2011-02-03
L'ambition du premier
Pour les Canadiens ou les Français les plus anti-américains, le discours de Barack Obama sur l'état de l'Union se buvait comme du petit lait, servi avec une bonne dose de schadenfreude. Mais il serait risqué de prendre au sérieux la litanie d'Obama faisant des États-Unis un géant à genoux, bientôt dépassé par la Chine (a-t-il été question de l'Europe comme rival potentiel? hmmm...), car il convient de se rappeler qu'il s'agissait, quelle surprise, d'un discours politique.
Une main-d'œuvre sous-qualifiée, une élite hyper-éduquée, une classe moyenne prise à la gorge par l'endettement et menacée par le déclassement... Dans certaines circonstances, ce ne sont pas les symptômes d'un déclin inéluctable, mais les conditions d'une renaissance économique. À long terme, la démographie (même si elle est partie latino-américaine) joue en faveur des États-Unis et contre la Chine, tout comme la qualité de vie des chercheurs (même s'ils sont en partie canadiens, européens, indiens, chinois, etc.), le capital environnemental, la gouvernance (plus ou moins) démocratique, et ainsi de suite.
Non, on le sait bien désormais, les États-Unis n'investiront pas dans ce qui pourrait améliorer les conditions de vie de leur population (même la réforme des soins de santé est aussi une réforme des coûts de la santé) ou réduire l'inégalité : c'est en fait dans l'intérêt du pays de disposer d'une main-d'œuvre motivée par le spectre de la pauvreté, susceptible d'assurer au moindre coût le train de vie de l'American Dream à la classe moyenne déjà sous pression qui acceptera de faire tourner sans trop se plaindre certaines des industries les plus avancées de la planète (dont celles du secteur défense). Ce qui laisse le gouvernement libre d'investir dans la recherche et le soutien industriel. Selon le rapport 2010 de l'OCDE, OECD Science, Technology and Industry Outlook (.PDF), les États-Unis sont en deuxième place après le Japon pour ce qui est de la part des dépenses en recherche et développement proportionnellement au PIB — et le rapport note que les dépenses des États-Unis sont sans doute sous-estimées.
L'inégalité est peut-être (sans doute?) le résultat d'une monopolisation des gains de productivité et des gros salaires par les plus riches et les plus éduqués, mais si la croissance économique des États-Unis jusqu'au début des années 1973 a largement profité de l'éducation généralisée de la population (comme ailleurs, quoique un peu plus tard), rien ne dit qu'il s'agisse nécessairement d'une loi valable ad vitam aeternam dans tous les cas de figure. Rien ne permet de l'affirmer, à moins de connaître le futur... Tant que les ouvriers ne seront pas complètement supplantés par les robots, il restera peut-être une exigence incompressible de travailleurs moins éduqués. Sinon, on peut imaginer que la gestion de robots sera le boulot de l'avenir et qu'on découvrira alors que les fanas de jeux vidéos s'entraînaient sans le savoir à devenir des gestionnaires de robots...
Bref, il est possible d'entrevoir des raisons permettant de croire que les États-Unis pourraient revenir en lion. L'habitude d'être le premier en tout est aussi un incitatif à déployer de grands efforts pour maintenir son rang. C'est un aiguillon qui pousse les États-Unis à prendre des décisions qui défient le sens commun de certains économistes, mais qui pourraient rapporter gros. En tout cas, les Français et les Canadiens qui sont habitués au manque d'ambition de leurs gouvernants devraient se poser des questions sur les choix qui font que leurs pays ne risquent pas de rivaliser avec les États-Unis pour ce qui est de la richesse par habitant ou de la puissance brute.
