2011-12-26
Quand l'amour ne sauve pas du vide
L'Université d'Ottawa mène à tout, même au roman. Je suis bien placé pour le savoir, puisque j'ai complété en 1987 mon premier roman, Le Ressuscité de l'Atlantide, durant mon séjour à l'Université d'Ottawa, sous la forme d'un feuilleton dans la revue imagine... C'est en 2008 que David Ménard a déposé une thèse de maîtrise en lettres françaises à l'Université d'Ottawa dont il a tiré un roman, Nous aurons vécu nous non plus (L'Interligne, 2010).
Il s'agit à première vue d'un roman épistolaire composé de missives échangées entre trois personnes : Ovide-Lyre, un amoureux transi, d'humeur plutôt sombre, qui a recherché l'amour pour transcender le vide de son existence, Honey-Comble, l'homme dont s'est épris Ovide-Lyre mais qui s'est vite rassasié de son amour, et Vava-Cuitée, la fille de party qui est l'amie des deux. Le reste du monde n'existe pratiquement pas, hors de ce triangle qui se réduit en fait à un duo douloureux. Aucun autre personnage n'apparaîtra, hormis Bébé-Molle qui n'a pas droit à la parole. Certes, une litanie de mises en situation fait intervenir des identités masquées par des pseudonymes, mais celles-ci ne font que passer.
L'histoire, en deux mots : Ovide-Lyre a quitté la ville pour s'enterrer à la campagne, fuyant Vava-Cuitée et ses autres amis de rencontre afin de mieux pleurer la fin de son malentendu amoureux avec Honey-Comble. C'est l'occasion de ressasser le passé et de préparer la révélation finale, dont la cruauté insane fait mesurer toute l'ampleur de la désespérance d'Ovide-Lyre.
Néanmoins, ce qui retient l'attention ici, c'est le style qui brille et c'est la langue, longuement travaillée par un écrivain qui est plus poète que romancier et qui cite à l'occasion des extraits de chansons françaises. Le texte abonde en trouvailles d'une justesse poétique incontestable et en phrases bien frappées, même si elles se réduisent parfois à des circonlocutions lyriques plaquées sur une réalité qu'il faut deviner, de manière à éloigner (bien involontairement, je suppose) le lecteur de la vérité des personnages. Dans la poésie, l'ellipse est une orbite qui ramène toujours à l'apogée, mais les paraboles en prose sont des trajectoires qui emportent le voyageur de plus en plus loin du foyer ardent. Les recherches linguistiques de Ménard ne sont pas toujours heureuses : parfois, le détournement de clichés ne ressuscite qu'encore plus puissamment le cliché d'origine. Ce n'est qu'à mi-chemin ou presque du récit que l'on passe de l'abstrait au concret, mais le soulagement du lecteur se dissipe vite. De nouvelles digressions, quoique d'une verve indéniable, s'écartent du fil de l'intrigue pour mieux se pencher sur les bars, leur vie nocturne et les vicissitudes sentimentales de leur faune. Bref, il faut grappiller de loin en loin ce qu'il importe de connaître des personnages.
Il va de soi pour Ménard que ses personnages sont tourmentés par la solitude qui se nourrit de la conviction qu'un être seul devrait être double. Quels autres tourments pourraient-ils éprouver ? Nous ne sommes plus au XIXe siècle : les contingences matérielles et les contraintes sociales n'interviennent plus pour empêcher l'amour ou gêner les liaisons. L'amant qui s'oriente au moyen de la nouvelle Carte du Tendre doit surtout redouter les méprises et les silences qui alimentent les malentendus et les échecs. Tant que les personnages de Ménard dissertent sur l'amour ou sur l'autre, ils restent dans la justification, Ovide-Lyre se posant en dépendant affectif et Honey-Comble en égocentrique fini.
Ovide-Lyre est souvent grandiloquent et parfois grandiose de désespoir. D'ailleurs, les trois personnages semblent éprouver la même affection pour les métaphores filées et les figures de style poétiques, ce qui rend la lecture usante. Mais le texte devient authentiquement émouvant quand Honey-Comble avoue sa lassitude ou quand Ovide-Lyre crie sa peine. Cette peine explique le coup de théâtre final, qu'on ne voit franchement pas venir. Du coup, on passe de l'anomie (ce mal du siècle récurrent des ados qui ressentent trop) à une forme de nihilisme qui relève d'un romantisme exacerbé quelque peu improbable.
