2008-10-24

 

Le futur de l'édition

Le livre est-il sur le point de devenir un produit principalement numérique? Les bibliothèques numériques se multiplient (comme Europeana) et il est de plus en plus facile de lire à l'écran. De nouveaux lecteurs numériques (comme le Kindle d'Amazon) sont sortis encore récemment.

Un rapport du ministère de la Culture et de la communication en France a été préparé par Bruno Patino, président de Télérama. Je ne l'ai pas lu au complet, mais je note un paragraphe sur la gestion des droits numériques qui témoigne d'une certaine sagesse:

« L’image des DRM, tenus pour responsables du piratage intense qu’a connu l’industrie musicale, a été fortement diabolisée. Une vision équilibrée devrait reconnaître qu’ils peuvent être aussi des instruments de gestion des usages, visant à faciliter l’automatisation de la gestion d’offres différenciées notamment dans [des] abonnements finement découpés en bouquets. Mais l’expérience montre que la dose « supportable » de DRM doit être déterminée pour éviter des déboires majeurs. Des mesures de protection qui aboutissent à brider fortement les usages des utilisateurs, en imposant des opérations complexes d’accès ou de partage, risquent en effet d’inciter les consommateurs à vouloir « déverrouiller » les contenus qu’ils auront achetés légalement, pour les utiliser comme ils l’entendent. Ils risquent donc de se tourner vers une forme de piratage alors que ce n’était pas leur choix de départ. »

Sinon, le rapport conclut d'abord qu'une « vigilance particulière doit notamment être portée à la concurrence nouvelle qui pourrait s’exercer entre les détenteurs de droits (auteurs et éditeurs), dont la rémunération de la création doit être préservée et valorisée, et les détenteurs d’accès et de réseaux, qui n’ont pas nécessairement intérêt à la valorisation des droits de propriété intellectuelle.» De manière très française, le rapport en tire deux recommandations principales:

— « la propriété intellectuelle doit demeurer la clé de voûte de l’édition »;
— « les éditeurs doivent conserver un rôle central dans la détermination des prix».

Les recommandations plus précises qui relèvent du premier principe me semblent assez sensées, en général : améliorer la compatibilité des formats numériques; faciliter la recherche en-ligne des ouvrages numérisés; soutenir la production de livres numériques; réviser les contrats types des auteurs et revoir l'application de certains concepts (droit moral) dans le cadre numérique, toujours dans le respect de la propriété intellectuelle. En effet, je ne crois pas à l'élimination de la propriété intellectuelle; même si les créateurs devraient avoir le droit de renoncer à leurs droits patrimoniaux s'ils le désirent, cette abdication ne peut avoir de valeur que si la propriété intellectuelle est reconnue.

Par contre, dès qu'il est question de laisser la maîtrise des prix de vente aux éditeurs (et donc au gouvernement, au moyen d'une régulation des marchés, à la fois française et européenne), je suis dubitatif. Le rapport assimile d'ailleurs les éditeurs aux « détenteurs de droits » (en mentionnant parfois les auteurs, parfois non), ce que je tiens pour un raccourci abusif. Néanmoins, ce choix en faveur des éditeurs s'appuie sur le raisonnement suivant :

« L’intermédiaire qui reste maître de son environnement et qui mesure la position de chacun de ses contenus dans chacune des chaînes de valeur a une possibilité de rétribution forte dans l’univers numérique. Mais la tâche est difficile à réaliser pour deux raisons au moins :

— d’une part, il existe une fragmentation croissante du marché qui exige des offres finement adaptées pour répondre aux différentes demandes. Chaque offre s’accompagne de modes de diffusion, de publicité et de référencement utilisant pleinement les effets de réseaux, grâce aux divers canaux de type blogs, tags, sites communautaires, etc. Profiter de la multiplication des marchés de niches suppose d’identifier, d’atteindre et de stimuler ces niches. Et d’aider l’acheteur potentiel à se repérer dans la multitude des offres et des contenus, c’est-à-dire de donner du sens et de la lisibilité aux contenus proposés et à leur référencement. C’est une activité neuve et en cours d’invention ;

— d’autre part, il est impératif de maîtriser les différents flux financiers issus d’offres hétérogènes – un même contenu fait partie d’une multitude d’offres, proposées à des conditions commerciales diverses. Il peut par exemple être proposé en fichier téléchargeable à un prix fixe, mais aussi être intégré dans un bouquet de contenus accessible par abonnement à des tarifs et pour des durées diverses, ou encore fourni gratuitement comme produit d’appel. Dans cet environnement, le calcul des revenus générés par un contenu devient délicat sans un back-office performant pour le traiter.

Dans cet univers aux modèles économiques d’une complexité croissante, il faut que l’un des acteurs de la chaîne joue un rôle de centralisation et d’intermédiation. Mais qui est cet acteur au centre du hub des chaînes de valeur : le fournisseur de l’accès, le détenteur du droit, le vendeur qui « place » le produit, ou le fabricant de technologie ? »

Autrement dit, la désintermédiation permise par le réseau privilégie quand même des intermédiaires, mais potentiellement d'un nouveau genre. Ce que suggère le rapport sans jamais l'établir explicitement, c'est que l'éditeur devrait conserver son rôle de passeur et que le gouvernement devrait l'aider à le faire. Pour l'instant, les passeurs comme Amazon et Google prennent une importance grandissante dans le domaine du numérique. Est-ce une bonne ou mauvaise chose? Ce n'est pas clair, mais ce qui est sûr, c'est que les éditeurs traditionnels ont lamentablement échoué à négocier le virage numérique.

Où allons-nous désormais? Quand j'examine les évolutions récentes, il me semble possible d'envisager deux pistes réalistes, outre la mise en-ligne d'ouvrages gratuits par des écrivains dilettantes. D'une part, sur le modèle d'iTunes, on peut imaginer la diffusion numérique de fictions à succès, dont le téléchargement ne coûterait qu'une somme minime mais dont le volume de diffusion permettrait de rentabiliser le travail de l'auteur. D'autre part, on peut imaginer un retour à la formule de l'édition d'avant le XIXe siècle quand l'écriture et l'impression étaient financées au préalable par des mécènes, investisseurs et souscripteurs : un ouvrage suffisamment attendu par un public de passionnés pourrait convaincre un nombre restreint de ceux-ci d'avancer les sommes requises pour financer le travail de l'écrivain et la distribution en-ligne.

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