2008-08-15
La croissance virtuelle
Je notais récemment ma lecture de Limits to Growth: The 30-Year Update, qui exposait les scénarios fondés sur des modèles informatiques qui prédisent encore et toujours des dépassements de la croissance exponentielle de la population humaine et de l'économie mondiale par rapport aux ressources disponibles. Si on ne veut pas que le scénario des Cowboys Fringants dans la chanson « Plus rien » se réalise, il faudra trouver des moyens de juguler la croissance, ou d'y répondre, ou les deux...
Il se peut que les responsables de ces scénarios sous-estiment la rapidité du progrès technologique dans le cadre de la révolution des communications informatiques et des développements à venir de la nanotechnologie. (Un article de Jonathan D. Linton et Steven T. Walsh dans Technological Forecasting and Social Change en juin suggère d'ailleurs que la compréhension actuelle de l'innovation intègre imparfaitement les effets d'une nouvelle technologie capable de multiplier les capacités des technologies existantes. Personnellement, j'aime donner en exemple les nouveaux procédés de production de la fonte au XVIIIe siècle qui ont commencé par permettre aux architectes de reproduire en fer des ponts de charpente ou de lianes, mais en beaucoup plus grand, plus long et plus solide.) Mais ce serait dangereux d'y compter.
Un article de Lenore Newman et Ann Dale paru dans Futures en avril (« Limits to growth rates in an ethereal economy ») envisage la possibilité de contourner l'épuisement des ressources disponibles en virtualisant une partie de l'économie. Après tout, imaginons qu'une partie de plus en plus grande de l'économie se transporte dans Second Life, où l'achat de biens est presque entièrement dématérialisé. Acheter une nouvelle maison ou de nouveaux vêtements dans cet univers virtuel n'exige pas de matériaux qu'il faut cultiver, synthétiser ou extraire du sol; cela n'exige pas non plus de combustibles fossiles pour les déplacements et les transports; et cela n'a pas non plus d'impact sur l'écosystème... sauf dans la mesure où les membres de Second Life ont besoin de matériel électronique et d'électricité pour se brancher sur leur univers virtuel. Néanmoins, une économie virtualisée permettrait d'épargner de nombreuses ressources matérielles. Mais serait-ce suffisant pour éviter un effondrement?
Newman et Dale (qui sont canadiennes, d'ailleurs, comme Linton) ne tentent pas de calculer rigoureusement les effets d'une virtualisation de l'économie, mais elles expliquent pourquoi une croissance exponentielle d'une économie dématérialisée leur semble improbable. Elles admettent en revanche qu'une croissance ponctuée et irrégulière d'une telle économie ne serait pas impossible. L'argument est qualitatif, mais pas déraisonnable. Une croissance logistique (ce qui nous ramène à Marchetti, comme dans mon autre billet) et ponctuée serait globalement linéaire à long terme; pour que l'humanité s'en satisfasse, il faudrait qu'elle contrôle sa propre croissance exponentielle...
Il se peut que les responsables de ces scénarios sous-estiment la rapidité du progrès technologique dans le cadre de la révolution des communications informatiques et des développements à venir de la nanotechnologie. (Un article de Jonathan D. Linton et Steven T. Walsh dans Technological Forecasting and Social Change en juin suggère d'ailleurs que la compréhension actuelle de l'innovation intègre imparfaitement les effets d'une nouvelle technologie capable de multiplier les capacités des technologies existantes. Personnellement, j'aime donner en exemple les nouveaux procédés de production de la fonte au XVIIIe siècle qui ont commencé par permettre aux architectes de reproduire en fer des ponts de charpente ou de lianes, mais en beaucoup plus grand, plus long et plus solide.) Mais ce serait dangereux d'y compter.
Un article de Lenore Newman et Ann Dale paru dans Futures en avril (« Limits to growth rates in an ethereal economy ») envisage la possibilité de contourner l'épuisement des ressources disponibles en virtualisant une partie de l'économie. Après tout, imaginons qu'une partie de plus en plus grande de l'économie se transporte dans Second Life, où l'achat de biens est presque entièrement dématérialisé. Acheter une nouvelle maison ou de nouveaux vêtements dans cet univers virtuel n'exige pas de matériaux qu'il faut cultiver, synthétiser ou extraire du sol; cela n'exige pas non plus de combustibles fossiles pour les déplacements et les transports; et cela n'a pas non plus d'impact sur l'écosystème... sauf dans la mesure où les membres de Second Life ont besoin de matériel électronique et d'électricité pour se brancher sur leur univers virtuel. Néanmoins, une économie virtualisée permettrait d'épargner de nombreuses ressources matérielles. Mais serait-ce suffisant pour éviter un effondrement?
