2007-10-16

 

L'éléphant environnemental

À Toronto, la première journée de l'atelier multidisciplinaire sur le sujet de la science et de la confiance (Trust in Science), qui s'inscrit dans le sillage d'une série de conférences à Halifax, est presque étourdissante. Il est question des origines néolibérales des études culturelles des sciences, du détournement des études cliniques par les compagnies pharmaceutiques, des aléas du journalisme scientifique, de la confiance inspirée par les digues de la Nouvelle-Orléans avant (ou après) Katrina et, enfin, de la citoyenneté dans le contexte d'une science mondialisée.

Impossible d'éviter le sujet de l'environnement. Le Prix Nobel décerné à Al Gore rend la question incontournable. Surtout quand un professeur louisianais décrit la véhémence des réactions suscitées par l'inondation de la Nouvelle-Orléans après Katrina, quand la population ne savait plus si elle devait faire confiance aux ingénieurs responsables des digues...

Et pourtant, quand Peter Calamai du Toronto Star demande combien de personnes dans une salle remplie de spécialistes de l'histoire et de la sociologie des sciences pouvaient nommer le procédé physico-chimique qui fournit, sur une base industrielle, une bonne partie de l'azote qui fera partie de nos corps, il n'y en a eu que six qui ont osé lever la main. (Comme historien des techniques, j'ai levé la main; je mentionne la chose dans mon cours à l'Université d'Ottawa.) Et pourtant, la semaine dernière, Gerhard Ertl a obtenu le Prix Nobel en chimie pour ses travaux visant à élucider les mécanismes du procédé Haber-Bosh, qui permet de transformer l'azote de l'air en engrais sans lesquels la productivité agricole ne serait pas ce qu'elle est. Et pourtant, si des universitaires ne savent pas de quoi il est question, comment espérer que de simples citoyens en sauront plus quand viendra l'heure des choix?

En fait, l'utilisation excessive de ces engrais enrichit nos rivières en composés azotés responsables de pollutions fluviales et maritimes : la mer Noire, la Baltique, la baie de Chesapeake, le golfe du Mexique ont tous souffert d'éclosions fertilisées par ces restes d'engrais, la prolifération d'animalcules entraînant l'injection de toxines dans les eaux voisines ou la consommation de l'oxygène dissous par les bactéries profitant de leur décomposition massive... Demain, il sera question du réchauffement climatique. Car il est des sujets qu'il n'est plus possible d'éluder...L'auditorium Glenn Gould du siège social de la CBC/SRC à TorontoSheila Jasanoff parle de la citoyenneté dans le contexte d'une science mondialisée

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Comments:
Bonjour, j'avoue ne pas trop comprendre cette phrase : "si des universitaires ne savent pas de quoi il est question, comment espérer que de simples citoyens en sauront plus quand viendra l'heure des choix?"

Si c'est de choix de programmes de recherche dont on parle, est-ce à dire qu'il faut connaître le procédé Haber-Bosch ou tout autre détail technique pour pouvoir décider sagement ?
 
Ma foi, je n'ai pas toujours le temps d'approfondir ma pensée dans un blogue qui tente de tenir un rythme journalier, mais je vais essayer de préciser...

Je pensais surtout aux choix environnementaux, ou plus généralement aux choix de politiques scientifiques. Lors de la conférence de Sheila Jasanoff, il a été question des tests de culture scientifique dans le genre de celui qui est donné en page 53 du Bilan 2002 de la culture scientifique et technique au Québec (.PDF). Il est facile de critiquer un tel questionnaire et d'y voir un outil grossier, mais je trouve un tantinet suspect qu'un auditoire porté à le critiquer trahit peut-être des lacunes presque aussi fondamentales en matière de culture scientifique et technique...

Un exemple cité lors des discussions n'était pas tiré du questionnaire international, mais, à la question de savoir si seuls les OGM contiennent des gènes, une proportion impressionnante des répondants affirmaient que oui. En ce qui me concerne, cela soulève des questions quant à la pertinence des réactions populaires face aux OGM. Ou du positionnement du public dans tout débat à la fois politique et technico-scientifique.

Je sais bien qu'il serait utopique d'exiger du grand public qu'il connaisse tous les tenants et les aboutissants d'un sujet comme celui du changement climatique, mais nous vivons en démocratie et le choix de nos représentants reste soumis aux choix des électeurs. On ne peut pas s'empêcher de demander, au moins, qu'est-ce que cela change aux choix démocratiques qu'une partie de l'électorat a une idée assez vague des enjeux.
 
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