D'un point de vue historique, parier contre les États-Unis est un jeu dangereux. Les Anglais y ont renoncé après s'être brûlé les doigts en 1776, 1812 et 1860 (quand ils avaient plus ou moins parié sur la Sécession du Sud). Les Allemands s'en sont repentis après leurs défaites en 1918 et 1945. Les Russes ont fini par plier en 1989 et Saddam Hussein a été pendu parce qu'il avait mal compris les instructions — en anglais, natürlich — d'une ambassadrice états-unienne et s'était obstiné dans l'erreur. Quant aux tenants du déclin des États-Unis après la guerre du Viêt-nam, Nixon, le choc pétrolier et Cartier, ils n'ont pas vu venir la chute de l'Empire soviétique et le boom des technos des années 1990.
L'idéologie propre aux États-Unis, ce n'est pas l'American Dream, c'est la destruction créative chère à Joseph Schumpeter. Trébucher, chuter et se relever. Errer et se racheter. Détruire pour mieux reconstruire. L'Amérique est le lieu des nouveaux commencements, mais on ne peut recommencer parfois qu'à la faveur de la destruction de ce qui a précédé. La mythique frontière n'était pas un non-lieu avant la colonisation par les pionniers américains : elle était habitée, mais elle a été dévastée (par les maladies, les guerres, la chasse allant jusqu'à l'extermination de certaines espèces) afin de devenir la scène d'une nouvelle construction, celle des fermes et des ranches. La grande Dépression a enchaîné les calamités naturelles et humaines avant de devenir le tremplin d'un pays victorieux à la guerre, prospère à l'interne et technologiquement à la fine pointe des biens de consommation.
Aujourd'hui, il y a de nouveaux lieux dévastés, comme les friches de Detroit, mais il pourrait s'agir aussi de la création d'une nouvelle frontière.
Les États-Unis préparent-ils un rebond similaire? Ce n'est pas impossible — même si l'Histoire ne se répète pas toujours. C'est le propre des préparatifs de ne pas révéler leurs résultats. Les États-Unis de demain pourraient devenir autre chose. Par exemple, un pays riche jouissant d'une croissance reposant désormais sur de nouvelles bases — dont la pauvreté persistante d'un prolétariat marginalisé, multiracial et issu en partie de l'immigration — qui existerait en symbiose avec des pays misant sur la solidarité sociale (Canada, France, Allemagne) lui servant d'incubateurs utiles en matière de ressources humaines et de partenaires scientifiques...
Une main-d'œuvre sous-qualifiée, une élite hyper-éduquée, une classe moyenne prise à la gorge par l'endettement et menacée par le déclassement... Dans certaines circonstances, ce ne sont pas les symptômes d'un déclin inéluctable, mais les conditions d'une renaissance économique. À long terme, la démographie (même si elle est partie latino-américaine) joue en faveur des États-Unis et contre la Chine, tout comme la qualité de vie des chercheurs (même s'ils sont en partie canadiens, européens, indiens, chinois, etc.), le capital environnemental, la gouvernance (plus ou moins) démocratique, et ainsi de suite.
Non, on le sait bien désormais, les États-Unis n'investiront pas dans ce qui pourrait améliorer les conditions de vie de leur population (même la réforme des soins de santé est aussi une réforme des coûts de la santé) ou réduire l'inégalité : c'est en fait dans l'intérêt du pays de disposer d'une main-d'œuvre motivée par le spectre de la pauvreté, susceptible d'assurer au moindre coût le train de vie de l'American Dream à la classe moyenne déjà sous pression qui acceptera de faire tourner sans trop se plaindre certaines des industries les plus avancées de la planète (dont celles du secteur défense). Ce qui laisse le gouvernement libre d'investir dans la recherche et le soutien industriel. Selon le rapport 2010 de l'OCDE, OECD Science, Technology and Industry Outlook (.PDF), les États-Unis sont en deuxième place après le Japon pour ce qui est de la part des dépenses en recherche et développement proportionnellement au PIB — et le rapport note que les dépenses des États-Unis sont sans doute sous-estimées.
