'intrigue est le prétexte de l'histoire. Il est habituellement difficile de séparer les deux, mais c'est l'impression que laisse cette histoire d'une nymphe (une narf) sortie de la piscine d'un immeuble cossu pour servir d'égérie à un écrivain dont elle ignore le nom. Le concierge de l'édifice la recueille et lui vient en aide parce qu'il a un immense besoin d'aider autrui... L'intrigue est brinquebalante et elle hésite assez ouvertement entre le ton du conteur qui met en place un univers reposant sur le fiat verbal et un comique hénaurme tirant ses effets de l'invraisemblance des personnages ou des péripéties.

En revanche, il est clair que Shyamalan ne mise pas sur les effets spéciaux. Au contraire : les créatures magiques (comme le scrunt capable de s'aplatir dans l'herbe, parce que son pelage combine herbe et broussailles) sont loin d'être convaincantes. Les arbitres simiesques qui font régner la loi du monde magique ressemblent même aux monstres qui menaçaient la communauté isolée dans The Village.

C'est la vulnérabilité de la narf qui est censée émouvoir le spectateur, c'est la diversité des personnages qui doit faire sourire, c'est l'entrée de plain-pied dans un monde différent du nôtre (et plus attrayant, plus fraternel) qui est censé séduire. De temps à autre, cela fonctionne bel et bien.

Les critiques ont été plutôt négatives. Mais il semble bien que les critiques professionnels n'aient pas digéré le traitement réservé à un collègue dans le film... Un des nouveaux locataires de l'immeuble est un critique de cinéma désabusé, plutôt froid et cynique, voire coincé. Il intervient deux ou trois fois dans l'intrigue, d'abord, en conseillant le concierge et, ensuite, en se faisant occire par le scrunt entré dans l'immeuble. Il livre aussi des analyses acerbes de films semblables à celui où il joue un rôle.

Or, les critiques qui ont vu le film semblent avoir retenu que le critique est implicitement taxé d'« arrogance » parce qu'il aurait prétendu connaître la véritable nature d'autrui et d'ignorance parce qu'il ne saisit pas vraiment ce qui fait le charme d'un film. Le critique apparaît donc comme un personnage non seulement antipathique mais imbécile, qui retarde le moment de la délivrance. Pourtant, si le spectateur fait attention, il se rendra compte que le critique avait raison et que c'est le concierge qui a commis l'erreur d'identifier à tort des personnes sur la base des indications fournies par la narf et par le critique...

Quand le critique offre ses suggestions, j'avais tout de suite pensé aux cinq sœurs latinas que l'on venait de voir sauter dans la piscine, les mains jointes. Mais le concierge se précipite plutôt dans l'appartement des slackers de l'immeuble. Ainsi, c'est le concierge qui, en définitive, a fait preuve d'une certitude indue. Les critiques qui n'ont vu que l'erreur d'interprétation du critique juste avant qu'il se fasse dévorer se rendent paradoxalement coupables de la faute qu'ils croient que Shyamalan leur reproche!

De fait, j'ai bel et bien l'impression que dès qu'on touche à leur milieu et à leur spécialité, les critiques professionnels ont beaucoup de mal à rester objectifs. (Problème répandu : Isaac Asimov expliquait dans un article sur Velikovsky comment il n'avait pas vraiment été indigné par les incohérences de Velikovsky avant de tomber sur un passage où celui-ci confondait hydrocarbones et hydrocarbures, ce qui avait de quoi offusquer un chimiste de métier...) Ils reprochent donc à Shyamalan de se mettre en scène dans le film et de trucider un critique — la règle veut que les critiques soient assassines, et non assassinés... Mais pour le grand public, qui ne sait pas nécessairement à quoi ressemble Shyamalan et qui se soucie fort peu de l'amour-propre des critiques, ce sont des défauts à peine perceptibles.

Le film sera sans doute jugé sur l'histoire qu'il raconte. Et je me demande même s'il ne sera pas accueilli avec une certaine chaleur parce qu'il offre une note d'espoir et de lumière dans un contexte politique actuel plutôt sombre.

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