2014-05-29
Le Melkine d'Olivier Paquet
Je n'avais rien lu de Paquet depuis Structura Maxima, même si un exemplaire des Loups de Prague (2011) se trouve dans ma pile de lectures en attente. Le Melkine (2012) amorce une trilogie annoncée comme du space-opéra. Ouvrage ambitieux, il relève d'un space-opéra un peu atypique même si l'action se passe presque entièrement dans l'espace. Paquet imagine un futur où l'humanité a quitté la Terre (à bord de villes plus ou moins volantes) pour coloniser des planètes qui reconstituent différentes cultures du passé en soumettant les habitants à un conditionnement culturel plus ou moins contraignant. Le Melkine est un vaisseau spatial qui sert de trait d'union entre ces mondes menacés de fragmentation culturelle par leur conception même, car il abrite une sorte d'université ambulante ouverte à tous et toutes pour enseigner à enseigner, ce qui exige de faire l'apprentissage d'une pensée autonome. La fragmentation est aussi opposée par des empires médiatiques dont le plus puissant est celui de la Technoprophète, dénommée Azuréa, qui souhaite également sauver l'Expansion humaine de la dérive (identitaire?) qui la condamne.
L'intrigue se concentre sur le destin des principaux acteurs d'une classe à bord du Melkine, à l'aube de l'affrontement redouté entre le Melkine et la Technoprophète. Une poignée d'étudiants en fin de parcours, dont Ismaël, Alexandre, Théo et Myriam, et une poignée de professeurs, dont Arthur et Indira. L'action se noue durant l'escale du Melkine autour de la planète Babil-One, lorsque le jeune Ismaël s'éprend d'une clone de la Technoprophète qu'il convainc de tenter de le rejoindre à bord du Melkine comme étudiante. Lorsque la clone d'Azuréa choisit de se sacrifier, la vengeance d'Ismaël oblige le Melkine à choisir ou non de se soumettre.
Paquet signe un roman redoutablement intelligent qui prépare, en principe, le déclenchement d'une guerre ouverte entre la Technoprophète, qui a maîtrisé la communication instantanée, et l'idéal d'indépendance du Melkine. Le lecteur ne doute jamais de la valeur de l'éducation dispensée par les professeurs du Melkine, sauf une fois ou deux. En outre, Paquet étale toutes les ressources de sa plume d'écrivain en signant plus d'un passage d'une grande force ou d'une grande beauté.
Toutefois, les scènes les plus réussies ne servent pas toujours le roman. Le premier chapitre est une plongée haletante dans un monde exotique où les humains sont modifiés, la chair est une marchandise, la vie privée est une obscénité et une jeune femme s'amuse à chasser des êtres humains pour le plaisir de transformer son corps. Comme le reste du roman est beaucoup plus conventionnel (discussions en classe, réunions de profs, exercices d'apprentissage, etc.), l'intérêt retombe un tantinet. Il faut attendre le rendez-vous du Melkine avec la station spatiale de Babil-One et les festivités qui s'engagent pour que les enjeux se précisent.
Le souci esthétique de Paquet fait danser la narration sur une corde raide. Si le spectacle du cirque de Banquise offre un moment d'émotion sublime, porté par une prose inattaquable, la description de l'envol des villes et pays de la Terre, avec ses clins d'œil à Bester et Blish, frise le ridicule tellement il est peu convaincant du point de vue techno-scientifique. Néanmoins, comme il y a trop de romans qui se moquent tant de l'esthétique que de l'émotion que peut procurer une écriture maîtrisée, on applaudira le funambule même lorsqu'il manque chuter.
