2014-05-30
La Saison des singes de Sylvie Denis
Le diptyque composé de La Saison des singes (2007) et de L'Empire du sommeil (2012) de Sylvie Denis exploite un grand nombre de thèmes (classiques et moins classiques) de la science-fiction. Le début du premier volet se base sur une nouvelle retenue par Serge Lehman pour l'anthologie Escales sur l'horizon (1998), intitulée « Avant Champollion ». J'ai relue celle-ci après coup, car, si je me souvenais assez clairement du début, le reste du récit s'était estompé au fil des ans. Ce qui ressemble au thème relativement traditionnel de la colonie perdue qui a oublié le souvenir de ses origines et quelques autres détails du passé (voir Pern) — quoique le sujet soit traité avec une plume particulièrement sensible au caractère d'exception des personnages principaux — n'est qu'une mise en bouche dans le roman. (Quelques éléments de la nouvelle « Dedans, dehors » parue dans Galaxies 12 en 1999 ont aussi alimenté le diptyque, et peut-être d'autres textes, mais je ne connais pas toute la production de Denis.)
Dès la deuxième partie de La Saison des singes, le lecteur aborde un univers plus vaste, peuplé d'humains et de vaisseaux intelligents qui dialoguent entre eux (comme dans les romans de Banks). Un détective privée est sur les traces d'une criminelle sans scrupule qui se balade avec de la nanotechnologie de haute volée et qui est également recherchée par des agents de l'Office de l'application de la Charte qui garantit le fonctionnement de cette société futuriste. Il y a affrontement, naufrage et dispersion des nouveaux personnages sur une planète inconnue, ou sur le chemin du retour, le tout se passant près d'un millénaire avant les événements de la première partie... Cette partie du roman se lit d'une traite et sème quelques énigmes à éclaircir ultérieurement pour entretenir le suspense. L'action ralentit dans la seconde moitié du roman puisqu'elle se partage désormais entre les personnages de la première et de la deuxième parties. La collectivité humaine issue des naufragés entre en contact avec les autochtones de la planète perdue, mais aussi avec des survivants du naufrage qui ont bravé les siècles. Le tout se termine sans conclure.
Le second volet du diptyque, L'Empire du sommeil, a fait attendre les lecteurs du premier pendant plusieurs années. Même si Denis livre l'aboutissement attendu depuis le naufrage du vaisseau l'Abondant, il manque un fil conducteur susceptible d'imposer une véritable tension dramatique à ce livre. Denis continue d'ajouter de nouveaux personnages à une fresque qui n'en manquait pas, mais cela ne fait que diluer l'intérêt de la narration, surtout quand elle choisit de se focaliser sur des personnages relativement secondaires. La société de la Charte, qui fait cohabiter des humains ordinaires épris de liberté et des humains plus ou moins modifiés qui veillent sur les autres, est en difficulté en raison de l'épidémie de grand sommeil qui entraîne l'absence effective d'un nombre grandissant d'individus. Son ennemie, le monde des Cartels, va tenter d'en profiter tandis que les secrets de la planète Ninhs se dissipent au fil des péripéties. Si Denis a tenté d'assimiler certaines des recettes narratives de Banks, il lui manque sa capacité de rendre ses antagonistes complètement haïssables et de ménager le suspense avant l'affrontement en jouant avec les évaluations par le lecteur des forces en présence, au besoin en l'induisant en erreur...
La polarisation est un mal nécessaire de la fiction populaire, mais L'Empire du sommeil compte tellement d'acteurs fondamentalement bien-intentionnés qui se contrecarrent pour des raisons superficielles que les conflits correspondants n'ont ni le poids ni l'intensité nécessaires. De plus, lorsqu'il y aurait des raisons de réagir, ses personnages en mesure de le faire s'abstiennent. Cette belle illustration de la maxime citée par Kennedy en s'adressant au Parlement canadien durant la Guerre froide, « The only thing necessary for the triumph of evil is for good men to do nothing », distancie le lecteur qui souhaiterait prendre parti pour les uns ou les autres. En définitive, le diptyque de Denis met en scène le triomphe d'un millénaire d'obscurantisme subi par les humains de Ninhs, d'un millénaire de despotisme vécu par les serviteurs de Kiris T. Kiris et d'un millénaire d'inégalités pour les exploités du monde des Cartels. Quelque part, la moralité supérieure de la société de la Charte serait plus convaincante si quelques-uns des post-humains relatifs au cœur de l'intrigue (les Grands Modifiés qui animent les vaisseaux intelligents et disposent d'une nanotechnologie toute-puissante, ou même les initiés de Ninhs qui savent que les autorités de la collectivité humaine se trompent) manifestaient un minimum de culpabilité par rapport à ce qu'ils ont laissé faire pendant tout ce temps.
Dès la deuxième partie de La Saison des singes, le lecteur aborde un univers plus vaste, peuplé d'humains et de vaisseaux intelligents qui dialoguent entre eux (comme dans les romans de Banks). Un détective privée est sur les traces d'une criminelle sans scrupule qui se balade avec de la nanotechnologie de haute volée et qui est également recherchée par des agents de l'Office de l'application de la Charte qui garantit le fonctionnement de cette société futuriste. Il y a affrontement, naufrage et dispersion des nouveaux personnages sur une planète inconnue, ou sur le chemin du retour, le tout se passant près d'un millénaire avant les événements de la première partie... Cette partie du roman se lit d'une traite et sème quelques énigmes à éclaircir ultérieurement pour entretenir le suspense. L'action ralentit dans la seconde moitié du roman puisqu'elle se partage désormais entre les personnages de la première et de la deuxième parties. La collectivité humaine issue des naufragés entre en contact avec les autochtones de la planète perdue, mais aussi avec des survivants du naufrage qui ont bravé les siècles. Le tout se termine sans conclure.
