2007-02-05

 

Dedans et dehors

Depuis quelques mois, la presse étatsunienne blâme les Irakiens pour la poursuite de l'occupation de leur pays.

L'armée irakienne ne s'affirme pas assez. Elle est incapable de combattre par elle-même. Ses généraux ne savent pas faire la guerre et ses soldats sont indisciplinés, vénaux, partiaux, imprudents... Quand ils se fourvoient, ils réclament l'aide de la cavalerie, c'est-à-dire de l'aviation étatsunienne. Si seulement cette armée savait se battre, se lamentent les ténors de la presse, les États-Unis pourraient se retirer le lendemain.

Dans le cas de la récente « bataille » de Najaf, la version la plus flatteuse est celle du New York Times (inscription requise) qui affirme qu'un bataillon de l'armée irakienne aurait pris d'assaut un camp retranché avec des forces insuffisantes. Ce camp occupé par la milice d'une secte messianique aurait été édifié à moins de vingt kilomètres de la ville sainte. Appelée à la rescousse, l'aviation des États-Unis aurait d'abord dégagé les Irakiens encerclés de leur mauvais pas. Puis, pour l'assaut final, des soldats étatsuniens et de nouvelles forces aériennes auraient prêté main forte aux Irakiens, renforcés par une unité d'élite, pour liquider toute résistance.

Une autre version, relayée par le journal britannique The Independent, soutient que le gros du combat aurait concerné les pèlerins d'une tribu qui auraient réagi violemment au meurtre de leurs dirigeants par des soldats irakiens chargés du contrôle des pèlerins (ce meurtre ayant été prémédité par une faction chiite). L'affrontement serait devenu une bataille rangée et les soldats irakiens auraient été incapables de venir à bout de leurs adversaires réfugiés dans les vergers les plus proches, qui auraient alors obtenu l'aide de villageois et aussi des membres de la secte installée dans les fermes voisines. Appelée à la rescousse, l'aviation des États-Unis serait intervenue en masse, bombardant les pèlerins et les villageois sans distinction et faisant de nombreuses victimes.

Saurons-nous un jour la vérité? La version des faits qui veut qu'une secte hostile aurait pu édifier un camp retranché avec des fortifications, des tunnels (!) et des armes lourdes à moins de vingt kilomètres de Najaf n'est pas exactement convaincante. La confusion (inscription requise) quant à l'identité du chef de cette milice n'inspire pas non plus la confiance. Dans le contexte irakien, on croira volontiers qu'un groupe ait pu accumuler des armes nombreuses, enterrées dans des casemates, mais pas vraiment qu'il aurait pu réunir plus de cinq cents combattants dans une paire de fermes à deux pas de Najaf avec des intentions hostiles. Le total des morts correspondrait-il à un nombre beaucoup plus raisonnable de militants, additionné aux villageois et aux pèlerins à l'origine de l'affrontement?

En ce qui concerne l'organisation de l'armée irakienne, qui n'inquiétait pas tellement les États-Unis quand le proconsul du temps l'avait dissoute à toutes fins utiles, le New York Times offre aussi un reportage (inscription requise) sur l'entraînement d'une aviation irakienne, qui est encore loin d'aboutir. L'absence d'une aviation irakienne se fait sentir, mais les journalistes étatsuniens omettent de demander pourquoi il faut tant de temps, si ce n'est pas la preuve que les États-Unis n'ont jamais eu l'intention de laisser l'Irak se doter d'une force aérienne qui lui permettrait de s'affranchir de la protection des États-Unis, voire de déclencher une guerre civile sans quartier ou de menacer Israël. Mais soyons justes : le retard est aussi imputable à une tentative de fraude qui accrédite la thèse lancée en novembre dernier par Al-Jazeera, imputant le mauvais équipement de l'armée irakienne au désir d'un soumissionnaire de gonfler ses marges de profit en fournissant des armes moins chères et carrément périmées.

Ce qui est clair, c'est que l'aviation est l'arme décisive sur le champ de bataille actuel. Elle ne peut pas remporter une guerre à elle seule, comme on l'a vu au Liban, mais lorsque des fantassins acculent leurs ennemis ou sont eux-mêmes acculés, l'aviation peut intervenir avec les meilleures chances de porter l'estocade. En Afghanistan, les soldats canadiens ont souvent reconnu leur dette envers l'aviation étatsunienne; on ne peut pas s'attendre à ce que l'armée irakienne fasse mieux que les armées occidentales. Bref, les reproches de la presse étatsunienne seraient plus crédibles s'ils admettaient que l'armée irakienne est privée d'une aviation, principalement par la faute des bombardements étatsuniens qui ont détruit les escadrilles de Saddam Hussein (exception faite des avions enfuis en Iran en 1991). Faute de quoi, on prendra difficilement au sérieux ce nouveau prêt-à-penser de l'élite journalistique des États-Unis...

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