Newman et Dale (qui sont canadiennes, d'ailleurs, comme Linton) ne tentent pas de calculer rigoureusement les effets d'une virtualisation de l'économie, mais elles expliquent pourquoi une croissance exponentielle d'une économie dématérialisée leur semble improbable. Elles admettent en revanche qu'une croissance ponctuée et irrégulière d'une telle économie ne serait pas impossible. L'argument est qualitatif, mais pas déraisonnable. Une croissance logistique (ce qui nous ramène à Marchetti, comme dans mon autre billet) et ponctuée serait globalement linéaire à long terme; pour que l'humanité s'en satisfasse, il faudrait qu'elle contrôle sa propre croissance exponentielle...
Libellés : Économie, Environnement, Futurisme, Sciences
Comments:
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Mais un économie virtuelle serait un jeu de somme nulle . . . comme le spéculation financier.
Le nourriture est l'issue décisif, non?
Je ne sais le science de économie très bien j'admets...
Le nourriture est l'issue décisif, non?
Je ne sais le science de économie très bien j'admets...
La nourriture est la contrainte ultime, mais une économie réduite à la production et à la consommation de nourriture serait une économie de pure survie, comme dans les pays les plus pauvres.
La question, c'est de savoir si on peut réduire la pression sur les ressources disponibles sans trop déranger les économies existantes. Dans les pays industrialisés, l'économie est souvent dominée aujourd'hui par les services. Regarder un film n'ajoute rien de matériel à nos vies, pas plus que lire les nouvelles ou se faire servir au restaurant par quelqu'un qui connaît bien les vins et retient bien les commandes, et non par une personne tout juste capable de porter des assiettes du point A au point B.
Ce sont des services qui comptent pour beaucoup dans la mesure de nos économies, mais qui n'exigent pas toujours de grandes quantités de ressources matérielles. Le déplacement dans le virtuel pourrait-il maintenir l'activité économique tout en réduisant la consommation de ressources?
Dans le cadre d'une économie de services, on achète du temps humain. À la base, les prix payé pour le temps du cinéaste, du journaliste ou du serveur paie pour les besoins de base de cette personne : logement, vêtements, nourriture... A priori, c'est proche du minimum requis par unité d'activité économique. Un bien matériel (une voiture, un réfrigérateur) va également incorporer du temps humain, mais il incorpore aussi des matières premières en plus, et des combustibles fossiles.
Dans un sens, c'est une économie de serviteurs et de domestiques(à la Upstairs, Downstairs). Le mot même de « domestique » renvoie au latin « domus » et souligne qu'une telle économie renouvelle le clientélisme des anciennes sociétés. On peut le déplorer, car cela finit par miner l'indépendance relative des fermiers plus ou moins autonomes sur leurs terres — à condition qu'ils en soient propriétaires, bien entendu! Mais la planète n'est pas assez grande pour offrir à tout le monde son propre lopin de terre, en particulier si on veut que ce terrain soit assez grand pour assurer un niveau de vie minimum au cultivateur du sol...
Dans les grands pays asiatiques comme la Chine et l'Inde, la prospérité a longtemps reposé sur le contrôle du temps de travail des humbles. En Europe, la fortune dans l'économie traditionnelle passait par l'appropriation non pas du temps de nombreux serviteurs, mais de nombreuses ressources naturelles : animaux d'élevage, bois de taillis, etc. C'est pourquoi l'Europe a toujours été moins peuplée, parce qu'il fallait consacrer une partie des produits agricoles aux animaux qui fournissaient de la viande et des matières premières, mais aussi du temps de travail. Dans les grandes économies asiatiques traditionnelles, ce temps de travail était plus souvent accompli par des personnes...
Maintenant que nos économies occidentales s'orientent dans ce sens, nous sommes en train d'essayer de battre les économies asiatiques à leur propre jeu. L'ascension de la Chine et de l'Inde reflèterait alors ce changement de direction de l'Occident, et non un succès intrinsèque.