Le second volet du diptyque, L'Empire du sommeil, a fait attendre les lecteurs du premier pendant plusieurs années. Même si Denis livre l'aboutissement attendu depuis le naufrage du vaisseau l'Abondant, il manque un fil conducteur susceptible d'imposer une véritable tension dramatique à ce livre. Denis continue d'ajouter de nouveaux personnages à une fresque qui n'en manquait pas, mais cela ne fait que diluer l'intérêt de la narration, surtout quand elle choisit de se focaliser sur des personnages relativement secondaires. La société de la Charte, qui fait cohabiter des humains ordinaires épris de liberté et des humains plus ou moins modifiés qui veillent sur les autres, est en difficulté en raison de l'épidémie de grand sommeil qui entraîne l'absence effective d'un nombre grandissant d'individus. Son ennemie, le monde des Cartels, va tenter d'en profiter tandis que les secrets de la planète Ninhs se dissipent au fil des péripéties. Si Denis a tenté d'assimiler certaines des recettes narratives de Banks, il lui manque sa capacité de rendre ses antagonistes complètement haïssables et de ménager le suspense avant l'affrontement en jouant avec les évaluations par le lecteur des forces en présence, au besoin en l'induisant en erreur...
La polarisation est un mal nécessaire de la fiction populaire, mais L'Empire du sommeil compte tellement d'acteurs fondamentalement bien-intentionnés qui se contrecarrent pour des raisons superficielles que les conflits correspondants n'ont ni le poids ni l'intensité nécessaires. De plus, lorsqu'il y aurait des raisons de réagir, ses personnages en mesure de le faire s'abstiennent. Cette belle illustration de la maxime citée par Kennedy en s'adressant au Parlement canadien durant la Guerre froide, « The only thing necessary for the triumph of evil is for good men to do nothing », distancie le lecteur qui souhaiterait prendre parti pour les uns ou les autres. En définitive, le diptyque de Denis met en scène le triomphe d'un millénaire d'obscurantisme subi par les humains de Ninhs, d'un millénaire de despotisme vécu par les serviteurs de Kiris T. Kiris et d'un millénaire d'inégalités pour les exploités du monde des Cartels. Quelque part, la moralité supérieure de la société de la Charte serait plus convaincante si quelques-uns des post-humains relatifs au cœur de l'intrigue (les Grands Modifiés qui animent les vaisseaux intelligents et disposent d'une nanotechnologie toute-puissante, ou même les initiés de Ninhs qui savent que les autorités de la collectivité humaine se trompent) manifestaient un minimum de culpabilité par rapport à ce qu'ils ont laissé faire pendant tout ce temps.
Libellés : Livres, Science-fiction
2014-05-29
Le Melkine d'Olivier Paquet
Je n'avais rien lu de Paquet depuis Structura Maxima, même si un exemplaire des Loups de Prague (2011) se trouve dans ma pile de lectures en attente. Le Melkine (2012) amorce une trilogie annoncée comme du space-opéra. Ouvrage ambitieux, il relève d'un space-opéra un peu atypique même si l'action se passe presque entièrement dans l'espace. Paquet imagine un futur où l'humanité a quitté la Terre (à bord de villes plus ou moins volantes) pour coloniser des planètes qui reconstituent différentes cultures du passé en soumettant les habitants à un conditionnement culturel plus ou moins contraignant. Le Melkine est un vaisseau spatial qui sert de trait d'union entre ces mondes menacés de fragmentation culturelle par leur conception même, car il abrite une sorte d'université ambulante ouverte à tous et toutes pour enseigner à enseigner, ce qui exige de faire l'apprentissage d'une pensée autonome. La fragmentation est aussi opposée par des empires médiatiques dont le plus puissant est celui de la Technoprophète, dénommée Azuréa, qui souhaite également sauver l'Expansion humaine de la dérive (identitaire?) qui la condamne.
L'intrigue se concentre sur le destin des principaux acteurs d'une classe à bord du Melkine, à l'aube de l'affrontement redouté entre le Melkine et la Technoprophète. Une poignée d'étudiants en fin de parcours, dont Ismaël, Alexandre, Théo et Myriam, et une poignée de professeurs, dont Arthur et Indira. L'action se noue durant l'escale du Melkine autour de la planète Babil-One, lorsque le jeune Ismaël s'éprend d'une clone de la Technoprophète qu'il convainc de tenter de le rejoindre à bord du Melkine comme étudiante. Lorsque la clone d'Azuréa choisit de se sacrifier, la vengeance d'Ismaël oblige le Melkine à choisir ou non de se soumettre.
Paquet signe un roman redoutablement intelligent qui prépare, en principe, le déclenchement d'une guerre ouverte entre la Technoprophète, qui a maîtrisé la communication instantanée, et l'idéal d'indépendance du Melkine. Le lecteur ne doute jamais de la valeur de l'éducation dispensée par les professeurs du Melkine, sauf une fois ou deux. En outre, Paquet étale toutes les ressources de sa plume d'écrivain en signant plus d'un passage d'une grande force ou d'une grande beauté.
Toutefois, les scènes les plus réussies ne servent pas toujours le roman. Le premier chapitre est une plongée haletante dans un monde exotique où les humains sont modifiés, la chair est une marchandise, la vie privée est une obscénité et une jeune femme s'amuse à chasser des êtres humains pour le plaisir de transformer son corps. Comme le reste du roman est beaucoup plus conventionnel (discussions en classe, réunions de profs, exercices d'apprentissage, etc.), l'intérêt retombe un tantinet. Il faut attendre le rendez-vous du Melkine avec la station spatiale de Babil-One et les festivités qui s'engagent pour que les enjeux se précisent.
Le souci esthétique de Paquet fait danser la narration sur une corde raide. Si le spectacle du cirque de Banquise offre un moment d'émotion sublime, porté par une prose inattaquable, la description de l'envol des villes et pays de la Terre, avec ses clins d'œil à Bester et Blish, frise le ridicule tellement il est peu convaincant du point de vue techno-scientifique. Néanmoins, comme il y a trop de romans qui se moquent tant de l'esthétique que de l'émotion que peut procurer une écriture maîtrisée, on applaudira le funambule même lorsqu'il manque chuter.
