2015-05-25
Le monde de demain
Hier, un film sur le monde de demain... Appelé en français Le Monde de demain (au Québec), Disney Project T (en Belgique) ou À la poursuite de demain (en France), Tomorrowland est un véritable film de science-fiction parce qu'il n'est pas une simple fiction. Plus que d'intertextualité, il faut parler ici d'hybridité. Si la science-fiction est parfois appelée à juste titre un genre en soi, c'est sûrement parce qu'elle joue sur plusieurs tableaux. Elle raconte une histoire dont les éléments sont justifiés par une distortion de la réalité consensuelle obtenue en invitant les lecteurs à jouer avec les sciences et les techniques qu'ils connaissent selon les indications fournies dans le texte. Ce jeu qui fait appel à la bonne volonté des lecteurs et aux connaissances supposées communes peut rappeler, par exemple, les contraintes qui font de la poésie ou le théâtre autre chose que de simples déclinaisons de la fiction romanesque. Ce que cette définition occulte et ce que ce film rappelle, c'est que la science-fiction transgresse également les bornes de la fiction en exploitant son versant utopique/dystopique, qui implique une intention discursive ou démonstrative qui la rapproche de l'essai, de la parabole ou du muthos platonicien.
Tomorrowland relève très clairement de ce second volet de la science-fiction. Si des séries comme Hunger Games et Divergent sont des dystopies qui entérinent la révolte, un film comme Interstellar a tenté de répondre à un avenir dystopique par un pari sur l'exploration spatiale dont le succès devait ressusciter le sense of wonder de la science-fiction d'hier. En revanche, Tomorrowland fait du discours dystopique en tant que tel son ressort dramatique et injecte donc une dose massive de réflexivité dans le débat en cours sur le besoin d'optimisme dans la science-fiction actuelle ou dans les débats sur l'environnement et le réchauffement climatique.
En effet, le film est son propre sujet. Le film nous présente une cité idéale, fondée et animée par les plus grands esprits de l'humanité, des scientifiques et des inventeurs libérés des vieilles contraintes politiques (un leitmotiv des anticipations wellsiennes ou du mouvement technocratique d'avant la Seconde Guerre mondiale), mais cette « Tomorrowland » d'inspiration disneyesque n'est pas le monde de demain, puisqu'elle existe dans une autre dimension. Du coup, elle apparaît comme une allégorie assez claire du progrès anticipé par des personnages tels que Jules Verne, Gustave Eiffel, Thomas Edison et Nikola Tesla, présentés comme les fondateurs de Tomorrowland. Cette combinaison de la science-fiction, de l'ingénierie et de l'invention débridée — incarnée par quatre hommes blancs du XIXe siècle — est toutefois menacée par le désespoir de l'humanité menacée par un ensemble de dangers à l'aube du XXIe siècle.
Le film nous révèle le dépérissement de la cité des sciences et de la technologie lorsque, vers 1980, l'avenir apparaît de plus en plus sombre et l'humanité de moins en moins disposée à agir pour contrer les dangers qui la menacent. Toutefois, l'intrigue du film débute en 1964, à l'Exposition universelle de New York organisée vingt-cinq ans après celle de 1939 qui allait lancer les congrès mondiaux de science-fiction et qui avait eu pour thème « The World of Tomorrow »... Un jeune inventeur, Frank Walker, âgé de 11 ans, se rend à l'Exposition universelle pour soumettre une invention de son cru. Une jeune fille prénommée Athena lui permet de visiter Tomorrowland. La suite des choses ne sera éclaircie que cinquante ans plus tard, quand l'optimisme foncier d'une adolescente du nom de Casey attirera l'attention de l'ultime survivante de la Tomorrowland originelle.
Si l'intrigue du film fait appel à des merveilles techniques et des prodiges scientifiques, ceux-ci sont rarement justifiés. De la téléportation entre les États-Unis et la France à la création d'un portail trans-dimensionnel qui permet à un super-ordinateur de surveiller la Terre mais aussi d'influencer sa culture, les artifices techniques permettent de faire avancer l'intrigue bon gré mal gré, sans jamais devenir des enjeux en soi. La question de l'optimisme demeure centrale, toutefois, au point de réduire la science-fiction à un ingrédient de l'optimisme rationnel.
