2009-04-05
Le Romantisme magique
En 2004, le roman de fantasy par Susanna Clarke intitulé Jonathan Strange and Mr Norrell a été compté au nombre des sensations littéraires de l'année. Gros pavé lourd de 782 pages dans l'édition que j'ai reçue en cadeau, l'ouvrage renoue avec un rythme d'écriture comme on n'en trouve plus guère. Comme dans les romans anglais du XIXe siècle, on rencontre une série de personnages, dont on présente parfois toute l'histoire familiale, ou parfois non. Leurs aventures nous retiennent un instant, puis l'auteur reprend le fil d'une intrigue antérieure, avant de revenir beaucoup plus tard pour faire le lien et nous montrer la convergence de destins que l'on croyait distincts. Mais, bien entendu, dans les romans de Dickens et des autres écrivains britanniques contemporains, les mondes les plus éloignés sont condamnés à se rencontrer... Malgré l'emploi de personnages historiques et les références littéraires surabondantes, il s'agit toutefois d'une uchronie puisqu'il s'agit d'une Grande-Bretagne dont toute l'histoire porte l'empreinte de la magie.
L'uchronie n'est certes pas très rigoureuse. Logiquement, on aurait pu s'attendre à des bouleversements de l'histoire majeurs en raison de l'existence pendant plusieurs siècles d'un royaume d'Angleterre du Nord gouverné par un roi-magicien immortel, John Uskglass, le « Raven-King » qui a également asservi un royaume en terre de féerie et un autre au-delà des enfers... Mais, au début du XIXe siècle, l'Angleterre réunifiée après la disparition du roi-magicien est en guerre avec la France de Napoléon. Comme d'habitude. Un des derniers magiciens anglais, Jonathan Strange, va d'ailleurs participer à la campagne d'Espagne de Wellington et lui donner plusieurs coups de pouce magiques — ainsi qu'à Waterloo, d'ailleurs. (Napoléon ne s'en remettra pas.) De nombreux personnages parfaitement historiques hantent d'ailleurs les pages du roman, y compris Byron, Shelley et quelques autres Romantiques.
Toutefois, c'est la mise en scène de la magie qui est l'ingrédient le plus fascinant du roman. Dans un sens, c'est une version de la magie chez J. K. Rowling, mais pour adultes. C'est-à-dire que les sorts, sortilèges et enchantements se trouvent également dans de vieux livres et manuscrits, signés par des magiciens des siècles passés. Et Norrell convoque un être féerique au moyen d'une incantation latine, composée dans un latin élémentaire mais quand même plus authentique que le pseudo-latin de Rowling. Par contre, Susanna Clarke a travaillé fort pour nous montrer des emplois de la magie plus originaux que la moyenne. Et la magie reste un phénomène plus indiscipliné que dans les romans pour jeunes de Rowling.
Le roman traîne parfois en longueur, malgré toute la verve de Clarke et son génie pour camper des personnages bien typés, et souvent surprenants. Le problème, c'est qu'on trouve difficilement des personnages sympathiques, et tout aussi difficilement des personnages antipathiques. L'ennemi désigné, c'est l'être magique que Norrell appelle pour lui demander de faire revivre une femme morte; en échange, ce seigneur de féerie réclame la moitié de la vie de la ressuscitée et il va en profiter pour lui imposer sa volonté et l'appeler dans son palais ruiné toutes les nuits. (Même si Norrell a été berné, on s'interroge sur le respect des conditions de l'entente puisque la jeune femme sacrifie non seulement ses nuits mais ses jours au plaisir de son maître.) Ce seigneur de la magie tourmentera d'autres victimes, mais sans jamais qu'on sache s'il est tout à fait conscient de les faire souffrir. Clarke semble suggérer que la toute-puissance magique du personnage l'a corrompu jusqu'à la moelle.