En fin de compte, le lecteur cherchera à savoir s'il doit adhérer à la cause du Melkine. Paquet n'échappe pas à son propre conditionnement culturel : le roman se lit en partie comme la mise en scène d'une opposition entre Grande École à la française et empire médiatique anglo-américain. L'ENA contre Rupert Murdoch, si on veut. Certes, Paquet souhaite clairement opposer l'idéal de l'humanisme universitaire au formatage de la pensée par les conditionnements culturels ou par la vacuité de la communication pour la communication, mais ses personnages (tant les profs que les étudiants) ont si bien intégré leur mission de libération des esprits qu'ils transpirent la conviction d'appartenir à une élite qui ne s'identifie pas comme telle. Tout comme l'univers de Harry Potter incarnait une certaine idée de l'éducation britannique (formation du caractère plutôt que de l'intellect, on l'aura remarqué, puisque le héros n'est pas Hermione mais Harry), le Melkine distille l'essence d'un système à l'origine d'une certaine arrogance française, pour ne pas parler de l'obsession hexagonale du diplôme et du classement hiérarchique (ah, la mention du « major de promo » au détour d'une réplique...), en prônant la maîtrise non pas nécessairement d'un sujet mais du discours sur celui-ci.
Un des points culminants du roman, la visite des extraterrestres sensualistes de Babil-One, exprime beaucoup de choses avec une subtilité hypercodée digne des circonlocutions d'une cour impériale et qu'on pourrait traduire plus brutalement par la nécessité d'équilibrer la formation cérébrale des étudiants du Melkine et leur apprivoisement du charnel. Ce qui laisse plus que songeur, c'est le recours à des extraterrestres métamorphes (qui rappellent les créatures de l'océan solarien dans Solaris). Instrumentalisation de la sexualité, aliénation de l'alien, subordination de l'Autre aux désirs et besoins humains... Le colonialisme (orientaliste à ses heures... ou non?) a aussi fait partie de la « grandeur » française et une telle initiation à l'amour ou à la sexualité, c'est selon, en dit long sur la conception de l'une comme de l'autre.
Comme il s'agit du premier tome d'une trilogie, aucun jugement ne saurait être définitif. Le plus ironique, c'est qu'alors qu'il est beaucoup question d'étoiles et d'espace, on ne comprend jamais tout à fait en quoi le Melkine incarne l'idéal du voyage spatial ou de la découverte de l'Univers. C'est un sujet récurrent du space-opéra français que la soif des horizons galactiques — puissamment articulée en son temps par Aucune étoile aussi lointaine de Serge Lehman — et Paquet a sans doute un peu trop joué la difficulté en commençant dans ce volume par camper une série de mondes clos (planètes asservies à leur conditionnement culturel et locaux fermés du Melkine). Les tomes suivants permettront-ils aux acteurs de la trilogie comme aux lecteurs de sortir de ces cadres trop bien définis? C'est à voir.
L'intrigue se concentre sur le destin des principaux acteurs d'une classe à bord du Melkine, à l'aube de l'affrontement redouté entre le Melkine et la Technoprophète. Une poignée d'étudiants en fin de parcours, dont Ismaël, Alexandre, Théo et Myriam, et une poignée de professeurs, dont Arthur et Indira. L'action se noue durant l'escale du Melkine autour de la planète Babil-One, lorsque le jeune Ismaël s'éprend d'une clone de la Technoprophète qu'il convainc de tenter de le rejoindre à bord du Melkine comme étudiante. Lorsque la clone d'Azuréa choisit de se sacrifier, la vengeance d'Ismaël oblige le Melkine à choisir ou non de se soumettre.
Paquet signe un roman redoutablement intelligent qui prépare, en principe, le déclenchement d'une guerre ouverte entre la Technoprophète, qui a maîtrisé la communication instantanée, et l'idéal d'indépendance du Melkine. Le lecteur ne doute jamais de la valeur de l'éducation dispensée par les professeurs du Melkine, sauf une fois ou deux. En outre, Paquet étale toutes les ressources de sa plume d'écrivain en signant plus d'un passage d'une grande force ou d'une grande beauté.
Toutefois, les scènes les plus réussies ne servent pas toujours le roman. Le premier chapitre est une plongée haletante dans un monde exotique où les humains sont modifiés, la chair est une marchandise, la vie privée est une obscénité et une jeune femme s'amuse à chasser des êtres humains pour le plaisir de transformer son corps. Comme le reste du roman est beaucoup plus conventionnel (discussions en classe, réunions de profs, exercices d'apprentissage, etc.), l'intérêt retombe un tantinet. Il faut attendre le rendez-vous du Melkine avec la station spatiale de Babil-One et les festivités qui s'engagent pour que les enjeux se précisent.
Le souci esthétique de Paquet fait danser la narration sur une corde raide. Si le spectacle du cirque de Banquise offre un moment d'émotion sublime, porté par une prose inattaquable, la description de l'envol des villes et pays de la Terre, avec ses clins d'œil à Bester et Blish, frise le ridicule tellement il est peu convaincant du point de vue techno-scientifique. Néanmoins, comme il y a trop de romans qui se moquent tant de l'esthétique que de l'émotion que peut procurer une écriture maîtrisée, on applaudira le funambule même lorsqu'il manque chuter.
En fin de compte, le lecteur cherchera à savoir s'il doit adhérer à la cause du Melkine. Paquet n'échappe pas à son propre conditionnement culturel : le roman se lit en partie comme la mise en scène d'une opposition entre Grande École à la française et empire médiatique anglo-américain. L'ENA contre Rupert Murdoch, si on veut. Certes, Paquet souhaite clairement opposer l'idéal de l'humanisme universitaire au formatage de la pensée par les conditionnements culturels ou par la vacuité de la communication pour la communication, mais ses personnages (tant les profs que les étudiants) ont si bien intégré leur mission de libération des esprits qu'ils transpirent la conviction d'appartenir à une élite qui ne s'identifie pas comme telle. Tout comme l'univers de Harry Potter incarnait une certaine idée de l'éducation britannique (formation du caractère plutôt que de l'intellect, on l'aura remarqué, puisque le héros n'est pas Hermione mais Harry), le Melkine distille l'essence d'un système à l'origine d'une certaine arrogance française, pour ne pas parler de l'obsession hexagonale du diplôme et du classement hiérarchique (ah, la mention du « major de promo » au détour d'une réplique...), en prônant la maîtrise non pas nécessairement d'un sujet mais du discours sur celui-ci.
