2006-03-05

 

Aux origines de l'intelligence

Le numéro de février de Scientific American offre un article fort stimulant, dont on peut lire les premiers paragraphes ici. Illustrations à l'appui, l'auteur explique comment les chercheurs ont réussi à observer les interactions des petits soldats du système immunitaire humain (lymphocytes et autres cellules protectrices) et des cellules ordinaires soumises à des contrôles répétés — et détruites en cas d'infection ou de maladie. Ce qui m'a frappé, c'est que la ressemblance avec le fonctionnement des synapses du cerveau et du système nerveux n'est pas uniquement d'ordre général, car elle repose sur la présence de protéines identiques qui interviennent dans des processus semblables gouvernant le dialogue synaptique. Au moins un récepteur intervient aussi dans les deux cas, ainsi qu'une molécule qui stimule la communication et des membranes nanotubulaires qui permettraient de transporter des transmetteurs d'une cellule à l'autre.

L'auteur — Daniel M. Davis — se contente de relever ces points communs entre le système immunitaire et le système nerveux, mais je ne peux pas m'empêcher de poser la question de l'antériorité. Lequel a précédé l'autre? A priori, dans la mesure où le système immunitaire relève de rapports de prédation, il me semble que le système immunitaire doit être plus ancien. Et pourtant, s'il repose à l'origine sur un mécanisme de prédation, il est devenu une forme de pastoralisme. Les cellules immunitaires jouent quelque chose comme le rôle de bergers veillant sur le troupeau; la population des cellules ordinaires constitue le milieu de vie des cellules immunitaires et celles-ci détruisent les cellules infectées ou malades qui menacent la survie de la collectivité. Ces synapses temporaires semblent avoir servi d'abord à tester ou diagnostiquer l'état des cellules contactées; peut-on imaginer que ces signaux moléculaires ont ensuite été détournés pour transmettre des messages et des ordres au service du système nerveux? Puis de transmettre du sens, des unités d'information circulant ainsi et permettant à la pensée et à la conscience d'émerger de l'activité synaptique continue des neurones du cerveau?

La nature parasitaire (ou dérivée) de l'intelligence apparaîtrait alors dans toute sa vertigineuse insignifiance.

Évidemment, je suis également impressionné par l'exploit technique qui permet d'observer et de photographier les interactions fugitives et subtiles entre des cellules qui se rencontrent pendant quelques instants. L'accumulation incessante de découvertes que permet la démultiplication des combinaisons d'inventions techniques et d'objets me ramène à la Singularité de Vinge. En apparence, nous sommes en plein dans cette argumentation. Pourtant, nous sommes ici dans un progrès purement scientifique, et non technologique. Des retombées pratiques seront envisageables un jour, on peut l'espérer, mais l'échéancier des progrès techniques ne se laisse pas fixer si facilement. Parlez-en à ceux qui tentent de maîtriser la fusion nucléaire à grande échelle ou de vaincre tous les cancers...

L'accroissement des connaissances est au moins aussi rapide que le progrès technique et on se prend à rêver sur ses limites. Je fréquente un certain nombre de domaines de la connaissance, mais je ne suis un vrai spécialiste que de deux ou trois sujets. Et il y a de plus en plus de spécialités. Jusqu'à maintenant, l'accroissement des connaissances a pu être maîtrisé par un nombre croissant de spécialistes tirés d'une population de plus en plus nombreuse et de plus en plus éduquée. Mais on annonce pour 2050 un plafonnement de la population humaine et le nombre de spécialistes ne pourrait être supérieur au nombre de la population. Passera-t-on la main à des intelligences artificielles? C'est possible. Mais il y a aussi une autre limite au nombre de spécialistes. Pour que la connaissance progresse, il faut aussi un minimum de généralistes, ou du moins de spécialistes incomplets (sous-optimaux, disons), avec un pied dans un autre domaine. Davis évoque dans son article l'isolement réciproque des neurologues et des immunologues qui ont mis un certain temps à se parler de phénomènes avec des traits en commun. Sans des personnes capables d'établir des liens entre des domaines différents, les différents spécialisations seraient-elles condamnées à ne croître que linéairement, et non exponentiellement?

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