2018-03-15

 

La fin de Liaison

Un communiqué de presse annonce aujourd'hui la disparition de la revue Liaison :

La revue Liaison cesse ses activités 
après 40 ans d'existence


Ottawa, le 15 mars 2018 – C’est avec une immense tristesse que les Éditions L’Interligne annoncent la fin des activités de la revue Liaison. Le dernier numéro, le 179, paraîtra le 21 mars 2018.

Créée en 1978 en tant que bulletin de liaison de l’organisme Théâtre Action, la revue a volé de ses propres ailes à partir de 1981, date où les Éditions L’Interligne ont vu le jour pour prendre en charge sa production et sa diffusion. Quarante ans plus tard, Liaison couvrait un vaste territoire, de l’Acadie jusqu’à l’Ouest en passant par l’Ontario, et était devenue la référence en actualité artistique franco-canadienne.

Depuis huit ans, la revue luttait pour sa survie. Une baisse des revenus publicitaires conjuguée à des coupes budgétaires, à un déclin persistant du nombre d’abonnés et à une faible présence en librairie, ont finalement eu raison des efforts des Éditions L’Interligne en vue de maintenir Liaison à flot.

Les Éditions L'Interligne souhaitent désormais axer leurs ressources sur les activités d’édition littéraire et miser sur la richesse et la diversité de leur catalogue pour faire rayonner leurs publications au-delà des frontières.

Un immense merci à tous ceux qui ont pris part à la belle aventure de Liaison au fil du temps : les fondateurs, fondatrices ; les rédacteurs, rédactrices en chef ; les nombreux collaborateurs, collaboratrices ; les talentueux artistes de la francophonie canadienne ; et les lecteurs et lectrices de partout au Canada.

Nous gardons de très beaux souvenirs de la revue et regardons vers l’avenir avec confiance et espoir. Les Éditions L’Interligne continueront d’appuyer et de nourrir l’art franco-canadien en poursuivant leur mission : publier la quintessence de la littérature franco-ontarienne.

Je partage cette tristesse, car la revue Liaison a fait partie de mon parcours littéraire.  Selon Erudit, ma première collaboration remonterait au numéro de mars 1990, quand j'avais chroniqué une BD historique de Gilles Drolet et Paul Roux.  Par la suite, j'avais réuni un dossier spécial sur la science-fiction et du fantastique franco-ontariens pour le numéro de septembre 1993, où il était question de Victor Frigério, Guy Sirois (qui avait un pied à Ottawa à cette époque), Jean-François Somcynsky et Nancy Vickers, entre autres.  Les années suivantes, c'était à mon tour d'être chroniqué dans les pages de Liaison puisque ses collaborateurs recensaient Pour des soleils froids en novembre 1994, Le Ressuscité de l'Atlantide en mars 1995, les deux premiers volumes des Mystères de Serendib en mars 1996 et le recueil Jonctions impossibles à l'hiver 2003.

Au siècle présent, j'ai rendu la politesse à mes collègues en signant des recensions de Terre des Autres de Sylvie Bérard en 2006 et de quelques romans jeunesse par la suite.  En 2010, je tâtais de l'essai avec « Transcender l'avis trop personnel » sur le sujet de la critique littéraire, justement, avant de revenir sur un sujet connexe avec « La responsibilité du poisson dans l'étang » en 2013.  Toutefois, Liaison restera aussi pour moi le lieu de la première parution de ma nouvelle la plus publiée, « Des anges sont tombés », dans le numéro 89 en novembre 1996.

Abonné depuis les années 1980, sauf erreur, j'ai une très belle collection de numéros.  Le format de la revue n'a cessé de s'améliorer, ce qui devait représenter des coûts supplémenaires mais incontournables puisque la revue s'était donnée pour mission d'assurer la couverture de tous les arts du Canada francophone hors-Québec.  Théâtre, musique, arts visuels et littérature, c'était beaucoup.  Et faire état de la production des arts visuels s'imagine difficilement sans images ou photographies de qualité.

