2014-09-21

 

Le fantastique du terroir québécois chez Chartrand

La veine fantastique est sans aucun doute une des constantes historiques de la production littéraire québécoise.  Des auteurs l'exploitent dès les années 1830 et le jeune Aubert de Gaspé introduit en terre canadienne la nouvelle littérature frénétique qui fait fureur en Europe.  Toutefois, le fantastique littéraire canadien-français cède ensuite à la tentation ethnographique durant près d'un siècle.  Ce mariage de la littérature et de la tradition orale engendre une littérature canadienne-française propre, mais aux horizons limités par les constantes du folklore local.  La production fantastique québécoise s'ouvre durant le vingtième siècle à de nouvelles thématiques, pour la plupart originaires d'Europe ou des États-Unis.  On pourrait répartir ces influences étrangères en trois catégories, soit celle du fantastique littéraire et insolite, dans une veine qui inclut Kafka et les surréalistes français, celle d'un fantastique populaire réinventé par des auteurs comme Jean Ray et Lovecraft, et celle du fantastique de grande consommation qui exploite des créatures et mythologies vulgarisées par les bestsellers et les médias audio-visuels (vampires, loups-garous, zombies, etc.).  Toutefois, durant la seconde moitié du vingtième siècle, quelques auteurs sont restés fidèles au terroir québécois : des écrivains comme Daniel Sernine et Anne Hébert ont exploité des cadres locaux en les combinant avec des éléments plus exotiques.

Depuis quelques années, une nouvelle génération d'auteurs s'intéresse de nouveau au terroir québécois.  Dans sa trilogie des « Villages assoupis », Ariane Gélinas choisit des lieux éloignés mais bien réels pour camper des histoires horrifiques contemporaines.  Quant à Sébastien Chartrand, il a signé en 2013 L'Ensorceleuse de Pointe-Lévy, le premier volume d'une trilogie (?) intitulée « Le Crépuscule des arcanes ».


Dans son cas, Chartrand situe l'action de son roman en plein cœur du Québec historique.  Tout s'y passe dans une région qui s'étend de l'île d'Orléans à la Mauricie, en incluant Lévis et Québec.  L'intrigue est datée de 1848-1849.  Faustin Lamare vit chez son oncle dans le petit village de Notre-Dame des Tempérances, sur la rive sud du Saint-Laurent, non loin de Lévis (ou Pointe-Lévy).  Son oncle est le curé du village, Faustin son bedeau et François Gauthier son vicaire, mais, en réalité, ce sont des mécréants qui sont parmi les derniers à pratiquer la magie théurgique des arcanes.  Le vieux curé Lamare croit d'ailleurs que la version indigène des arcanes, la médianie, est également en perte de vitesse et que la goétie — la magie des arcanes noirs — est presque entièrement oubliée.  En conséquence, ils sont d'autant plus perplexes lorsque des incidents mystérieux s'accumulent et révèlent l'intervention d'une magie puissante.

Lorsque la jeune Rose Latulipe est emmenée par un étranger suspect et que le vieux Lamare perd la vie dans un duel de magie, c'est le début d'une série d'aventures qui va conduire Faustin sur des chemins insoupçonnés, l'accabler d'horreurs sans nom et lui dévoiler des vérités du passé qu'il aurait préféré ne jamais connaître.  En compagnie de Gauthier, de l'Indienne Shaor'i, magicienne puissante, et du coureur des bois Baptiste Lachapelle, il finit par identifier les adversaires qui ont ourdi un plan maléfique pour ressusciter un sorcier dont la maîtrise des arcanes noirs est immense.

En cours de route, Faustin doit fuir un loup-garou et se battre avec un wendigo (baptisé jack mistigri pour les besoins de l'histoire).  Il croise aussi le fameux conteur Jos Violon, voyage dans un canot de la chasse-galerie, se frotte au terrible Gamache, le sorcier de l'île d'Anticosti, et apprend les secrets de la Corriveau.  Bref, Chartrand égrène à plaisir les allusions, références et ré-emplois de motifs du patrimoine fantastique canadien-français en remontant aux Aubert de Gaspé, et même avant.  Le tout culmine avec un affrontement ultime entre le bien et le mal, préparé et conduit dans les règles de l'art.

S'il faut deux ou trois chapitres pour éveiller l'intérêt du lecteur, le reste se lit d'une traite.  Chartrand a signé un roman bien structuré, qui ne multiplie pas outre-mesure les protagonistes ou les antagonistes, et qui parvient à intégrer la plupart des péripéties et rebondissements dans le cadre d'une intrigue qui prend tout son sens à la fin.  La plupart du temps, la narration coule de source et l'ensemble procure un rare plaisir de lecture.

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Comments:
merci pour le billet, Jean-Louis. :D

 
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