Un des points culminants du roman, la visite des extraterrestres sensualistes de Babil-One, exprime beaucoup de choses avec une subtilité hypercodée digne des circonlocutions d'une cour impériale et qu'on pourrait traduire plus brutalement par la nécessité d'équilibrer la formation cérébrale des étudiants du Melkine et leur apprivoisement du charnel. Ce qui laisse plus que songeur, c'est le recours à des extraterrestres métamorphes (qui rappellent les créatures de l'océan solarien dans Solaris). Instrumentalisation de la sexualité, aliénation de l'alien, subordination de l'Autre aux désirs et besoins humains... Le colonialisme (orientaliste à ses heures... ou non?) a aussi fait partie de la « grandeur » française et une telle initiation à l'amour ou à la sexualité, c'est selon, en dit long sur la conception de l'une comme de l'autre.
Comme il s'agit du premier tome d'une trilogie, aucun jugement ne saurait être définitif. Le plus ironique, c'est qu'alors qu'il est beaucoup question d'étoiles et d'espace, on ne comprend jamais tout à fait en quoi le Melkine incarne l'idéal du voyage spatial ou de la découverte de l'Univers. C'est un sujet récurrent du space-opéra français que la soif des horizons galactiques — puissamment articulée en son temps par Aucune étoile aussi lointaine de Serge Lehman — et Paquet a sans doute un peu trop joué la difficulté en commençant dans ce volume par camper une série de mondes clos (planètes asservies à leur conditionnement culturel et locaux fermés du Melkine). Les tomes suivants permettront-ils aux acteurs de la trilogie comme aux lecteurs de sortir de ces cadres trop bien définis? C'est à voir.
Libellés : Livres, Science-fiction
2014-05-08
Le lancement officiel des 24 heures de science au Québec
Pour la neuvième année consécutive, les organismes de culture scientifique et de nombreux acteurs ou intervenants individuels conjugueront leurs efforts pendant vingt-heures pour rejoindre le public que les sciences pourraient intéresser. L'événement des 24 heures de science était lancé aujourd'hui par une conférence de presse au Centre de démonstration en sciences physiques (CDSP) au cégep Garneau. Jacques Kirouac, l'animateur principal de Science pour tous, a commencé par présenter l'événement qui comptera plus de 250 activités dans tout le Québec cette année, réparties sur les 9 et 10 mai. Quelques événements en avant-première, comme le concours de la meilleure formule pour la science-fiction auquel les visiteurs du congrès Boréal ont pu assister dimanche dernier, ont déjà lancé le bal, d'ailleurs, mais le gros des activités reste concentré sur vingt-quatre heures, top chrono.
Le porte-parole régional de l'événement, le neurologue Yves de Koninck, a pris la parole ensuite pour évoquer les activités dans la région de Québec, dont un exercice de visionnement de neurones à l'Institut universitaire en santé mentale, de l'astronomie en temps réel, de l'ornithologie ou une visite à l'Aquarium. Il est d'ailleurs plus que temps de consulter le programme, car certaines activités auront déjà lieu à guichets fermés. Enfin, Marcel Lafleur, le directeur du CDSP, et Jean-Denis Brisson, qui propose une activité d'entomologie, ont prononcé quelques mots pour mettre fin à la partie officielle de la conférence de presse avant que Dominic Boudreau présente un extrait de la conférence « Énergies » (.PDF) que le CDSP ouvrira au grand public samedi.
Le porte-parole régional de l'événement, le neurologue Yves de Koninck, a pris la parole ensuite pour évoquer les activités dans la région de Québec, dont un exercice de visionnement de neurones à l'Institut universitaire en santé mentale, de l'astronomie en temps réel, de l'ornithologie ou une visite à l'Aquarium. Il est d'ailleurs plus que temps de consulter le programme, car certaines activités auront déjà lieu à guichets fermés. Enfin, Marcel Lafleur, le directeur du CDSP, et Jean-Denis Brisson, qui propose une activité d'entomologie, ont prononcé quelques mots pour mettre fin à la partie officielle de la conférence de presse avant que Dominic Boudreau présente un extrait de la conférence « Énergies » (.PDF) que le CDSP ouvrira au grand public samedi.
2014-05-01
L'heure des richesses naturelles
La Journée du CIRST (Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie) était, d'une part, l'occasion de revoir des collègues et, d'autre part, de parler de théories déterministes (et plus ou moins locales) de la mécanique quantique. Certes, l'humeur était un peu morose, le Père Noël subventionnaire ayant sabré dans le soutien du centre. D'où l'observation répétée que le Canada, ainsi que le Québec, misait de plus en plus sur le développement des ressources naturelles (autrefois appelées des « richesses naturelles » au Québec) et de moins en moins sur la recherche et le développement, d'où découle une minoration de l'intérêt pour les sciences et la technologie. Bonjour, sables bitumineux, pétrole de schiste et Plan Nord! Au revoir, industries manufacturières et entreprises de haute technologie!
L'horaire ayant été un peu chamboulé par les événements et mon autobus ayant pris du retard entre Québec et Montréal, je ne suis arrivé qu'à la fin de la présentation de Vincent Larivière sur l'évolution du domaine STS telle que déduite de ses Handbooks. Catherine Beaudry a pris la relève en rapportant les résultats d'un sondage des jeunes scientifiques et chercheurs dans le monde. Même si le nombre de pays considérés était restreint, ses constats méthodologiques suggéraient des pistes de travail ultérieures dignes d'attention. Enfin, Majlinda Zhegu a conclu cet atelier en présentant certains traits saillants de l'économie numérique. Elle a commencé par rappeler que 40% de la population mondiale aurait accès à l'internet et que 16% de cette population disposerait d'un téléphone portable. L'économie numérique ainsi constituée se distinguerait par sa fécondité en innovations, le rythme de ses perfectionnements et l`étendue de ses applications, sans parler de la connectivité qu'elle instaure et de sa tendance à réduire certains coûts jusqu'à les faire disparaître. Mais si l'acquisition de biens distribués en ligne coûte de moins en moins cher, ce n'est pas nécessairement le cas des frais de production. Tandis que l'informatique, les télécommunications et la biotechnologie se retrouvent à l'avant-garde de l'économique numérique, les consommateurs deviennent des co-créateurs (dans le cas des réseaux sociaux, même si ces « co-créateurs » ne captent qu'une petite part des profits qu'ils génèrent — co-créateurs de tous les pays, unissez-vous !), les réseaux ont désormais souvent plus de valeur que les productions matérielles qui leur permettent d'exister et l'alternative compétition-coopération cède le pas à la « co-opétition » (néologisme assez affreux, mais malheureusement typique de la nouvelle économie). Zhegu a conclu en évoquant les secteurs en voie de transformation (l'éducation, la santé, la finance, la gouvernance, l'agriculture et les communications) ainsi que les innovations susceptibles de s'imposer de manière transversale : la datamasse (Big Data), les analyses prédictives, l'intelligence distribuée, le socio-financement et ainsi de suite. Quelque part entre le panégyrique et l'utopie, ce discours sur l'économie numérique inspire surtout des réserves sur les innovations qu'elle porte (l'électricité coûte-t-elle moins cher ? nous déplaçons-nous plus vite ? avons-nous guéri le cancer ? lisons-nous de meilleurs livres ?) et une réflexion sur l'origine de ses bénéfices. En définitive, l'économie numérique n'est-elle si lucrative que parce qu'elle a converti en marchandise des activités autrefois portées par d'autres médiats et d'autres technologies (lecture, musique, écriture) quand elles n'échappaient pas carrément au monde du commerce (le bavardage, le visionnement de photos de famille, voire le commérage) ? Ce qui tendrait à relativiser sa part d'originalité...