En fin de compte, le lecteur cherchera à savoir s'il doit adhérer à la cause du Melkine. Paquet n'échappe pas à son propre conditionnement culturel : le roman se lit en partie comme la mise en scène d'une opposition entre Grande École à la française et empire médiatique anglo-américain. L'ENA contre Rupert Murdoch, si on veut. Certes, Paquet souhaite clairement opposer l'idéal de l'humanisme universitaire au formatage de la pensée par les conditionnements culturels ou par la vacuité de la communication pour la communication, mais ses personnages (tant les profs que les étudiants) ont si bien intégré leur mission de libération des esprits qu'ils transpirent la conviction d'appartenir à une élite qui ne s'identifie pas comme telle. Tout comme l'univers de Harry Potter incarnait une certaine idée de l'éducation britannique (formation du caractère plutôt que de l'intellect, on l'aura remarqué, puisque le héros n'est pas Hermione mais Harry), le Melkine distille l'essence d'un système à l'origine d'une certaine arrogance française, pour ne pas parler de l'obsession hexagonale du diplôme et du classement hiérarchique (ah, la mention du « major de promo » au détour d'une réplique...), en prônant la maîtrise non pas nécessairement d'un sujet mais du discours sur celui-ci.
Un des points culminants du roman, la visite des extraterrestres sensualistes de Babil-One, exprime beaucoup de choses avec une subtilité hypercodée digne des circonlocutions d'une cour impériale et qu'on pourrait traduire plus brutalement par la nécessité d'équilibrer la formation cérébrale des étudiants du Melkine et leur apprivoisement du charnel. Ce qui laisse plus que songeur, c'est le recours à des extraterrestres métamorphes (qui rappellent les créatures de l'océan solarien dans Solaris). Instrumentalisation de la sexualité, aliénation de l'alien, subordination de l'Autre aux désirs et besoins humains... Le colonialisme (orientaliste à ses heures... ou non?) a aussi fait partie de la « grandeur » française et une telle initiation à l'amour ou à la sexualité, c'est selon, en dit long sur la conception de l'une comme de l'autre.
Comme il s'agit du premier tome d'une trilogie, aucun jugement ne saurait être définitif. Le plus ironique, c'est qu'alors qu'il est beaucoup question d'étoiles et d'espace, on ne comprend jamais tout à fait en quoi le Melkine incarne l'idéal du voyage spatial ou de la découverte de l'Univers. C'est un sujet récurrent du space-opéra français que la soif des horizons galactiques — puissamment articulée en son temps par Aucune étoile aussi lointaine de Serge Lehman — et Paquet a sans doute un peu trop joué la difficulté en commençant dans ce volume par camper une série de mondes clos (planètes asservies à leur conditionnement culturel et locaux fermés du Melkine). Les tomes suivants permettront-ils aux acteurs de la trilogie comme aux lecteurs de sortir de ces cadres trop bien définis? C'est à voir.
L'intrigue se concentre sur le destin des principaux acteurs d'une classe à bord du Melkine, à l'aube de l'affrontement redouté entre le Melkine et la Technoprophète. Une poignée d'étudiants en fin de parcours, dont Ismaël, Alexandre, Théo et Myriam, et une poignée de professeurs, dont Arthur et Indira. L'action se noue durant l'escale du Melkine autour de la planète Babil-One, lorsque le jeune Ismaël s'éprend d'une clone de la Technoprophète qu'il convainc de tenter de le rejoindre à bord du Melkine comme étudiante. Lorsque la clone d'Azuréa choisit de se sacrifier, la vengeance d'Ismaël oblige le Melkine à choisir ou non de se soumettre.
Paquet signe un roman redoutablement intelligent qui prépare, en principe, le déclenchement d'une guerre ouverte entre la Technoprophète, qui a maîtrisé la communication instantanée, et l'idéal d'indépendance du Melkine. Le lecteur ne doute jamais de la valeur de l'éducation dispensée par les professeurs du Melkine, sauf une fois ou deux. En outre, Paquet étale toutes les ressources de sa plume d'écrivain en signant plus d'un passage d'une grande force ou d'une grande beauté.
