2008-05-05

 

La productivité des villes

Les données récemment fournies par Statistique Canada sur l'évolution des revenus au Canada et du pouvoir d'achat depuis 1980 ont relancé le débat sur les avantages des politiques économiques conduites au Canada. Depuis 1980, la croissance a été au rendez-vous (le PIB par habitant aurait augmenté de moitié environ), le dollar est fort et les finances publiques n'ont jamais tout à fait dérapé. Mais la situation de 80% de la population employée à temps plein a empiré ou s'est tout au plus infinitésimalement amélioré — les gains médians augmentant de 53$ en vingt-cinq ans, en dollars constants. Et c'est la situation des salariés supérieurs qui s'est améliorée, tandis que celle des moins rémunérés s'est dégradée.

Est-ce un problème de redistribution ou de croissance? Puisqu'il y a eu croissance, il est difficile de refuser un débat sur la redistribution. L'amélioration de la situation des salariés supérieurs est-elle purement le résultat de phénomènes organiques? Depuis l'élection de Brian Mulroney en 1984, il y a eu une pression à la baisse sur l'imposition des gains en capitaux, la taxation des entreprises et les prélèvements sur les revenus les plus élevés.

Comme Statistique Canada fait uniquement état des gains bruts sur ce quart de siècle, les effets de ces politiques fiscales devraient être indirects puisque seuls les revenus bruts des emplois entrent dans le calcul de ces gains. Néanmoins, si la courbe de rendement des augmentations salariales a été libérée là où elle était nettement plus aplatie auparavant, on peut comprendre qu'une dynamique d'augmentation des hauts salaires aurait pu s'enclencher dans une fourchette où les avantages des augmentations étaient plus grands, même si les gains diminuaient dans les fourchettes plus élevées.

L'augmentation des salaires supérieurs est-elle liée à une pénurie relative des personnes hautement qualifiées? Ceci renverrait aux politiques de formation au Canada, et au financement de l'éducation, ou plutôt à nos carences dans ces domaines. Est-ce lié à une transformation de l'immigration? Pendant longtemps, le Canada a remédié aux carences de son système d'éducation en acceptant des immigrants européens (que les guerres et dictatures européennes avaient la générosité de nous envoyer). Depuis trente ans, l'immigration est plus variée et, si les revenus des immigrants n'augmentent plus aussi vite, il se pourrait que ce soit imputable à des problèmes d'intégration (racisme) ou que ce soit aussi parce que les qualifications de ces nouveaux immigrants soient moins adaptées aux besoins de l'économie canadienne. Du coup, les salariés hautement qualifiés auraient bénéficié d'une prime...

Toutefois, on ne peut pas écarter entièrement la question de la croissance. À moins d'une redistribution entièrement confiscatoire, la croissance augmentera toujours une partie des gains et on peut soutenir que si les revenus du quintile supérieur ont augmenté, c'est toujours mieux que si le décile supérieur avait été le seul à profiter de la croissance. Donc, peut-on accepter l'équation voulant que plus de croissance donne plus de gains?

Si oui, comme on le souligne dans les journaux, il va falloir se pencher sur la productivité du travail au Canada, un sujet récurrent sur ce blogue. Les économistes ne s'entendent toujours pas sur les raisons de la piètre performance canadienne en matière de productivité, mais il semble clair que l'innovation n'est pas au rendez-vous quand il s'agit de réagir à des défis tels que l'exploitation de ressources plus difficiles d'accès ou l'exportation de biens manufacturés dans un contexte économique (dollar fort) plus difficile.

On en revient donc aux sources de l'innovation. Pour Jane Jacobs, à qui Richard Florida rendait hommage dans le Globe and Mail en fin de semaine, les grandes villes étaient des creusets de l'innovation. Dans The Economy of Cities, Jacobs aurait écrit : « The diversity, of whatever kind, that is generated by cities rests on the fact that in cities so many people are so close together, and among them contain so many different tastes, skills, needs, supplies, and bees in their bonnets. » À première vue, ceci laisserait entendre que la densité est aussi importante que le nombre, et je me suis demandé si le manque d'innovation canadien s'expliquerait par l'étalement urbain plus grand des agglomérations canadiennes, comme dans la région du Golden Horseshoe. Toutefois, un article (.PDF) de John R. Miron en 2003 indique au contraire que l'étalement urbain est plus grand aux États-Unis et que les grandes villes canadiennes sont plus densément peuplées ou de manière plus concentrée que les grandes villes comparables aux États-Unis.

Par conséquent, si les grandes villes des États-Unis favorisent l'innovation plus qu'au Canada, ce ne peut être le fait que des métropoles dont il n'existe pas l'équivalent au Canada : Los Angeles, New York, Chicago, San Francisco à la rigueur... Le nombre serait donc plus important que la densité, mais il resterait à prouver que les innovations responsables d'une meilleure productivité aux États-Unis proviennent effectivement de ces grandes villes, comme le voudrait Jacobs, et non de concentrations d'institutions innovantes (centrées sur des universités et des industries comme au Massachusetts ou en Californie).

Auquel cas on en reviendrait au problème de l'éducation et de son financement...

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