Le communiqué de presse ci-dessus accuse la baisse des revenus publicitaires, des subventions et du nombre d'abonnés.  Ceci reflète une situation généralement difficile pour les arts dans le Canada actuel (quoiqu'on se demandera à quoi servent les fonds supplémentaires versés au Conseil des arts du Canada si ce n'est pas au soutien d'une publication unique en son genre !).  Même si on pourrait noter que la revue n'avait pas renouvelé sa formule depuis des décennies et qu'elle n'avait pas non plus rajeuni son équipe éditoriale, il est possible de croire que la situation aurait été pareillement périlleuse pour une revue plus jeune et plus dynamique.  Les départements d'arts ou de lettres sont pris à la gorge un peu partout.  Les autres institutions artistiques crient souvent famine et pouvaient difficilement dégager des fonds pour de la publicité dans une revue  trimestrielle dont les articles risquaient généralement de paraître après la tenue d'une exposition ou la présentation d'une pièce.  La formule se justifiait plus dans le cas de la littérature et des enregistrements musicaux, mais cela ne suffisait pas.

Et pourtant.  L'élection de Trump et l'ascension de nombreux autres populistes sont à mes yeux une reconnaissance de la faillite des discours purement économiques qui orientent la gouvernance occidentale depuis un quart de siècle et qui, en prime, tendent à n'accepter que les analyses économiques qui vont dans le sens de la déréglementation et des allègements fiscaux.   En même temps, la performance de ces populistes au pouvoir est souvent désastreuse, caractérisée par l'opportunisme à courte vue, les solutions simplistes et une tendance à gober tout rond le premier argument à obtenir un certain retentissement médiatique.

Or, les arts et les lettres méprisés par ces mêmes populistes ont des vertus ignorées.  Les arts favorisent les perspectives plus larges en faisant la démonstration concrète de la diversité historique des manières d'interpréter et de refléter la réalité.  Ils procurent ainsi un sens de la relativité des valeurs et alimentent un sens critique qui manque clairement aux populistes et fanatiques trop imbus de leurs propres convictions — ou préjugés.  Les lettres ont les mêmes qualités, mais elles invitent aussi les lecteurs à apprécier des discours différents et des visions du monde distinctes encore plus clairement énoncées.  À son meilleur, la littérature offre des points de vue inédits et révèle des pans de la société que nos dirigeants ont souvent beau jeu d'ignorer ou de caricaturer.  C'est mauvais signe quand des politiciens refusent de s'intéresser à la littérature.  Le dédain des Conservateurs de Harper pour les arts et les lettres d'ici (même si Harper lui-même appréciait la musique — étrangère — des Beatles) était bien connu.  De même, Doug Ford a suggéré qu'il aurait été incapable de reconnaître Margaret Atwood à l'époque où il voulait sabrer les fonds pour les bibliothèques de Toronto.

Et pourtant.  Alors qu'il serait rédhibitoire pour un politicien d'être pauvre, il ne l'est pas pour un politicien d'étaler sa pauvreté culturelle et intellectuelle.  Tous les jours, Trump fait pourtant la démonstration des insuffisances d'un homme matériellement riche dont l'intellect biberonne à la télévision la plus racoleuse, tout comme Berlusconi en son temps.  Un certain bagage littéraire et culturel n'est pas un sceau de vertu : ni Obama hier ni Macron aujourd'hui ne sont des anges en politique, mais le respect de la vérité des faits semble passer par la capacité de reconnaître l'excellence des créations artistiques : dans les deux cas, il faut un minimum d'humilité pour admettre que son ressenti personnel n'est pas seul juge.

Et pourtant.  Depuis Auschwitz, il semble difficile d'accorder ces vertus aux arts.  Les Nazis n'ont-ils pas tué et massacré au son des plus belles musiques de l'Europe du dix-neuvième siècle ?  Peut-être, mais il faudra en revenir un jour, car les Nazis ont justement privilégié les arts aryens, rejeté les arts dégénérés et brûlé des livres avant de brûler des gens.  Si les prisonniers de Terezin n'ont pas cru bon de jeter aux orties leur héritage musical, nous ne devrions pas accorder cette satisfaction aux descendants actuels des Nazis.  Quand on finira par reconnaître que sa propre opinion n'est pas souveraine et que l'honnêteté intellectuelle qui permet de l'avouer est le signe d'un caractère supérieur, nous aurons peut-être de meilleurs politiciens et gouvernants.

Mais il faudra commencer par réhabiliter les arts et les lettres pour exiger ce respect.

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