2012-03-22

 

Ce qui serait une juste part

Les jeunes sont bêtes. Au sens propre. C'est pourquoi ils doivent aller à l'école, afin de devenir des humains dignes de ce nom. Cette vérité ancienne, qui affirme que l'humanité ne s'acquiert pas sans avoir pratiqué un peu les humanités, c'est-à-dire les multiples formes et expériences de l'existence humaine depuis la nuit des temps, est dédaignée par ceux qui méprisent les études et les étudiants.

Certes, les étudiants québécois qui protestent aujourd'hui au nom de l'accessibilité sont bêtes. Ils prêtent un peu trop facilement le flanc à la critique, car ils ne peuvent prétendre être à ce point plus pauvres que les étudiants des autres provinces qui paient plus en frais de scolarité — et certains étudiants québécois démontrent quotidiennement, à force de rouler en auto, de sortir dans les bars et d'étaler un attirail électronique prétendument essentiel, qu'ils sont loin d'accorder nécessairement la priorité aux études quand vient le temps de dépenser ce qu'ils gagnent en travaillant. De plus, le rapport entre la fréquentation universitaire et le montant des frais de scolarité est loin d'être clair, alors qu'il est plus clair que les origines familiales comptent pour beaucoup dans la trajectoire scolaire avant même d'arriver à l'université et que le dédain populaire relatif pour les études universitaires au Québec pèse encore. (Soit dit en passant, on ne peut rien conclure du sondage de Léger Marketing présenté dans ce document (.PDF), puisqu'il amalgame les répondants qui considèrent Extrêmement important et Assez important de fréquenter l'université.)

Cependant, devenir humain n'est jamais insignifiant. Posons donc qu'il importe de fréquenter l'université et qu'il faut financer cette fréquentation. Mais qui va la financer?

Qu'est-ce qui serait une juste part étudiante du financement universitaire, pour reprendre le langage du gouvernement québécois ? La question est complexe. Premièrement, cette part ne saurait être de 100% puisque les universités ont plusieurs missions, dont certaines ne concernent que très lointainement l'enseignement et que les étudiants n'ont pas à subventionner. Deuxièmement, cette part pourrait difficilement être nulle puisque les étudiants retirent des bénéfices concrets, en moyenne, de leur passage à l'université et qu'ils ne reversent pas l'entièreté de ces gains à l'ensemble de la population qui financerait alors leur éducation. Par conséquent, il semble juste que les étudiants paient leur quote-part.

Le gouvernement considère que cette juste part correspond au niveau des frais payés en 1968, compte tenu de l'inflation (voir le diagramme). Mais il n'a pas vraiment justifié en quoi les frais de 1968 représenteraient le montant optimal.

En revanche, le gouvernement Charest a fait de ce montant (indexé) un plafond, qui serait rejoint en 2016 et qui serait le nouveau standard des frais universitaires au Québec. Ce montant pourrait-il être encore plus élevé si on suppose que l'économie a augmenté plus que l'inflation depuis 1968 ? Toutefois, la capacité de payer de la plupart des Québécois n'a pas nécessairement augmenté depuis 1968... Selon cette étude (.PDF), de 1976 à 2006, 80% de la population du Québec a pu empocher des gains de revenu disponible variant entre -10% et un peu plus de 5%. (Le 10% de la population qui est la plus riche a fait mieux.) Sur une période de trente ans, c'est peu et il est permis de supposer que la situation ne s'est pas améliorée depuis 2008. Par conséquent, il semble peu probable que la capacité de payer ait beaucoup augmenté par rapport au début des années soixante-dix — sauf celle des plus riches qui, de toutes façons, pouvaient se permettre de payer des frais universitaires plus élevés...

Comme je l'ai fait remarquer précédemment, tous les étudiants arrivés à l'université au Québec depuis 1968 ont payé moins que le seuil retenu par le gouvernement. Du point de vue de l'équité entre les générations, vouloir revenir à ce seuil maintenant représente donc une injustice.

