2018-03-07
Les Robots font-ils l'amour ?
Je ne connaîtrai jamais la réponse à cette question, car une panne de jus a interrompu le coït intellectuel de la pièce de théâtre Les Robots font-ils l'amour ? qui jouait ce soir à l'Usine C de Montréal. J'étais pourtant descendu d'Ottawa pour l'occasion afin de me vautrer une fois de plus dans la dramaturgie québécoise qui s'acoquine avec la science-fiction. J'ai d'ailleurs croisé Jean-François Chassay qui succombait peut-être aux mêmes pulsions...
Adaptée de l'ouvrage du même nom chez Dunod (2016) par la professeure de théâtre de l'UQÀM Angela Konrad, la pièce devait offrir une rencontre entre l'art, les sciences et la politique. Originaire d'Allemagne, Konrad a créé à Montréal la troupe LA FABRIK qui « se concentre sur la relecture de textes du répertoire et contemporains et d'écritures non dramatiques à la lumière d'interrogations critiques du monde actuel ». Elle a accueilli le public avant le début de la représentation, mais elle a dû s'éclipser ensuite.
La scène est presque nue au début : elle n'accueille qu'une longue table avec cinq micros et bouteilles d'eau pour autant de chaises, soit l'installation typique d'une session de communications dans un colloque ou d'un panel universitaire. Derrière, un écran proclame que l'événement est organisé par la Chaire de recherche [fictive] internationale et transdisciplinaire Humanisme et Transhumanisme, en collaboration entre autres avec l'Université de Montréal à Québec [sic]. Ainsi, durant la première moitié de la pièce, celle à laquelle j'ai pu assister, l'exploration du sujet passe par la mise en scène d'un débat universitaire.
Les acteurs entrent en scène pendant qu'on joue Space Oddity de Bowie. Philippe Cousineau joue le rôle du professeur et philosophe allemand Miki Habermatt (petit coup de chapeau à Habermas, sans doute), tandis que Stéphanie Cardi, Marie-Laurence Moreau, Dominique Quesnel et Lise Roy jouent, dans le désordre, les rôles des professeures, artistes ou entrepreneuses Niki de Laqueue, Riki Laforêt, Viki Gagnon-Atlas et Kiki Vaginstrup, alias KV2020. Ce que ne repèrent pas nécessairement les quelques critiques des profanes, c'est que ces personnages renvoient plus ou moins à des personnalités bien réelles du mouvement transhumaniste (Vita-More, Orlan, etc.).
Konrad mêle le vrai et le faux. Associée à Hanson Robotics, Gagnon-Atlas est présentée comme la créatrice de Sophia et l'épouse d'un robot sauteur, Atlas. Laforêt est une bioconservatrice, associée au mouvement des « chimpanzés du futur ». Vaginstrup représente la Singularity University et on invoque Kurzweil, comme dans La Singularité est proche. Elle a prévu d'être cryogénisée le 20 février 2020, à 20 h 20...
Au gré des interventions, la tension monte. Laforêt dénonce la conjonction du totalitarisme et de la technologie. Habermatt a un enfant trisomique qui n'aurait peut-être pas vu le jour si ses parents l'avaient su à l'avance, quoique le philosophe soutient qu'il choisirait sa fille... maintenant qu'il la connaît. Les personnages évoquent les manipulations génétiques (l'usage de cellules humaines pour augmenter l'intelligence des souris, la transformation des cellules épidermiques en gamètes pour que deux papas souris aient un souriceau, etc.) et les jeunes Chinois qui seraient ouverts (à 50%) à toutes les modifications pour augmenter l'intelligence de leurs enfants.
Encore une fois, les idées transhumanistes ont besoin d'être vulgarisées avant d'être dramatisées, semble-t-il. Parce qu'il est évidemment impossible d'imaginer des personnages animés par ces enjeux, n'est-ce pas, autrement que sur un mode presque caricatural, dans les cas de Viki Gagnon-Atlas et Kiki Vaginstrup... Ce que fait pourtant la science-fiction depuis des décennies.
Sans surprise, les personnages de Konrad répètent et soulignent qu'on n'est pas dans la science-fiction, qu'il est question de « faits » et non de « mauvaise science-fiction ». Pourtant, malgré tous les pronostics et toutes les extrapolations, l'intelligence artificielle « forte » demeure un fantasme et tout ce qui la concerne relève de la science-fiction. Quant aux manipulations génétiques à des fins eugéniques, elles demeurent de la science-fiction tant qu'elles ne seront pas advenues et expérimentées. Si bien qu'il faudrait peut-être soutenir que cette pièce est une sorte de simulacre d'une pièce de science-fiction...
Bref, une fois de plus, je reste sur l'impression d'un éternel recommencement. Après Transhumain en 2008 et Post Humains en 2017, Konrad prolonge la tendance. En privilégiant un théâtre documentaire parce qu'il s'agit d'un sujet peu familier des auditoires habituels, suppose-t-on, Konrad ne peut prétendre qu'elle innove. À moins que la seconde moitié de la pièce passait à la vitesse supérieure... Tout ce que j'en sais, c'est qu'elle concluait sur la lecture de strophes de Rilke, extraites du Livre de la pauvreté et de la mort.
Un RDV_Art et politique (« Réalité(s) en transmutation ») est prévu ce samedi 10 mars au Café de l'Usine C, avec Sophie Callies, Martin Gibert, qui a coordonné la Déclaration de Montréal pour l'IA responsable, et Simon Lacoste-Julien.
Quand l'obscurité a envahi la salle, plusieurs ont cru à un effet théâtral. En pleine discussion de la post-humanité technologique, une défaillance technique tombait trop à point. Pour entracte, une panne ? Mais le régisseur a détrompé les optimistes. Et l'annonce finale m'a bien fait rire, puisqu'elle reflétait parfaitement le nombrilisme qu'on attribue au Plateau en confirmant que l'Usine C était une victime collatérale d'une « énorme panne », qui s'étendait au moins jusqu'à... Frontenac.