L'horaire ayant été un peu chamboulé par les événements et mon autobus ayant pris du retard entre Québec et Montréal, je ne suis arrivé qu'à la fin de la présentation de Vincent Larivière sur l'évolution du domaine STS telle que déduite de ses Handbooks. Catherine Beaudry a pris la relève en rapportant les résultats d'un sondage des jeunes scientifiques et chercheurs dans le monde. Même si le nombre de pays considérés était restreint, ses constats méthodologiques suggéraient des pistes de travail ultérieures dignes d'attention. Enfin, Majlinda Zhegu a conclu cet atelier en présentant certains traits saillants de l'économie numérique. Elle a commencé par rappeler que 40% de la population mondiale aurait accès à l'internet et que 16% de cette population disposerait d'un téléphone portable. L'économie numérique ainsi constituée se distinguerait par sa fécondité en innovations, le rythme de ses perfectionnements et l`étendue de ses applications, sans parler de la connectivité qu'elle instaure et de sa tendance à réduire certains coûts jusqu'à les faire disparaître. Mais si l'acquisition de biens distribués en ligne coûte de moins en moins cher, ce n'est pas nécessairement le cas des frais de production. Tandis que l'informatique, les télécommunications et la biotechnologie se retrouvent à l'avant-garde de l'économique numérique, les consommateurs deviennent des co-créateurs (dans le cas des réseaux sociaux, même si ces « co-créateurs » ne captent qu'une petite part des profits qu'ils génèrent — co-créateurs de tous les pays, unissez-vous !), les réseaux ont désormais souvent plus de valeur que les productions matérielles qui leur permettent d'exister et l'alternative compétition-coopération cède le pas à la « co-opétition » (néologisme assez affreux, mais malheureusement typique de la nouvelle économie). Zhegu a conclu en évoquant les secteurs en voie de transformation (l'éducation, la santé, la finance, la gouvernance, l'agriculture et les communications) ainsi que les innovations susceptibles de s'imposer de manière transversale : la datamasse (Big Data), les analyses prédictives, l'intelligence distribuée, le socio-financement et ainsi de suite. Quelque part entre le panégyrique et l'utopie, ce discours sur l'économie numérique inspire surtout des réserves sur les innovations qu'elle porte (l'électricité coûte-t-elle moins cher ? nous déplaçons-nous plus vite ? avons-nous guéri le cancer ? lisons-nous de meilleurs livres ?) et une réflexion sur l'origine de ses bénéfices. En définitive, l'économie numérique n'est-elle si lucrative que parce qu'elle a converti en marchandise des activités autrefois portées par d'autres médiats et d'autres technologies (lecture, musique, écriture) quand elles n'échappaient pas carrément au monde du commerce (le bavardage, le visionnement de photos de famille, voire le commérage) ? Ce qui tendrait à relativiser sa part d'originalité...
Le second atelier de la journée a porté sur les questions énergétiques. Jorge Niosi et Xue « Snow » Han se sont intéressés au cas de l'énergie solaire en se posant la question de savoir si le rattrapage industriel dans un tel secteur technologique exige l'activité de scientifiques étoiles au sein des firmes à la traîne. Niosi a commencé par rappeler certaines contributions fondamentales à cette problématique, dont l'article de William J. Baumol, S. A. Batey Blackman et E. N. Wolff en 1989 dans Productivity
and American Leadership: The Long view, l'ouvrage Uneven growth between interdependent economies (1993) de Bart Verspagen et l'article « Technological Regimes, Catching-up and Leapfrogging: Findings from the Korean Industries » de Chaisung Lim et Keun Lee en 2001. Dans un monde où les économies les plus pauvres et les plus riches sont loin de converger aussi rapidement que le voudraient les principes économiques, il semble néanmoins acquis que certaines industries spécifiques sont capables de converger d'un pays à l'autre. Dans certains cas, les industries à la traîne rattrapent les plus avancées en passant par les mêmes étapes, mais elles peuvent aussi sauter des étapes ou emprunter des voies inédites. Si certaines théories attribuent un rôle déterminant à des personnages cruciaux (entrepreneurs vedettes ou chercheurs étoiles), Niosi souligne plutôt le rôle incontournable d'un système national d'innovation. Si la Chine et les Tigres asiatiques (Corée du Sud, Taiwan, Hong Kong, Singapour) ont réussi à rivaliser avec les industries occidentales, c'est grâce à la conjonction d'entreprises, de chercheurs, d'investisseurs (étatiques ou non) et d'une main-d'œuvre industrieuse. La domination chinoise de l'industrie solaire l'entraîne toutefois à relativiser l'importance de la recherche et du développement. Comme c'est plus facile de copier que d'innover, les Chinois ont exploité les brevets occidentaux (surtout étatsuniens) avec quelques années de retard sur ce qui se fait de mieux, mais en offrant des produits de moindre qualité à des prix imbattables. Cette stratégie ne saurait marcher aussi bien avec des industries reposant sur le secret industriel plutôt que l'amélioration continue des techniques au moyen d'innovations brevetées, mais l'avantage chinois en la matière pourrait expliquer à la fois le choix stratégique canadien de miser de plus en plus sur les ressources naturelles et le décrochage canadien en recherche et développement. Bref, si l'avenir du solaire semble prometteur (en mesure de concurrencer les énergies conventionnelles dès 2020), il sera peut-être chinois.
