2006-04-21

 

L'auteur est partout

À Québec, les auteurs venus pour le Salon du Livre veillent à leur promotion jusque dans les toilettes du terminus des autobus. En effet, c'est là que j'ai trouvé un marque-pages de carton jaune annonçant Daniel Desbiens, « Passager entre deux millénaires », glissé au-dessus d'un urinoir...

Parti d'Ottawa en début de journée, j'ai mangé à midi à Montréal et je suis arrivé à Trois-Rivières en milieu d'après-midi pour assister à une partie de la 20e rencontre annuelle du Centre d'études québécoises de l'UQTR et du Département d'histoire de l'Université d'Ottawa. Celle-ci avait lieu aujourd'hui au Centre d'exposition sur l'industrie des pâtes et papiers. Vue superbe sur le Saint-Laurent, le pont Laviolette et les navires qui passent. Occasion de saluer Stéphane Castonguay, Jan Grabowski et Maxime Dagenais, puis de faire la connaissance de Darin Kinsey.

J'ai pu assister aux communications d'Yvan Rousseau (UQTR) et d'Hubert Watelet (Université d'Ottawa). Rousseau (« Les dollars de la maladie : assurances et finances hospitalières dans le Québec d'après-guerre ») a évoqué une période un peu oubliée durant laquelle le Canada, à la sortie de la Grande Dépression, a essayé le système étatsunien de financement des soins de santé pendant une vingtaine d'années avant la généralisation du système public. Watelet (« Vers un nouveau paradigme en histoire des intellectuels ») a évoqué les nouvelles directions prises par l'historiographie récente des intellectuels.

Le fait le plus frappant de la période 1940-1960 au Québec, c'est la faiblesse de la couverture pour les citoyens. Entre 1940 et 1950, pourtant, le développement de l'assurance privée avait été prometteur. La pénétration des régimes privés avait cru rapidement et les hôpitaux avaient dégagé des surplus, pour la première fois depuis longtemps. De 1950 à 1960, toutefois, la pénétration plafonne (16% environ des Québécois se sont procuré une couverture) et les hôpitaux accusent des déficits croissants. En même temps, les montants des primes exigées grimpent en flèche. (Il faudrait toutefois noter que ces primes, une fois rapportées à la hausse des revenus individuels dans le contexte de la prospérité d'après-guerre, se stabilisent à la fin des années 1950. Mais le niveau atteint reste plus élevé qu'à l'origine.)

Le hic, au Québec, c'est que le nombre d'inscrits à des régimes privés est non seulement bas, mais que le nombre de ceux-ci qui jouissent d'une couverture complète est aussi très bas (trois ou quatre fois plus bas qu'en Ontario ou ailleurs au Canada). Quant aux hôpitaux, ils sont déçus de constater que les patients individuels continuent à fournir près de 60% des revenus de source externe. Ce qui semble se passer au Québec, selon Rousseau, c'est qu'en l'absence d'ententes sur la tarification entre les compagnies d'assurance et les hôpitaux et médecins, l'offre de régimes pléniers (complets) est plus basse qu'ailleurs. Les Québécois ne se voient tout simplement pas offrir les mêmes couvertures complètes qu'ailleurs au Canada. Mais ceci reste à confirmer par de nouvelles recherches. Néanmoins, ce portrait aide à comprendre l'adoption rapide et quasi unanime des régimes publics vers 1960...

Watelet, quant à lui, tente de cerner l'évolution de l'histoire des intellectuels depuis la fin de ce qu'il appelle le cycle « dreyfusien », qui va de l'affaire Dreyfus à l'émergence de la génération de contestataires des années 60. Il note toutefois qu'en anglais, le substantif intellectual est connu avant, surgissant en 1652 et même en 1813 sous la plume de Byron, selon une historienne. (De fait, dans les archives du Times de Londres, intellectual n'est employé que comme adjectif entre 1785 et 1890.)

Quoi qu'il en soit, le mot acquiert en anglais un sens plus ou moins péjoratif dès le moment de l'affaire Dreyfus, car l'intellectuel dreyfusard est un contestataire dont il faut se méfier, opposé à l'ordre établi et à la raison d'État. Watelet rappelle au passage que Janine Ponty a montré dans sa thèse inédite qu'en France même, les anti-dreyfusards ont remporté la bataille de l'opinion publique parce qu'ils étaient plus actifs et plus présents dans la presse. En Angleterre, on fera rapidement des artistes engagés des intellectuels, même s'ils n'appartiennent pas au monde de l'imprimé. Cet élargissement de la notion d'intellectuel permet d'inclure des artistes engagés comme Verdi (pour le « Va' Pensiero » de Nabucco ou la marche triomphale d'Aida) ou, bien entendu, Picasso (Guernica).

La notion d'engagement change, substituant à l'idée de contre-pouvoir l'objectif d'une plus grande proximité du pouvoir. Et l'élargissement de la notion d'intellectuel inclut de plus en plus les femmes. Sans trop préciser les dates qui permettraient de baliser ces évolutions, Watelet cite alors deux ouvrages récents, soit Brain Gender de Melissa Hines et Sexe et genre — De la hiérarchie entre les sexes de Marie-Claude Hurtig, Michèle Kail et Hélène Rouch. En guise de conclusion, Serge Cantin intervient pour citer Fernand Dumont, selon qui l'intellectuel est celui qui a le souci de la Cité, tout à la fois Cité réelle et Cité idéale...

En complétant à Québec mon périple entamé à Ottawa, j'ai eu le sentiment de n'avoir jamais été aussi également présent dans une journée sur une aussi grande distance. L'écrivain transformé en fonction d'onde étendue... D'ailleurs, Hugues Morin signale la vente d'un exemplaire de l'anthologie de vampires québécois qu'il avait réunie, Sang froid, à une spécialiste du fantastique québécois domiciliée à... Jérusalem. Le texte de Laurent McAllister qui se trouve dans cette antho tombera donc sous les yeux d'une lectrice de plus. Et la fonction d'onde s'étend, pas très probablement, à des milliers de kilomètres supplémentaires...

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