La culture science-fictive de Brad Bird est inattaquable. Avant de citer Verne, il affuble un robot meurtrier d'un nom d'emprunt révélateur : Hugo Gernsback. Du coup, on songe à la nouvelle de William Gibson, « The Gernsback Continuum », qui portait sur le refus du futur étincelant proposé à l'époque de Gernsback. Dans la nouvelle de Gibson, le futur annoncé par les édifices futuristes d'une époque révolue se laisse entrevoir, comme les aperçus de Tomorrowland qui appâtent Casey. Le personnage de Gibson rejette le futur trop simpliste d'une science-fiction vétuste pour lui préférer un présent plus complexe et plus sale, aux sources du cyberpunk. Le film de Brad Bird soutient toutefois que ce rétro-futur présentait du moins l'avantage de permettre d'anticiper l'avenir avec espoir. La visite d'un Tomorrowland virtuel par Casey m'a d'ailleurs rappelé les premières pages de Space Cadet, où les personnages de Robert A. Heinlein proviennent d'un peu partout dans le système solaire et envisagent des existences aventureuses consacrées à des voyages inédits.
Toutefois, Tomorrowland s'arrime beaucoup plus clairement aux débats actuels dans le milieu professionnel de la science-fiction. Aux États-Unis, Neal Stephenson a inspiré le projet Hieroglyph, qui a déjà accouché d'une anthologie de nouvelles de science-fiction destinées à ranimer les espoirs de progrès scientifiques et techniques. En France, il y a eu l'anthologie Rêver 2074 dont j'ai déjà parlé, ainsi que l'anthologie à venir sur le thème des « Avenirs radieux », réunie par Patrice Lajoye. On pourrait même invoquer la tentative de détournement des prix Hugo par les Sad Puppies puisque ceux-ci ont revendiqué une science-fiction plus traditionnelle, ce qu'il faut sans doute comprendre comme une science-fiction plus positive ou optimiste. Il n'est sûrement pas innocent que l'optimisme se confonde dans ce dernier cas avec un retour aux valeurs du passé.
La question de l'optimisme mobilise aussi les futurologues et prospectivistes. En France, l'Institut des Futurs souhaitables fondé par Mathieu Baudin a pour but d'insuffler de l'optimisme et une vision à long terme dans les débats publics. Enfin, des débats parallèles agitent la communauté de scientifiques concernés par le changement climatique. Faut-il souligner les pires conséquences du réchauffement planétaire, au risque de démobiliser et démotiver ?
Vers la fin du film, Hugh Laurie livre une tirade lourde de sens et d'ironie. Si le personnage de Nix qu'il incarne est ostensiblement le grand méchant dont l'intrigue conventionnelle de Tomorrowland avait besoin, sa désillusion explique son pessimisme. L'humanité l'a déçu. (Le nom du personnage exprime à la fois le négativisme — en anglais, to nix signifie refuser, rejeter, dire non — et le versant sombre, nocturne, de l'humanité, le grec nyx renvoyant à la nuit.) Lorsque les scientifiques ont accumulé les faits et les raisonnements, expliqué les résultats éventuels de l'inaction et proposé des démarches, ils ont suscité tout au plus l'inertie, voire l'opposition active. Aux yeux de Nix, l'humanité ne se contente pas de marcher à sa perte, elle y court et il serait vain de se mettre en travers.
Néanmoins, la jeune Casey Newton et Frank Walker, plus vieux et plus sage, finissent par s'entendre pour relancer le projet de Tomorrowland : recruter les esprits les plus brillants, créatifs et constructifs pour chercher une issue et, plus généralement, les moyens d'édifier un monde meilleur. Bref, Brad Bird affirme qu'à défaut d'une solution toute faite, il faut au minimum croire qu'il y en a une et qu'il est possible de la chercher.