Peut-on chiffrer cette injustice ? Le diagramme du gouvernement du Québec illustre l'écart variable entre les frais chaque année depuis 1968 et les frais de 1968 indexés en fonction de l'inflation. Si on fait la somme des différences, on détermine alors qu'en moyenne, les étudiants québécois de 1968 à 2011 ont bénéficié d'une économie annuelle de 938 $ par rapport au standard de 1968. C'est cette économie moyenne que la hausse de 1625 $ veut faire disparaître. D'ailleurs, ce chiffre n'est pas fidèle puisqu'il résulte de la moyenne des montants d'années différentes. Il faut rapporter ces montants à un étalon pour déterminer qu'en fait, les étudiants québécois depuis 1968 ont bénéficié d'une économie moyenne de 1507 $ environ en dollars de 2011. Certaines années, l'économie a été plus grande et d'autres moins. La figure ci-dessous montre que ce rabais a été plus élevé que la moyenne entre 1977 et 1991, puis entre 2002 et 2008. Les boomers tardifs (1958-1966) ont été particulièrement privilégiés, puis le gros de la génération X a goûté à la décroissance jusqu'à ce que les enfants des boomers arrivent à l'université et profitent des fruits du nouveau gel.Quoi qu'il en soit, cette observation suggère que la juste part des étudiants d'aujourd'hui et de demain consisterait en des frais universitaires fixés à 1500 $ environ en-deçà du standard retenu par le gouvernement. Assez curieusement, il s'agit à peu de choses près du niveau actuel, ce qui me fait penser que la hausse précédente des frais universitaires visait peut-être consciemment à retrouver ce niveau.

Du coup, en adoptant (comme le gouvernement) l'horizon de 2016-2017 et en supposant un taux d'inflation de 2%, il est aisé de calculer qu'il suffirait de hausses d'à peu près 3 dollars par année pour y arriver. Soit cent fois moins que la hausse prévue ! Après 2016-2017, en indexant les frais universitaires à l'inflation, on maintiendrait l'écart moyen des quarante dernières années entre les frais payés et les frais de 1968. Dans la figure ci-dessous, on mesure bien la différence entre les deux scénarios. L'augmentation voulue par le gouvernement Charest hisserait les frais à hauteur de ceux de 1968 tandis qu'un scénario plus équitable observerait un quasi-gel suivi d'une montée graduelle après 2016-2017. Une dernière remarque : dans le cadre du plan de financement des universités du gouvernement Charest, la hausse des frais étudiants représente à peu près le tiers de l'argent neuf alors que cette proportion est à peu près le double de la part des frais étudiants dans le budget de fonctionnement des universités. Et si, comme je suis prêt à le prédire, les universités et les particuliers n'arrivent pas à fournir les fonds prévus, la part étudiante représenterait jusqu'à 40% de l'argent neuf. C'est nettement exagéré. En revanche, le gouvernement Charest aurait pu soutenir que des hausses reflétant la part étudiante dans le budget de fonctionnement des universités aurait été équitables. Un calcul rapide suggère que le tiers environ de la hausse actuelle aurait été défendable sur cette base, même si une telle hausse aurait été quand même inéquitable.

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Comments:
Je m'y perds dans tous ces chiffres, mais ça fait du bien de voir une analyse qui n'est pas tout blanc ou tout noir.
 
Pour bien comprendre cet article, j'aimerais savoir ce que signifie le "seuil retenu" par le gouvernement. Celui dont il se souvient, en 1968, ou le seuil "retenu", comme dans "retenu sur les impôts des contribuables"? Je doute que mes deux définitions soient juste, parce qu'elles ne m'éclairent pas quand je relis l'article sous leurs perspectives!
Merci
 
Quand je parle du « seuil retenu », je parle du niveau des frais de scolarité en 1968 que le gouvernement Charest a décidé de retenir comme le niveau équitable que les frais actuels doivent rejoindre au terme de la hausse (compte tenu de l'inflation depuis 1968).
 
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