Toutefois, les scènes les plus réussies ne servent pas toujours le roman. Le premier chapitre est une plongée haletante dans un monde exotique où les humains sont modifiés, la chair est une marchandise, la vie privée est une obscénité et une jeune femme s'amuse à chasser des êtres humains pour le plaisir de transformer son corps. Comme le reste du roman est beaucoup plus conventionnel (discussions en classe, réunions de profs, exercices d'apprentissage, etc.), l'intérêt retombe un tantinet. Il faut attendre le rendez-vous du Melkine avec la station spatiale de Babil-One et les festivités qui s'engagent pour que les enjeux se précisent.
Le souci esthétique de Paquet fait danser la narration sur une corde raide. Si le spectacle du cirque de Banquise offre un moment d'émotion sublime, porté par une prose inattaquable, la description de l'envol des villes et pays de la Terre, avec ses clins d'œil à Bester et Blish, frise le ridicule tellement il est peu convaincant du point de vue techno-scientifique. Néanmoins, comme il y a trop de romans qui se moquent tant de l'esthétique que de l'émotion que peut procurer une écriture maîtrisée, on applaudira le funambule même lorsqu'il manque chuter.
En fin de compte, le lecteur cherchera à savoir s'il doit adhérer à la cause du Melkine. Paquet n'échappe pas à son propre conditionnement culturel : le roman se lit en partie comme la mise en scène d'une opposition entre Grande École à la française et empire médiatique anglo-américain. L'ENA contre Rupert Murdoch, si on veut. Certes, Paquet souhaite clairement opposer l'idéal de l'humanisme universitaire au formatage de la pensée par les conditionnements culturels ou par la vacuité de la communication pour la communication, mais ses personnages (tant les profs que les étudiants) ont si bien intégré leur mission de libération des esprits qu'ils transpirent la conviction d'appartenir à une élite qui ne s'identifie pas comme telle. Tout comme l'univers de Harry Potter incarnait une certaine idée de l'éducation britannique (formation du caractère plutôt que de l'intellect, on l'aura remarqué, puisque le héros n'est pas Hermione mais Harry), le Melkine distille l'essence d'un système à l'origine d'une certaine arrogance française, pour ne pas parler de l'obsession hexagonale du diplôme et du classement hiérarchique (ah, la mention du « major de promo » au détour d'une réplique...), en prônant la maîtrise non pas nécessairement d'un sujet mais du discours sur celui-ci.
Un des points culminants du roman, la visite des extraterrestres sensualistes de Babil-One, exprime beaucoup de choses avec une subtilité hypercodée digne des circonlocutions d'une cour impériale et qu'on pourrait traduire plus brutalement par la nécessité d'équilibrer la formation cérébrale des étudiants du Melkine et leur apprivoisement du charnel. Ce qui laisse plus que songeur, c'est le recours à des extraterrestres métamorphes (qui rappellent les créatures de l'océan solarien dans Solaris). Instrumentalisation de la sexualité, aliénation de l'alien, subordination de l'Autre aux désirs et besoins humains... Le colonialisme (orientaliste à ses heures... ou non?) a aussi fait partie de la « grandeur » française et une telle initiation à l'amour ou à la sexualité, c'est selon, en dit long sur la conception de l'une comme de l'autre.
Comme il s'agit du premier tome d'une trilogie, aucun jugement ne saurait être définitif. Le plus ironique, c'est qu'alors qu'il est beaucoup question d'étoiles et d'espace, on ne comprend jamais tout à fait en quoi le Melkine incarne l'idéal du voyage spatial ou de la découverte de l'Univers. C'est un sujet récurrent du space-opéra français que la soif des horizons galactiques — puissamment articulée en son temps par Aucune étoile aussi lointaine de Serge Lehman — et Paquet a sans doute un peu trop joué la difficulté en commençant dans ce volume par camper une série de mondes clos (planètes asservies à leur conditionnement culturel et locaux fermés du Melkine). Les tomes suivants permettront-ils aux acteurs de la trilogie comme aux lecteurs de sortir de ces cadres trop bien définis? C'est à voir.
Libellés : Livres, Science-fiction