2006-06-25

 

Retour aux sources

À chacun son cimetière familial. Celui de la famille Trudel s'étend, en quelque sorte, entre la rivière Rouge et les ruines de l'ancienne cathédrale de Saint-Boniface. Nous le partageons avec Louis Riel et les siens, et plusieurs autres familles dont les racines remontent parfois aux origines du Manitoba.

La journée a été partagée entre un enterrement et une sorte de repas de funérailles, l'orage et le beau temps, la tristesse et les retrouvailles. Des parents et des amis s'étaient réunis pour l'inhumation des cendres de ma tante, auprès de la sépulture de mes grands-parents. La défunte avait demandé qu'on s'abstienne de toute cérémonie, mais les rituels sont rassurants. Ils balisent le choc et la peine d'une disparition.

Un tel voyage était aussi l'occasion parfaite de se pencher sur l'histoire familiale, dont j'ai déjà réuni quelques fragments. C'est un passe-temps à la mode, et je ne suis pas le seul de la famille à me pencher sur le passé. Les filles de Paul-Émile Trudel, le frère de mon grand-père, sont récemment revenues sur les lieux de leur naissance à Yellowknife. (Sur cette photo, on voit Paul-Émile Trudel vers 1938 avec sa femme Doris et sa sœur Anne-Marie, dite Kitty. Cette dernière a hérité à la mort de son mari d'un chalet sur le lac Bell au nord d'Ottawa qui est maintenant occupé par Jean-François Somain, alias Somcynsky.)

Paul-Émile Trudel (1892-1952) travaillait dans le Grand Nord au service du gouvernement depuis 1921. Il avait d'abord vécu dans une maison de rondins à Fort Smith aux confins des Territoires du Nord-Ouest avant de s'établir à Cameron Bay, qui allait devenir Port-Radium sur le Grand Lac de l'Ours, à quelques kilomètres à peine du cercle polaire. La transition a dû être radicale puisque Fort Smith se trouvait sur le soixantième parallèle et jouissait d'un climat moins rude. Sur la photo à gauche, un certain Zeke Stevenson se tient en mars 1932 devant la maison de Paul-Émile Trudel à Fort Smith. (Le printemps semble avoir été précoce si la date est exacte!) Un lac qui se trouve à quelques kilomètres — par avion — de Fort Smith porte le nom de Trudel en l'honneur du grand-oncle.

En 1934, c'est à Cameron Bay que l'on retrouve Paul-Émile. Un prospecteur du nom de Gilbert LaBine, d'origine sans doute franco-ontarienne, avait découvert en 1930 des gisements de radium et d'uranium à proximité. Sous l'égide de l'Eldorado Mining and Refining Limited (l'ancêtre de la plus grande compagnie publique d'extraction d'uranium au monde, Cameco), l'exploitation du site débuta avant d'être interrompue par la Seconde Guerre mondiale. Mais le projet du Manhattan Engineer District (.PDF) avait besoin d'uranium pour produire les bombes nucléaires qui seraient employées contre Hiroshima et Nagasaki, de sorte que les mines rouvrirent en 1942. En 1934, toutefois, le gouvernement du Canada avait choisi l'anse Cameron sur le Grand Lac de l'Ours pour en faire le centre de peuplement officiel dans la région, puisque des prospecteurs avaient afflué pour explorer les environs. Ainsi, une centaine de résidants se retrouvèrent sur le site de Cameron Bay pour profiter du bureau de poste, du poste de T.S.F., du poste de la GRC, du poste de la Compagnie de la Baie d'Hudson et d'un poste de l'administration. Dans la photo à droite, on voit cette baie en septembre 1934; au centre de l'image, un navire de ravitaillement de la Northern Transportation Company.