Au passage, une figure affichée à l'écran illustrait la croissance du secteur du solaire aux États-Unis relativement à celui des piles à combustible, le second correspondant aux investissements soutenus par l'administration Bush et se faisant rattraper par le premier à la suite des investissements soutenus par l'administration Obama. L'inextricable imbrication de la technique et de la politique apparaissait assez clairement... Il aurait sans doute été possible d'établir un lien entre le décrochage de la recherche et du développement (au Canada ou ailleurs) et l'essor de l'économie numérique. La circulation de l'information réduirait la valeur ajoutée de la RD, puisque tout se sait et se comprend, et augmenterait la valeur relative des ressources naturelles.
Stéphane Savard s'est intéressé ensuite à la planification par les experts dans le contexte hydro-québécois. Citant le numéro du Bulletin d'histoire politique sur la pensée scientifique et la prise de décision politique, dirigé par Martin Pâquet, Savard note qu'à partir des années soixante, le savoir-faire des experts passe au premier plan de la gestion et de la gouvernance. À l'intérieur du périmètre du ministère des Richesses ou Ressources naturelles, Hydro-Québec est dominé par des économistes et des ingénieurs. Le fonds Michel Bélanger à la BANQ révèle la vogue de la planification au sein du gouvernement québécois à cette époque. Bélanger évoque en 1962 les difficultés de la prévision d'un futur où les variables sont nombreuses, inter-reliées et sujettes à des influences externes. En pratique, la planification prend au moins quatre formes chez Hydro-Québec. Elle est économique quand elle tente de prédire l'évolution de la demande, au risque de se tromper lourdement en ce qui concerne la prévision d'une croissance sans fin de celle-ci. Elle est énergétique quand il s'agit de prédire l'évolution des prix, de l'innovation et de la construction, non sans quelques erreurs aussi. (Les tarifs de Churchill Falls auront-ils été prévus à la baisse parce qu'on prévoyait une baisse des prix de l'électricité en raison de la diffusion du nucléaire.) Elle est technologique quand elle fixe des objectifs à la recherche et au développement : mise sur pied d'une filière nucléaire, mise au point de lignes à très haute tension ou étude des impacts écologiques. Elle est environnementale quand elle cherche à minimiser ces impacts et à aller dans le sens du développement durable.
Yves Gingras complète l'histoire en rappelant les débuts du nucléaire au Québec, dans un contexte où on prédisait un taux de croissance de la demande de l'ordre de 7,8 % par année, avant le choc pétrolier, la dénatalité et les crises économiques. Par souci de symétrie, il importe d'étudier les innovations avortées, comme la centrale Gentilly 1 afin d'incorporer l'incertitude et la possibilité d'erreur dans la planification. Au Canada, le nucléaire civil avait été lancé en 1955 par Énergie atomique du Canada sous la forme du CANDU. Le réacteur expérimental NPD avait démontré le potentiel de cette filière en 1952 et le réacteur de Douglas Point avait amorcé l'adoption par Hydro-Ontario de cette nouvelle source d'énergie. Au Québec, une autre voie est d'abord explorée par les scientifiques et ingénieurs qui construisent Gentilly 1 comme une centrale BLW (à eau bouillante légère, et non à eau lourde). Lorsque la réactivité du cœur s'avère plus élevée que prévu, les autorités envisageront plusieurs solutions de rechange avant d'admettre l'instabilité foncière du système et de se résigner à construire Gentilly 2 selon le modèle CANDU. Alors qu'il avait été question de construire de nombreux réacteurs le long du Saint-Laurent pour satisfaire à la demande appréhendée, ces atermoiements auront suffisamment retardé le développement du nucléaire au Québec pour qu'il soit possible de l'annuler lorsque la crise énergétique rend inutiles ces dizaines de réacteurs envisagés... Gingras en tire une conclusion sur l'intérêt de la flexibilité technologique : les technologies moins lourdes résistent mieux aux contingences historiques. Un réacteur nucléaire devait être terminé ou abandonné, mais il était possible de construire des barrages hydro-électriques de moins grande envergure lorsque la demande s'est effondrée, en attendant de pouvoir revenir à des projets plus ambitieux.
Après la pause, Lyse Roy a évoqué les révoltes étudiantes dans la France médiévale entre 1229 et 1499. En vertu des privilèges accordés aux étudiants et reconnus par le pape, les étudiants disposaient d'un droit de protestation qui prenait la forme d'une cessation des cours (presque d'une... grève) si les autorités civiles (à Paris, par exemple) outrepassaient leur compétence ou abusaient des étudiants. Normalement, les étudiants ne relevaient pas des tribunaux ordinaires, mais de ceux de l'évêque de Paris. Entre 1229 et 1399, il y aura 13 ou 14 suspensions des études en guise de protestation. Ces suspensions sont plus nombreuses encore au XVe siècle, en particulier entre 1440 et 1460 quand on en compte neuf. Dès lors, des monarques successifs — Charles VII, Louis XI et Louis XII — serreront la vis aux étudiants qui auront alors recours à d'autres moyens de pression : la suspension de la prédication dominicale, l'excommunicaion ou des performances théâtrales, voire des processions. Quand Louis XII fait de la cessation de cours un crime de lèse-majesté en 1499, ce sera la fin pour longtemps de ces résistances étudiantes.
Dans un contexte plus récent, Yamina Bettahar a fait l'histoire de la question des étudiants étrangers en France. Dès la fin du XIXe siècle, des étudiants d'Europe centrale ou des Balkans affluent en France, attirés par le prestige de la Sorbonne à Paris, de Polytechnique, de l'École des Mines ou de l'École des Ponts et Chaussées. Avant la Première Guerre mondiale, dans les filières technologiques de certaines facultés de science (à Nancy, Toulouse ou Grenoble), les étudiants étrangers seront plus nombreux que les français. Les étudiants dits « coloniaux » (fils et filles de colonisateurs ou de colonisés) arrivent à l'aube des années quarante et sont de plus en plus nombreux après 1945, d'abord dans le contexte de démarches individuelles soutenues par des familles de notables ou de la classe moyenne, puis dans le cadre d'ententes inter-étatiques et de mesures administratives.