Tomorrowland tente de fonctionner sur deux plans. Il s'agit à la fois de poser un diagnostic et de proposer un remède, et d'incarner le tout dans un film qui illustrera la nature du remède. Il me semble clair qu'il réussit à merveille à prêcher aux convaincus : celles et ceux qu'habite depuis longtemps la conviction que le pessimisme et le cynisme prennent trop de place seront ravis de voir la thèse contraire portée à l'écran et défendue avec talent. Ce n'est pas aussi clair que le film saura faire des convertis. Néanmoins, comme il s'inscrit dans une tendance un peu balbutiante, il va peut-être s'ajouter à la chute de cailloux qui déclenchent finalement un éboulement susceptible de changer les choses.
Tomorrowland relève très clairement de ce second volet de la science-fiction. Si des séries comme Hunger Games et Divergent sont des dystopies qui entérinent la révolte, un film comme Interstellar a tenté de répondre à un avenir dystopique par un pari sur l'exploration spatiale dont le succès devait ressusciter le sense of wonder de la science-fiction d'hier. En revanche, Tomorrowland fait du discours dystopique en tant que tel son ressort dramatique et injecte donc une dose massive de réflexivité dans le débat en cours sur le besoin d'optimisme dans la science-fiction actuelle ou dans les débats sur l'environnement et le réchauffement climatique.
En effet, le film est son propre sujet. Le film nous présente une cité idéale, fondée et animée par les plus grands esprits de l'humanité, des scientifiques et des inventeurs libérés des vieilles contraintes politiques (un leitmotiv des anticipations wellsiennes ou du mouvement technocratique d'avant la Seconde Guerre mondiale), mais cette « Tomorrowland » d'inspiration disneyesque n'est pas le monde de demain, puisqu'elle existe dans une autre dimension. Du coup, elle apparaît comme une allégorie assez claire du progrès anticipé par des personnages tels que Jules Verne, Gustave Eiffel, Thomas Edison et Nikola Tesla, présentés comme les fondateurs de Tomorrowland. Cette combinaison de la science-fiction, de l'ingénierie et de l'invention débridée — incarnée par quatre hommes blancs du XIXe siècle — est toutefois menacée par le désespoir de l'humanité menacée par un ensemble de dangers à l'aube du XXIe siècle.
Le film nous révèle le dépérissement de la cité des sciences et de la technologie lorsque, vers 1980, l'avenir apparaît de plus en plus sombre et l'humanité de moins en moins disposée à agir pour contrer les dangers qui la menacent. Toutefois, l'intrigue du film débute en 1964, à l'Exposition universelle de New York organisée vingt-cinq ans après celle de 1939 qui allait lancer les congrès mondiaux de science-fiction et qui avait eu pour thème « The World of Tomorrow »... Un jeune inventeur, Frank Walker, âgé de 11 ans, se rend à l'Exposition universelle pour soumettre une invention de son cru. Une jeune fille prénommée Athena lui permet de visiter Tomorrowland. La suite des choses ne sera éclaircie que cinquante ans plus tard, quand l'optimisme foncier d'une adolescente du nom de Casey attirera l'attention de l'ultime survivante de la Tomorrowland originelle.
Si l'intrigue du film fait appel à des merveilles techniques et des prodiges scientifiques, ceux-ci sont rarement justifiés. De la téléportation entre les États-Unis et la France à la création d'un portail trans-dimensionnel qui permet à un super-ordinateur de surveiller la Terre mais aussi d'influencer sa culture, les artifices techniques permettent de faire avancer l'intrigue bon gré mal gré, sans jamais devenir des enjeux en soi. La question de l'optimisme demeure centrale, toutefois, au point de réduire la science-fiction à un ingrédient de l'optimisme rationnel.
La culture science-fictive de Brad Bird est inattaquable. Avant de citer Verne, il affuble un robot meurtrier d'un nom d'emprunt révélateur : Hugo Gernsback. Du coup, on songe à la nouvelle de William Gibson, « The Gernsback Continuum », qui portait sur le refus du futur étincelant proposé à l'époque de Gernsback. Dans la nouvelle de Gibson, le futur annoncé par les édifices futuristes d'une époque révolue se laisse entrevoir, comme les aperçus de Tomorrowland qui appâtent Casey. Le personnage de Gibson rejette le futur trop simpliste d'une science-fiction vétuste pour lui préférer un présent plus complexe et plus sale, aux sources du cyberpunk. Le film de Brad Bird soutient toutefois que ce rétro-futur présentait du moins l'avantage de permettre d'anticiper l'avenir avec espoir. La visite d'un Tomorrowland virtuel par Casey m'a d'ailleurs rappelé les premières pages de Space Cadet, où les personnages de Robert A. Heinlein proviennent d'un peu partout dans le système solaire et envisagent des existences aventureuses consacrées à des voyages inédits.