L'inégalité est peut-être (sans doute?) le résultat d'une monopolisation des gains de productivité et des gros salaires par les plus riches et les plus éduqués, mais si la croissance économique des États-Unis jusqu'au début des années 1973 a largement profité de l'éducation généralisée de la population (comme ailleurs, quoique un peu plus tard), rien ne dit qu'il s'agisse nécessairement d'une loi valable ad vitam aeternam dans tous les cas de figure. Rien ne permet de l'affirmer, à moins de connaître le futur... Tant que les ouvriers ne seront pas complètement supplantés par les robots, il restera peut-être une exigence incompressible de travailleurs moins éduqués. Sinon, on peut imaginer que la gestion de robots sera le boulot de l'avenir et qu'on découvrira alors que les fanas de jeux vidéos s'entraînaient sans le savoir à devenir des gestionnaires de robots...
Bref, il est possible d'entrevoir des raisons permettant de croire que les États-Unis pourraient revenir en lion. L'habitude d'être le premier en tout est aussi un incitatif à déployer de grands efforts pour maintenir son rang. C'est un aiguillon qui pousse les États-Unis à prendre des décisions qui défient le sens commun de certains économistes, mais qui pourraient rapporter gros. En tout cas, les Français et les Canadiens qui sont habitués au manque d'ambition de leurs gouvernants devraient se poser des questions sur les choix qui font que leurs pays ne risquent pas de rivaliser avec les États-Unis pour ce qui est de la richesse par habitant ou de la puissance brute.
D'un point de vue historique, parier contre les États-Unis est un jeu dangereux. Les Anglais y ont renoncé après s'être brûlé les doigts en 1776, 1812 et 1860 (quand ils avaient plus ou moins parié sur la Sécession du Sud). Les Allemands s'en sont repentis après leurs défaites en 1918 et 1945. Les Russes ont fini par plier en 1989 et Saddam Hussein a été pendu parce qu'il avait mal compris les instructions — en anglais, natürlich — d'une ambassadrice états-unienne et s'était obstiné dans l'erreur. Quant aux tenants du déclin des États-Unis après la guerre du Viêt-nam, Nixon, le choc pétrolier et Cartier, ils n'ont pas vu venir la chute de l'Empire soviétique et le boom des technos des années 1990.
L'idéologie propre aux États-Unis, ce n'est pas l'American Dream, c'est la destruction créative chère à Joseph Schumpeter. Trébucher, chuter et se relever. Errer et se racheter. Détruire pour mieux reconstruire. L'Amérique est le lieu des nouveaux commencements, mais on ne peut recommencer parfois qu'à la faveur de la destruction de ce qui a précédé. La mythique frontière n'était pas un non-lieu avant la colonisation par les pionniers américains : elle était habitée, mais elle a été dévastée (par les maladies, les guerres, la chasse allant jusqu'à l'extermination de certaines espèces) afin de devenir la scène d'une nouvelle construction, celle des fermes et des ranches. La grande Dépression a enchaîné les calamités naturelles et humaines avant de devenir le tremplin d'un pays victorieux à la guerre, prospère à l'interne et technologiquement à la fine pointe des biens de consommation.
Aujourd'hui, il y a de nouveaux lieux dévastés, comme les friches de Detroit, mais il pourrait s'agir aussi de la création d'une nouvelle frontière.
Les États-Unis préparent-ils un rebond similaire? Ce n'est pas impossible — même si l'Histoire ne se répète pas toujours. C'est le propre des préparatifs de ne pas révéler leurs résultats. Les États-Unis de demain pourraient devenir autre chose. Par exemple, un pays riche jouissant d'une croissance reposant désormais sur de nouvelles bases — dont la pauvreté persistante d'un prolétariat marginalisé, multiracial et issu en partie de l'immigration — qui existerait en symbiose avec des pays misant sur la solidarité sociale (Canada, France, Allemagne) lui servant d'incubateurs utiles en matière de ressources humaines et de partenaires scientifiques...
Libellés : États-Unis, Futurisme