En fin de compte, Nous aurons vécu nous non plus fait surtout figure de démonstration de la thèse de Ménard sur le « vide postmoderne ». Les personnages sont trop lourdement codés pour permettre au lecteur de les rencontre. Bref, malgré toutes les qualités d'écrivain de Ménard, on attendra de lui un autre roman pour se faire une idée de ses talents de romancier.
Il s'agit à première vue d'un roman épistolaire composé de missives échangées entre trois personnes : Ovide-Lyre, un amoureux transi, d'humeur plutôt sombre, qui a recherché l'amour pour transcender le vide de son existence, Honey-Comble, l'homme dont s'est épris Ovide-Lyre mais qui s'est vite rassasié de son amour, et Vava-Cuitée, la fille de party qui est l'amie des deux. Le reste du monde n'existe pratiquement pas, hors de ce triangle qui se réduit en fait à un duo douloureux. Aucun autre personnage n'apparaîtra, hormis Bébé-Molle qui n'a pas droit à la parole. Certes, une litanie de mises en situation fait intervenir des identités masquées par des pseudonymes, mais celles-ci ne font que passer.
L'histoire, en deux mots : Ovide-Lyre a quitté la ville pour s'enterrer à la campagne, fuyant Vava-Cuitée et ses autres amis de rencontre afin de mieux pleurer la fin de son malentendu amoureux avec Honey-Comble. C'est l'occasion de ressasser le passé et de préparer la révélation finale, dont la cruauté insane fait mesurer toute l'ampleur de la désespérance d'Ovide-Lyre.
Néanmoins, ce qui retient l'attention ici, c'est le style qui brille et c'est la langue, longuement travaillée par un écrivain qui est plus poète que romancier et qui cite à l'occasion des extraits de chansons françaises. Le texte abonde en trouvailles d'une justesse poétique incontestable et en phrases bien frappées, même si elles se réduisent parfois à des circonlocutions lyriques plaquées sur une réalité qu'il faut deviner, de manière à éloigner (bien involontairement, je suppose) le lecteur de la vérité des personnages. Dans la poésie, l'ellipse est une orbite qui ramène toujours à l'apogée, mais les paraboles en prose sont des trajectoires qui emportent le voyageur de plus en plus loin du foyer ardent. Les recherches linguistiques de Ménard ne sont pas toujours heureuses : parfois, le détournement de clichés ne ressuscite qu'encore plus puissamment le cliché d'origine. Ce n'est qu'à mi-chemin ou presque du récit que l'on passe de l'abstrait au concret, mais le soulagement du lecteur se dissipe vite. De nouvelles digressions, quoique d'une verve indéniable, s'écartent du fil de l'intrigue pour mieux se pencher sur les bars, leur vie nocturne et les vicissitudes sentimentales de leur faune. Bref, il faut grappiller de loin en loin ce qu'il importe de connaître des personnages.
Il va de soi pour Ménard que ses personnages sont tourmentés par la solitude qui se nourrit de la conviction qu'un être seul devrait être double. Quels autres tourments pourraient-ils éprouver ? Nous ne sommes plus au XIXe siècle : les contingences matérielles et les contraintes sociales n'interviennent plus pour empêcher l'amour ou gêner les liaisons. L'amant qui s'oriente au moyen de la nouvelle Carte du Tendre doit surtout redouter les méprises et les silences qui alimentent les malentendus et les échecs. Tant que les personnages de Ménard dissertent sur l'amour ou sur l'autre, ils restent dans la justification, Ovide-Lyre se posant en dépendant affectif et Honey-Comble en égocentrique fini.
Ovide-Lyre est souvent grandiloquent et parfois grandiose de désespoir. D'ailleurs, les trois personnages semblent éprouver la même affection pour les métaphores filées et les figures de style poétiques, ce qui rend la lecture usante. Mais le texte devient authentiquement émouvant quand Honey-Comble avoue sa lassitude ou quand Ovide-Lyre crie sa peine. Cette peine explique le coup de théâtre final, qu'on ne voit franchement pas venir. Du coup, on passe de l'anomie (ce mal du siècle récurrent des ados qui ressentent trop) à une forme de nihilisme qui relève d'un romantisme exacerbé quelque peu improbable.
En fin de compte, Nous aurons vécu nous non plus fait surtout figure de démonstration de la thèse de Ménard sur le « vide postmoderne ». Les personnages sont trop lourdement codés pour permettre au lecteur de les rencontre. Bref, malgré toutes les qualités d'écrivain de Ménard, on attendra de lui un autre roman pour se faire une idée de ses talents de romancier.