Toutefois, Tomorrowland s'arrime beaucoup plus clairement aux débats actuels dans le milieu professionnel de la science-fiction. Aux États-Unis, Neal Stephenson a inspiré le projet Hieroglyph, qui a déjà accouché d'une anthologie de nouvelles de science-fiction destinées à ranimer les espoirs de progrès scientifiques et techniques. En France, il y a eu l'anthologie Rêver 2074 dont j'ai déjà parlé, ainsi que l'anthologie à venir sur le thème des « Avenirs radieux », réunie par Patrice Lajoye. On pourrait même invoquer la tentative de détournement des prix Hugo par les Sad Puppies puisque ceux-ci ont revendiqué une science-fiction plus traditionnelle, ce qu'il faut sans doute comprendre comme une science-fiction plus positive ou optimiste. Il n'est sûrement pas innocent que l'optimisme se confonde dans ce dernier cas avec un retour aux valeurs du passé.
La question de l'optimisme mobilise aussi les futurologues et prospectivistes. En France, l'Institut des Futurs souhaitables fondé par Mathieu Baudin a pour but d'insuffler de l'optimisme et une vision à long terme dans les débats publics. Enfin, des débats parallèles agitent la communauté de scientifiques concernés par le changement climatique. Faut-il souligner les pires conséquences du réchauffement planétaire, au risque de démobiliser et démotiver ?
Vers la fin du film, Hugh Laurie livre une tirade lourde de sens et d'ironie. Si le personnage de Nix qu'il incarne est ostensiblement le grand méchant dont l'intrigue conventionnelle de Tomorrowland avait besoin, sa désillusion explique son pessimisme. L'humanité l'a déçu. (Le nom du personnage exprime à la fois le négativisme — en anglais, to nix signifie refuser, rejeter, dire non — et le versant sombre, nocturne, de l'humanité, le grec nyx renvoyant à la nuit.) Lorsque les scientifiques ont accumulé les faits et les raisonnements, expliqué les résultats éventuels de l'inaction et proposé des démarches, ils ont suscité tout au plus l'inertie, voire l'opposition active. Aux yeux de Nix, l'humanité ne se contente pas de marcher à sa perte, elle y court et il serait vain de se mettre en travers.
Néanmoins, la jeune Casey Newton et Frank Walker, plus vieux et plus sage, finissent par s'entendre pour relancer le projet de Tomorrowland : recruter les esprits les plus brillants, créatifs et constructifs pour chercher une issue et, plus généralement, les moyens d'édifier un monde meilleur. Bref, Brad Bird affirme qu'à défaut d'une solution toute faite, il faut au minimum croire qu'il y en a une et qu'il est possible de la chercher.
Tomorrowland tente de fonctionner sur deux plans. Il s'agit à la fois de poser un diagnostic et de proposer un remède, et d'incarner le tout dans un film qui illustrera la nature du remède. Il me semble clair qu'il réussit à merveille à prêcher aux convaincus : celles et ceux qu'habite depuis longtemps la conviction que le pessimisme et le cynisme prennent trop de place seront ravis de voir la thèse contraire portée à l'écran et défendue avec talent. Ce n'est pas aussi clair que le film saura faire des convertis. Néanmoins, comme il s'inscrit dans une tendance un peu balbutiante, il va peut-être s'ajouter à la chute de cailloux qui déclenchent finalement un éboulement susceptible de changer les choses.
Libellés : Effet de serre, Films, Futurisme, Science-fiction
Comments:
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Critique qui amène aussi des pistes de réflexion. Bon film positif qui ne révolutionne pas la SF mais lui rend plutôt hommage en effet.. C'est rare de voir Verne dans une fiction américaine !
J'ai bien aimé malgré les faiblesses du scénario.
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J'ai bien aimé malgré les faiblesses du scénario.
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