Enfin, Pierre Doray et Nicolas Bastien ont abordé un des grands enjeux du Printemps érable, soit celui de l'accessibilité aux études en cas de hausse des frais de scolarité. Doray a commencé par énumérer les objections entendues à l'époque pour soutenir qu'une hausse des frais n'affecterait par l'accessibilité. D'abord, l'importance d'une hausse était relativisée en soulignant que les frais de scolarité étaient nettement moins élevés au Québec qu'en Ontario, mais que la participation universitaire l'était également. Ensuite, les critiques faisaient état des autres facteurs affectant l'accès à l'université, en particulier l'aisance des familles dont les étudiants sont issus et la qualité de l'enseignement au secondaire ou au collégial. Enfin, compte tenu de la fréquentation de l'université par les plus favorisés, les empêcheurs de grève ont suggéré que ces frais moins élevés représentaient une subvention, ceteris paribus, des plus riches par les plus pauvres.
Doray commence par noter que, si on fait abstraction des étudiants issus de l'immigration dans les universités ontariennes, la fréquentation de celles-ci par les jeunes du cru n'est pas plus élevée qu'au Québec — ce qui révèlerait quand même un intérêt plus grand pour les universités puisque les frais sont plus lourds en Ontario... Afin de répondre à la question du rapport entre l'augmentation des frais et l'accessibilité, Doray et Bastien ont employé des enquêtes de Statistique Canada complétées entre 1995 et 2011 afin d'étudier plusieurs cohortes successives d'étudiants. En tenant compte des étudiants devenus adultes, il était évidemment possible de remonter bien avant 1995. Leur étude intégrait plusieurs variables, dont l'âge, le sexe, la langue, le capital scolaire des parents, les frais de scolarité et une tendance reflétant la massification de l'enseignement supérieur entre 1946 et 2011, de l'ordre de 1% à la hausse par année.
Parmi les conclusions exposées par Doray, j'ai retenu bien entendu l'effet négatif des hausses de frais de scolarité, évaluées à 3% en moins pour chaque tranche de 1000$ de frais en plus — ce qui n'est pas jugé statistiquement significatif par les auteurs, en fait. Cet effet presque nul cache toutefois des évolutions inverses aux deux extrémités de la distribution des étudiants en fonction du capital scolaire de leurs parents. Au Québec comme en Ontario, l'augmentation des frais a un effet négatif sur les étudiants dont les parents n'ont pas fait d'études postsecondaires : ces étudiants sont moins nombreux à s'inscrire. En revanche, cette augmentation a un effet positif sur les étudiants dont les parents ont fait des études postsecondaires. Ces étudiants sont plus nombreux à s'inscrire.
Un facteur qui n'a pas été mentionné toutefois, c'est la conjoncture économique. Souvent, les étudiants s'inscrivent en plus grand nombre à l'université quand l'économie ralentit, pour s'inscrire en plus petit nombre quand l'économie est florissante. Si une augmentation des frais coïncidait avec une reprise économique, une baisse des inscriptions ne serait pas nécessairement attribuable uniquement à l'augmentation.
Le colloque s'est conclu sur cette communication, en attendant l'année suivante.
Au passage, une figure affichée à l'écran illustrait la croissance du secteur du solaire aux États-Unis relativement à celui des piles à combustible, le second correspondant aux investissements soutenus par l'administration Bush et se faisant rattraper par le premier à la suite des investissements soutenus par l'administration Obama. L'inextricable imbrication de la technique et de la politique apparaissait assez clairement... Il aurait sans doute été possible d'établir un lien entre le décrochage de la recherche et du développement (au Canada ou ailleurs) et l'essor de l'économie numérique. La circulation de l'information réduirait la valeur ajoutée de la RD, puisque tout se sait et se comprend, et augmenterait la valeur relative des ressources naturelles.
Stéphane Savard s'est intéressé ensuite à la planification par les experts dans le contexte hydro-québécois. Citant le numéro du Bulletin d'histoire politique sur la pensée scientifique et la prise de décision politique, dirigé par Martin Pâquet, Savard note qu'à partir des années soixante, le savoir-faire des experts passe au premier plan de la gestion et de la gouvernance. À l'intérieur du périmètre du ministère des Richesses ou Ressources naturelles, Hydro-Québec est dominé par des économistes et des ingénieurs. Le fonds Michel Bélanger à la BANQ révèle la vogue de la planification au sein du gouvernement québécois à cette époque. Bélanger évoque en 1962 les difficultés de la prévision d'un futur où les variables sont nombreuses, inter-reliées et sujettes à des influences externes. En pratique, la planification prend au moins quatre formes chez Hydro-Québec. Elle est économique quand elle tente de prédire l'évolution de la demande, au risque de se tromper lourdement en ce qui concerne la prévision d'une croissance sans fin de celle-ci. Elle est énergétique quand il s'agit de prédire l'évolution des prix, de l'innovation et de la construction, non sans quelques erreurs aussi. (Les tarifs de Churchill Falls auront-ils été prévus à la baisse parce qu'on prévoyait une baisse des prix de l'électricité en raison de la diffusion du nucléaire.) Elle est technologique quand elle fixe des objectifs à la recherche et au développement : mise sur pied d'une filière nucléaire, mise au point de lignes à très haute tension ou étude des impacts écologiques. Elle est environnementale quand elle cherche à minimiser ces impacts et à aller dans le sens du développement durable.