Or, le fait est, justement, que les deux magiciens du titre trahissent déjà quelques signes de l'arrogance et de la corruption favorisées par les pouvoirs qu'ils maîtrisent et portées à leur comble dans le personnage de leur antagoniste. Du coup, le roman se termine essentiellement par accident, grâce au genre de coïncidences qui caractérisaient d'ailleurs la littérature anglaise du XIXe siècle. Bref, un peu comme dans certains de ces romans, on goûte moins l'ouvrage comme un tout organique et une création artistique en soi, et plus comme un voyage en terre étrangère qui nous a permis de faire la connaissance de personnes intéressantes — tout en sachant qu'on pourra revenir chez soi une fois le livre refermé.
L'uchronie n'est certes pas très rigoureuse. Logiquement, on aurait pu s'attendre à des bouleversements de l'histoire majeurs en raison de l'existence pendant plusieurs siècles d'un royaume d'Angleterre du Nord gouverné par un roi-magicien immortel, John Uskglass, le « Raven-King » qui a également asservi un royaume en terre de féerie et un autre au-delà des enfers... Mais, au début du XIXe siècle, l'Angleterre réunifiée après la disparition du roi-magicien est en guerre avec la France de Napoléon. Comme d'habitude. Un des derniers magiciens anglais, Jonathan Strange, va d'ailleurs participer à la campagne d'Espagne de Wellington et lui donner plusieurs coups de pouce magiques — ainsi qu'à Waterloo, d'ailleurs. (Napoléon ne s'en remettra pas.) De nombreux personnages parfaitement historiques hantent d'ailleurs les pages du roman, y compris Byron, Shelley et quelques autres Romantiques.
Toutefois, c'est la mise en scène de la magie qui est l'ingrédient le plus fascinant du roman. Dans un sens, c'est une version de la magie chez J. K. Rowling, mais pour adultes. C'est-à-dire que les sorts, sortilèges et enchantements se trouvent également dans de vieux livres et manuscrits, signés par des magiciens des siècles passés. Et Norrell convoque un être féerique au moyen d'une incantation latine, composée dans un latin élémentaire mais quand même plus authentique que le pseudo-latin de Rowling. Par contre, Susanna Clarke a travaillé fort pour nous montrer des emplois de la magie plus originaux que la moyenne. Et la magie reste un phénomène plus indiscipliné que dans les romans pour jeunes de Rowling.
Le roman traîne parfois en longueur, malgré toute la verve de Clarke et son génie pour camper des personnages bien typés, et souvent surprenants. Le problème, c'est qu'on trouve difficilement des personnages sympathiques, et tout aussi difficilement des personnages antipathiques. L'ennemi désigné, c'est l'être magique que Norrell appelle pour lui demander de faire revivre une femme morte; en échange, ce seigneur de féerie réclame la moitié de la vie de la ressuscitée et il va en profiter pour lui imposer sa volonté et l'appeler dans son palais ruiné toutes les nuits. (Même si Norrell a été berné, on s'interroge sur le respect des conditions de l'entente puisque la jeune femme sacrifie non seulement ses nuits mais ses jours au plaisir de son maître.) Ce seigneur de la magie tourmentera d'autres victimes, mais sans jamais qu'on sache s'il est tout à fait conscient de les faire souffrir. Clarke semble suggérer que la toute-puissance magique du personnage l'a corrompu jusqu'à la moelle.
Or, le fait est, justement, que les deux magiciens du titre trahissent déjà quelques signes de l'arrogance et de la corruption favorisées par les pouvoirs qu'ils maîtrisent et portées à leur comble dans le personnage de leur antagoniste. Du coup, le roman se termine essentiellement par accident, grâce au genre de coïncidences qui caractérisaient d'ailleurs la littérature anglaise du XIXe siècle. Bref, un peu comme dans certains de ces romans, on goûte moins l'ouvrage comme un tout organique et une création artistique en soi, et plus comme un voyage en terre étrangère qui nous a permis de faire la connaissance de personnes intéressantes — tout en sachant qu'on pourra revenir chez soi une fois le livre refermé.