Adaptée de l'ouvrage du même nom chez Dunod (2016) par la professeure de théâtre de l'UQÀM Angela Konrad, la pièce devait offrir une rencontre entre l'art, les sciences et la politique. Originaire d'Allemagne, Konrad a créé à Montréal la troupe LA FABRIK qui « se concentre sur la relecture de textes du répertoire et contemporains et d'écritures non dramatiques à la lumière d'interrogations critiques du monde actuel ». Elle a accueilli le public avant le début de la représentation, mais elle a dû s'éclipser ensuite.
La scène est presque nue au début : elle n'accueille qu'une longue table avec cinq micros et bouteilles d'eau pour autant de chaises, soit l'installation typique d'une session de communications dans un colloque ou d'un panel universitaire. Derrière, un écran proclame que l'événement est organisé par la Chaire de recherche [fictive] internationale et transdisciplinaire Humanisme et Transhumanisme, en collaboration entre autres avec l'Université de Montréal à Québec [sic]. Ainsi, durant la première moitié de la pièce, celle à laquelle j'ai pu assister, l'exploration du sujet passe par la mise en scène d'un débat universitaire.
Les acteurs entrent en scène pendant qu'on joue Space Oddity de Bowie. Philippe Cousineau joue le rôle du professeur et philosophe allemand Miki Habermatt (petit coup de chapeau à Habermas, sans doute), tandis que Stéphanie Cardi, Marie-Laurence Moreau, Dominique Quesnel et Lise Roy jouent, dans le désordre, les rôles des professeures, artistes ou entrepreneuses Niki de Laqueue, Riki Laforêt, Viki Gagnon-Atlas et Kiki Vaginstrup, alias KV2020. Ce que ne repèrent pas nécessairement les quelques critiques des profanes, c'est que ces personnages renvoient plus ou moins à des personnalités bien réelles du mouvement transhumaniste (Vita-More, Orlan, etc.).
Konrad mêle le vrai et le faux. Associée à Hanson Robotics, Gagnon-Atlas est présentée comme la créatrice de Sophia et l'épouse d'un robot sauteur, Atlas. Laforêt est une bioconservatrice, associée au mouvement des « chimpanzés du futur ». Vaginstrup représente la Singularity University et on invoque Kurzweil, comme dans La Singularité est proche. Elle a prévu d'être cryogénisée le 20 février 2020, à 20 h 20...
Au gré des interventions, la tension monte. Laforêt dénonce la conjonction du totalitarisme et de la technologie. Habermatt a un enfant trisomique qui n'aurait peut-être pas vu le jour si ses parents l'avaient su à l'avance, quoique le philosophe soutient qu'il choisirait sa fille... maintenant qu'il la connaît. Les personnages évoquent les manipulations génétiques (l'usage de cellules humaines pour augmenter l'intelligence des souris, la transformation des cellules épidermiques en gamètes pour que deux papas souris aient un souriceau, etc.) et les jeunes Chinois qui seraient ouverts (à 50%) à toutes les modifications pour augmenter l'intelligence de leurs enfants.
Encore une fois, les idées transhumanistes ont besoin d'être vulgarisées avant d'être dramatisées, semble-t-il. Parce qu'il est évidemment impossible d'imaginer des personnages animés par ces enjeux, n'est-ce pas, autrement que sur un mode presque caricatural, dans les cas de Viki Gagnon-Atlas et Kiki Vaginstrup... Ce que fait pourtant la science-fiction depuis des décennies.
Sans surprise, les personnages de Konrad répètent et soulignent qu'on n'est pas dans la science-fiction, qu'il est question de « faits » et non de « mauvaise science-fiction ». Pourtant, malgré tous les pronostics et toutes les extrapolations, l'intelligence artificielle « forte » demeure un fantasme et tout ce qui la concerne relève de la science-fiction. Quant aux manipulations génétiques à des fins eugéniques, elles demeurent de la science-fiction tant qu'elles ne seront pas advenues et expérimentées. Si bien qu'il faudrait peut-être soutenir que cette pièce est une sorte de simulacre d'une pièce de science-fiction...
Bref, une fois de plus, je reste sur l'impression d'un éternel recommencement. Après Transhumain en 2008 et Post Humains en 2017, Konrad prolonge la tendance. En privilégiant un théâtre documentaire parce qu'il s'agit d'un sujet peu familier des auditoires habituels, suppose-t-on, Konrad ne peut prétendre qu'elle innove. À moins que la seconde moitié de la pièce passait à la vitesse supérieure... Tout ce que j'en sais, c'est qu'elle concluait sur la lecture de strophes de Rilke, extraites du Livre de la pauvreté et de la mort.
Un RDV_Art et politique (« Réalité(s) en transmutation ») est prévu ce samedi 10 mars au Café de l'Usine C, avec Sophie Callies, Martin Gibert, qui a coordonné la Déclaration de Montréal pour l'IA responsable, et Simon Lacoste-Julien.
Quand l'obscurité a envahi la salle, plusieurs ont cru à un effet théâtral. En pleine discussion de la post-humanité technologique, une défaillance technique tombait trop à point. Pour entracte, une panne ? Mais le régisseur a détrompé les optimistes. Et l'annonce finale m'a bien fait rire, puisqu'elle reflétait parfaitement le nombrilisme qu'on attribue au Plateau en confirmant que l'Usine C était une victime collatérale d'une « énorme panne », qui s'étendait au moins jusqu'à... Frontenac.
Libellés : Québec, Science-fiction, Théâtre