Yves Gingras complète l'histoire en rappelant les débuts du nucléaire au Québec, dans un contexte où on prédisait un taux de croissance de la demande de l'ordre de 7,8 % par année, avant le choc pétrolier, la dénatalité et les crises économiques. Par souci de symétrie, il importe d'étudier les innovations avortées, comme la centrale Gentilly 1 afin d'incorporer l'incertitude et la possibilité d'erreur dans la planification. Au Canada, le nucléaire civil avait été lancé en 1955 par Énergie atomique du Canada sous la forme du CANDU. Le réacteur expérimental NPD avait démontré le potentiel de cette filière en 1952 et le réacteur de Douglas Point avait amorcé l'adoption par Hydro-Ontario de cette nouvelle source d'énergie. Au Québec, une autre voie est d'abord explorée par les scientifiques et ingénieurs qui construisent Gentilly 1 comme une centrale BLW (à eau bouillante légère, et non à eau lourde). Lorsque la réactivité du cœur s'avère plus élevée que prévu, les autorités envisageront plusieurs solutions de rechange avant d'admettre l'instabilité foncière du système et de se résigner à construire Gentilly 2 selon le modèle CANDU. Alors qu'il avait été question de construire de nombreux réacteurs le long du Saint-Laurent pour satisfaire à la demande appréhendée, ces atermoiements auront suffisamment retardé le développement du nucléaire au Québec pour qu'il soit possible de l'annuler lorsque la crise énergétique rend inutiles ces dizaines de réacteurs envisagés... Gingras en tire une conclusion sur l'intérêt de la flexibilité technologique : les technologies moins lourdes résistent mieux aux contingences historiques. Un réacteur nucléaire devait être terminé ou abandonné, mais il était possible de construire des barrages hydro-électriques de moins grande envergure lorsque la demande s'est effondrée, en attendant de pouvoir revenir à des projets plus ambitieux.
Après la pause, Lyse Roy a évoqué les révoltes étudiantes dans la France médiévale entre 1229 et 1499. En vertu des privilèges accordés aux étudiants et reconnus par le pape, les étudiants disposaient d'un droit de protestation qui prenait la forme d'une cessation des cours (presque d'une... grève) si les autorités civiles (à Paris, par exemple) outrepassaient leur compétence ou abusaient des étudiants. Normalement, les étudiants ne relevaient pas des tribunaux ordinaires, mais de ceux de l'évêque de Paris. Entre 1229 et 1399, il y aura 13 ou 14 suspensions des études en guise de protestation. Ces suspensions sont plus nombreuses encore au XVe siècle, en particulier entre 1440 et 1460 quand on en compte neuf. Dès lors, des monarques successifs — Charles VII, Louis XI et Louis XII — serreront la vis aux étudiants qui auront alors recours à d'autres moyens de pression : la suspension de la prédication dominicale, l'excommunicaion ou des performances théâtrales, voire des processions. Quand Louis XII fait de la cessation de cours un crime de lèse-majesté en 1499, ce sera la fin pour longtemps de ces résistances étudiantes.
Dans un contexte plus récent, Yamina Bettahar a fait l'histoire de la question des étudiants étrangers en France. Dès la fin du XIXe siècle, des étudiants d'Europe centrale ou des Balkans affluent en France, attirés par le prestige de la Sorbonne à Paris, de Polytechnique, de l'École des Mines ou de l'École des Ponts et Chaussées. Avant la Première Guerre mondiale, dans les filières technologiques de certaines facultés de science (à Nancy, Toulouse ou Grenoble), les étudiants étrangers seront plus nombreux que les français. Les étudiants dits « coloniaux » (fils et filles de colonisateurs ou de colonisés) arrivent à l'aube des années quarante et sont de plus en plus nombreux après 1945, d'abord dans le contexte de démarches individuelles soutenues par des familles de notables ou de la classe moyenne, puis dans le cadre d'ententes inter-étatiques et de mesures administratives.
Enfin, Pierre Doray et Nicolas Bastien ont abordé un des grands enjeux du Printemps érable, soit celui de l'accessibilité aux études en cas de hausse des frais de scolarité. Doray a commencé par énumérer les objections entendues à l'époque pour soutenir qu'une hausse des frais n'affecterait par l'accessibilité. D'abord, l'importance d'une hausse était relativisée en soulignant que les frais de scolarité étaient nettement moins élevés au Québec qu'en Ontario, mais que la participation universitaire l'était également. Ensuite, les critiques faisaient état des autres facteurs affectant l'accès à l'université, en particulier l'aisance des familles dont les étudiants sont issus et la qualité de l'enseignement au secondaire ou au collégial. Enfin, compte tenu de la fréquentation de l'université par les plus favorisés, les empêcheurs de grève ont suggéré que ces frais moins élevés représentaient une subvention, ceteris paribus, des plus riches par les plus pauvres.
Doray commence par noter que, si on fait abstraction des étudiants issus de l'immigration dans les universités ontariennes, la fréquentation de celles-ci par les jeunes du cru n'est pas plus élevée qu'au Québec — ce qui révèlerait quand même un intérêt plus grand pour les universités puisque les frais sont plus lourds en Ontario... Afin de répondre à la question du rapport entre l'augmentation des frais et l'accessibilité, Doray et Bastien ont employé des enquêtes de Statistique Canada complétées entre 1995 et 2011 afin d'étudier plusieurs cohortes successives d'étudiants. En tenant compte des étudiants devenus adultes, il était évidemment possible de remonter bien avant 1995. Leur étude intégrait plusieurs variables, dont l'âge, le sexe, la langue, le capital scolaire des parents, les frais de scolarité et une tendance reflétant la massification de l'enseignement supérieur entre 1946 et 2011, de l'ordre de 1% à la hausse par année.
Parmi les conclusions exposées par Doray, j'ai retenu bien entendu l'effet négatif des hausses de frais de scolarité, évaluées à 3% en moins pour chaque tranche de 1000$ de frais en plus — ce qui n'est pas jugé statistiquement significatif par les auteurs, en fait. Cet effet presque nul cache toutefois des évolutions inverses aux deux extrémités de la distribution des étudiants en fonction du capital scolaire de leurs parents. Au Québec comme en Ontario, l'augmentation des frais a un effet négatif sur les étudiants dont les parents n'ont pas fait d'études postsecondaires : ces étudiants sont moins nombreux à s'inscrire. En revanche, cette augmentation a un effet positif sur les étudiants dont les parents ont fait des études postsecondaires. Ces étudiants sont plus nombreux à s'inscrire.
Un facteur qui n'a pas été mentionné toutefois, c'est la conjoncture économique. Souvent, les étudiants s'inscrivent en plus grand nombre à l'université quand l'économie ralentit, pour s'inscrire en plus petit nombre quand l'économie est florissante. Si une augmentation des frais coïncidait avec une reprise économique, une baisse des inscriptions ne serait pas nécessairement attribuable uniquement à l'augmentation.
Le colloque s'est conclu sur cette communication, en attendant l'année suivante.
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