2007-07-15

 

Sacrifices humains

Lectures récentes : American Gods de Neil Gaiman et The Fall of the Kings d'Ellen Kushner et de Delia Sherman.

La lecture de ces deux romans coup sur coup donne un relief accru à un aspect troublant qu'ils ont en commun, celui des sacrifices humains, consentis ou non. Dans American Gods, les dieux se nourrissent des sacrifices qui leur sont offerts, qu'ils soient animaux ou humains : le sang est la plus puissante offrande. Dans The Fall of Kings, le sang est versé pour nourrir la terre nourricière, généralement de façon volontaire ou métaphorique. La réalité du sacrifice est encore plus concrète puisque la terre n'est pas personnifiée, tout au plus dotée d'une majuscule (« the Land »).

Mais le côté sanglant et meurtrier de la pratique du sacrifice a de quoi déranger, alors que la guerre en Irak consomme de plus en plus de victimes, offertes pour renforcer la puissance des dieux de la Maison Blanche (dont l'architecture rappelle celle des temples antiques) ou pour nourrir à distance la terre maternelle de la patrie étatsunienne. Se peut-il qu'il y ait des gens qui prennent encore sérieusement le mythe du sacrifice salutaire? L'administration Bush a-t-elle compris que le pouvoir d'exiger le sacrifice du sang sacraliserait ce même pouvoir? Le pays lui-même profite-t-il de la même façon de ses actions militaires? Après tout, c'est aux États-Unis que Thomas Jefferson a écrit : « The tree of liberty must be refreshed from time to time with the blood of patriots and tyrants. » Dans son cas, c'était un sacrifice à rendre à la liberté, et non à une personne ou à la nation, mais c'était un autre signe de la survivance de l'antique croyance au pouvoir du sacrifice humain.

De nombreux pays ont arrosé de sang leurs racines. La fondation d'un nouvel État coïncide souvent avec des morts, voire des massacres. La République française s'est-elle nourrie des massacres de la Terreur? Les États-Unis retrempent régulièrement leur patriotisme dans le sang des guerres, depuis la guerre d'Indépendance à la guerre en Irak. En revanche, quand un nouvel État naît en douceur, son destin n'est pas toujours de durer : la Révolution de velours a mis fin en douceur au régime communiste en Tchécoslovaquie, mais la nouvelle Tchécoslovaquie n'a duré que quelques années... Se pourrait-il que la fragilité de l'existence nationale du Canada s'expliquerait par l'absence d'un sacrifice fondateur à Charlottetown? La véritable solution du mystère de l'assassinat de Thomas D'Arcy McGee (dont j'offre le portrait en buste à droite) en pleine rue à Ottawa en 1867 serait alors à rechercher du côté de quelque sectateur conscient de la nécessité d'arroser de sang la jeune pousse canadienne... L'homme qu'on a accusé de son assassinat, Patrick James Whelan, nia l'avoir tué jusqu'au bout, mais il aurait admis qu'il connaissait le coupable. Et si c'était Whelan, après tout? Il venait de la région de Galway en Irlande, à l'époque où la croyance aux fées était encore vivace, en particulier dans cette partie de l'île. On impute depuis longtemps aux Celtes irlandais des sacrifices humains (prenant entre autres la forme des corps retrouvés dans les tourbières) — Whelan comptait-il un crypto-druide parmi ses amis?

Dans sa nouvelle « Jim and Irene » (1991) reproduite dans son recueil Globalhead, Bruce Sterling décrit un moment de doute de son protagoniste, Jim, qui tient un journal quotidien : « He decided not to write that in his diary. He was afraid that if he read it later, it would make him think he'd gone nuts. » Parfois, je signe un billet en me faisant la même remarque...

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