2006-07-25

 

Penser la génétique...

Cet article de Nikolas Rose s'interroge en 2005 sur l'évolution des biotechnologies et propose quelques idées intéressantes. Comme dans cette version (.PDF), Rose souligne le fossé, et même le gouffre, qui sépare les priorités de l'industrie biotechnologique du nord et les priorités médicales des pays pauvres, bref, du Sud. L'urgence qui existe dans les pays les plus pauvres invite à prendre avec un grain de sel les grands débats sur la moralité de la biotechnologie. Dans la mesure où la biotechnologie permet de manipuler notre nature biologique, elle remet en question la nature humaine, la dignité humaine et, en dernière analyse, l'essence de notre humanité.

Mais les inégalités humaines au niveau de la santé et de la longévité (qui varie du simple au double entre le Malawi et le Canada) ne justifient-elles pas aussi un débat semblable, un débat tout aussi passionné et acharné? Personnellement, je suis de plus en plus porté à penser que l'accroissement de la longévité humaine (essentiellement dans les pays les plus développés) est le principal argument en faveur d'un progrès réel ces derniers siècles. Après tout, comme je l'indiquais précédemment, les tentatives de mesurer le bonheur ou la satisfaction individuelle n'ont pas toujours révélé de corrélation notable avec l'enrichissement. Toutefois, si nous vivons plus longtemps en moyenne, la somme totale de bonheur individuel est plus grande même si le niveau de satisfaction reste le même.

La question du partage de la longévité devient alors le principal critère de mesure du progrès humain...

Rose note toutefois que les bioéthiciens s'intéressent plus souvent aux droits individuels affectés par la médecine moderne et les nouvelles biotechnologies. Quant aux sociologues, ils tendent à déplorer le remplacement d'une focalisation sur les causes sociales du mal de vivre des personnes par une focalisation sur les causes médicales et, plus récemment, sur les causes génétiques. (Il est vrai que la biologie et la génétique ont déjà inspiré des analyses dangereuses, formulées par des idéologues fort peu recommandables.) Rose propose toutefois une nouvelle perspective.

Il fait remarquer que la génétique ne fait pas que ramener tous les problèmes à l'individu. La génétique révèle aussi des liens de parenté et de nouveaux traits communs, partagés avec des personnes dont on n'aurait jamais connu l'existence autrement. On commence donc à parler de biosocialité, ou de citoyenneté biologique, pour désigner ces nouvelles solidarités.

C'est justement parce qu'il est désormais question de manipuler le vivant qu'il ne faut plus craindre que le biologique soit un destin inéluctable. On peut imaginer, par exemple, de manière assez triviale, qu'il deviendrait possible de changer de phénotype racial. La science-fiction n'a pas souvent abordé cet aspect des manipulations génétiques puisque le sujet est miné : poser l'intérêt d'un tel changement suppose qu'il existe des différences réelles entre les soi-disant races humains. (En SFCF, Joël Champetier a décrit une transformation de ce genre dans La Taupe et le dragon, mais elle est obtenue de manière cosmétique. Dans mon roman pour jeunes Le revenant de Fomalhaut, le personnage principal est prisonnier d'extraterrestres qui vont changer la couleur de sa peau en manipulant son génome, mais ce n'est qu'une expérience ponctuelle... qui me permet de rendre hommage à un moment célèbre du roman Starship Troopers de Heinlein.) Néanmoins, la possibilité d'une telle altération aurait de bonnes chances de saper tout discours essentialiste reposant sur la nature biologique ou génétique des individus.

Rose prend pour exemple les diagnostics génétique prénataux qui permettent de sélectionner, oui, le sexe d'un bébé mais aussi d'éviter qu'un enfant naisse affligé par un mal congénital. On tombe alors dans l'eugénisme, selon certains, mais Rose soutient que ce n'est pas le cas parce qu'il est clair qu'en pratique, on nie pas l'humanité des affligés et pas non plus l'humanité des enfants préservés d'une telle maladie. Et a-t-on même le droit de s'interroger sur les conséquences philosophiques d'un geste dicté par l'amour et le souci d'autrui quand des millions d'enfants pauvres meurent de maladies qu'il serait tellement plus facilement de prévenir? (Un test prénatal coûte des milliers de dollars...)

De plus, Rose rappelle que la plupart des caractéristiques biologiques sont imputables à plusieurs gènes, dont l'interaction influence (au mieux) la probabilité de l'évolution de tel ou tel trait. Dans ces conditions, les choix génétiques du futur proche resteront empreints d'incertitude dans la plupart des cas.

De même pour les tentatives d'améliorer les performances cognitives des individus : le degré de nouveauté de ces tentatives n'est pas si élevé, car les êtres humains essaient depuis longtemps de manipuler leurs sentiments et leur capacité de travail, et l'efficacité des drogues utilisées reste discutable. En revanche, on peut s'inquiéter des tentatives d'imposer, au terme de tests généralisés, des drogues psycho-actives au nom du mieux-être de la société.

Rose conclut à un futur qui ne sera pas si différent du présent, mais qui verra l'émergence d'une nouvelle forme de vie au jour le jour grâce aux innovations de la biotechnologie. C'est le propre des experts de ne jamais prédire de ruptures radicales. (C'est une autre forme de la première des trois lois de Clarke, ou une variante, qui sait...) Ils ont souvent raison à brève échéance...

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