Mais pourquoi avons-nous changé de direction? La transition machinique (la production de moteurs, d'engins divers et de voitures capables de remplacer les tâches de base autrefois accomplies par des animaux en Occident ou par des humains ailleurs) a été payante tant que l'Occident contrôlait cette production et proposait de nouveaux substituts.
Mais qu'avons-nous ajouté récemment à la panoplie des voitures, avions et autres machines fonctionnant grâce à l'électricité ou au moteur à combustion interne? Pas grand-chose, depuis cinquante ans. Du coup, une fois que la plupart des pays bénéficient de ces nouvelles machines, elles ont été retirées de l'équation et nous entrons dans une ère post-industrielle qui donne la primauté aux services.
L'exemple asiatique confirme que c'est un moyen de maximiser l'usage de ressources par personne. Et il est sans doute trop tard pour se raviser, du moins sans trouver une nouvelle planète à coloniser.
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La question, c'est de savoir si on peut réduire la pression sur les ressources disponibles sans trop déranger les économies existantes. Dans les pays industrialisés, l'économie est souvent dominée aujourd'hui par les services. Regarder un film n'ajoute rien de matériel à nos vies, pas plus que lire les nouvelles ou se faire servir au restaurant par quelqu'un qui connaît bien les vins et retient bien les commandes, et non par une personne tout juste capable de porter des assiettes du point A au point B.
Ce sont des services qui comptent pour beaucoup dans la mesure de nos économies, mais qui n'exigent pas toujours de grandes quantités de ressources matérielles. Le déplacement dans le virtuel pourrait-il maintenir l'activité économique tout en réduisant la consommation de ressources?
Dans le cadre d'une économie de services, on achète du temps humain. À la base, les prix payé pour le temps du cinéaste, du journaliste ou du serveur paie pour les besoins de base de cette personne : logement, vêtements, nourriture... A priori, c'est proche du minimum requis par unité d'activité économique. Un bien matériel (une voiture, un réfrigérateur) va également incorporer du temps humain, mais il incorpore aussi des matières premières en plus, et des combustibles fossiles.
Dans un sens, c'est une économie de serviteurs et de domestiques(à la Upstairs, Downstairs). Le mot même de « domestique » renvoie au latin « domus » et souligne qu'une telle économie renouvelle le clientélisme des anciennes sociétés. On peut le déplorer, car cela finit par miner l'indépendance relative des fermiers plus ou moins autonomes sur leurs terres — à condition qu'ils en soient propriétaires, bien entendu! Mais la planète n'est pas assez grande pour offrir à tout le monde son propre lopin de terre, en particulier si on veut que ce terrain soit assez grand pour assurer un niveau de vie minimum au cultivateur du sol...
Dans les grands pays asiatiques comme la Chine et l'Inde, la prospérité a longtemps reposé sur le contrôle du temps de travail des humbles. En Europe, la fortune dans l'économie traditionnelle passait par l'appropriation non pas du temps de nombreux serviteurs, mais de nombreuses ressources naturelles : animaux d'élevage, bois de taillis, etc. C'est pourquoi l'Europe a toujours été moins peuplée, parce qu'il fallait consacrer une partie des produits agricoles aux animaux qui fournissaient de la viande et des matières premières, mais aussi du temps de travail. Dans les grandes économies asiatiques traditionnelles, ce temps de travail était plus souvent accompli par des personnes...
Maintenant que nos économies occidentales s'orientent dans ce sens, nous sommes en train d'essayer de battre les économies asiatiques à leur propre jeu. L'ascension de la Chine et de l'Inde reflèterait alors ce changement de direction de l'Occident, et non un succès intrinsèque.
Mais pourquoi avons-nous changé de direction? La transition machinique (la production de moteurs, d'engins divers et de voitures capables de remplacer les tâches de base autrefois accomplies par des animaux en Occident ou par des humains ailleurs) a été payante tant que l'Occident contrôlait cette production et proposait de nouveaux substituts.
Mais qu'avons-nous ajouté récemment à la panoplie des voitures, avions et autres machines fonctionnant grâce à l'électricité ou au moteur à combustion interne? Pas grand-chose, depuis cinquante ans. Du coup, une fois que la plupart des pays bénéficient de ces nouvelles machines, elles ont été retirées de l'équation et nous entrons dans une ère post-industrielle qui donne la primauté aux services.
L'exemple asiatique confirme que c'est un moyen de maximiser l'usage de ressources par personne. Et il est sans doute trop tard pour se raviser, du moins sans trouver une nouvelle planète à coloniser.
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