La photo suivante montre l'atterrissage d'un hydravion, sans doute sur la même portion du lac. Après tout, il n'existait ni chemin de fer ni route pour se rendre dans ces régions à l'époque. L'avion était le seul moyen de transport utilisable. (Rappelons que la première autoneige pratique de Bombardier n'est produite en série que fin 1936 — et qu'il ne s'agit pas encore d'une motoneige légère et rapide.) Dans la foulée des améliorations de l'aviation favorisées par la Grande Guerre, cependant, de plus en plus d'avions peuvent fournir les performances requises pour les longs déplacements loin des régions peuplées du pays. Il ne fallait rien de moins dans des contrées où la moindre défaillance mécanique exposait les pilotes et les passagers à des atterrissages improvisés en pleine brousse.

Malgré la neige visible dans la photo précédente, il est clair que l'hiver n'a pas été précoce au point d'entraîner le gel du lac. (Quand les lacs du nord étaient gelés et poudrés de neige, il devenait possible pour les avions de se poser en utilisant des skis.) En dépit de son âge, le cliché montre bien l'immensité austère du Grand Nord, et l'isolement obligé des quelques habitants de ces territoires. À son apogée, tout le district englobant Cameron Bay et les mines en opération n'aurait compté que deux cents personnes tout au plus...

À Cameron Bay comme à Yellowknife, Paul-Émile Trudel travaillait, semble-t-il, pour le Bureau du Conservateur des registres miniers, dont l'antenne de Cameron Bay était logée dans la maison reproduite dans la photo à droite. Les édifices derrière la maison seraient le poste et l'entrepôt de la Compagnie de la Baie d'Hudson. En principe, c'est Paul-Émile lui-même qui se tient devant la maison. En 1934, il lui restait dix années à passer dans les Territoires du Nord-Ouest et un peu moins de vingt années à vivre avant sa mort lors d'une expédition de chasse et pêche dans le bois, à proximité de Maniwaki. Mon grand-père ne s'attendait pas à ce que son petit frère meure ainsi avant lui.

Paul-Émile avait été caporal dans le Corps médical de l'Armée canadienne durant la Grande Guerre, de 1916 à 1919. Après avoir vécu à Fort Smith et à Cameron Bay (Port-Radium), il redescend vers le sud et vers le Grand Lac des Esclaves pour aboutir à Yellowknife, ville nouvelle au bord de ce lac immense, que la découverte de gisements d'or en 1934 avait pratiquement tirée de terre; en 1936, la Consolidated Mining amorce l'exploitation industrielle des filons. Au terme de ses années dans le Grand Nord au sein de la fonction publique fédérale, il devait revenir à Ottawa en 1944 pour occuper un poste dans le ministère des Ressources naturelles. Ses deux filles nées à Yellowknife habitent maintenant aux États-Unis, en Oklahoma et en Californie.

À Winnipeg, la visite du cimetière et de ses pierres tombales m'a permis de faire un lien qui m'avait échappé. Ou était-ce une coupure de journal dans un des albums de famille? Quoi qu'il en soit, j'ai enfin compris pourquoi, par un bel après-midi d'un été de mon enfance à Paris, nous avions visité en famille la veuve du général Jean-Louis Touzet du Vigier (1888-1980)... Ce militaire français avait commandé la 1ère Division blindée en 1944 lors du débarquement allié en Provence, et ses idées sur l'utilisation des chars avaient inspiré un jeune officier appelé Charles de Gaulle. Mais quel était le lien entre sa femme et mon père?

Un album de photos qui a sans doute appartenu à ma grand-mère fournit la réponse. Sur quelques clichés pris à la plage Ponemah du lac Winnipeg en 1913, deux jeunes filles font partie du cercle d'amies de mademoiselle Rita Chevrier : Françoise et Yolande de la Giclais. (Sur la photo à droite, Yolande est la petite fille que la grande Françoise tient par la main, même si ce bain de pied ne présente pas grand danger...)

Selon les indications de l'album, ce sont les filles d'Alain Magon de la Giclais, dont la femme aurait été une Talbot. La sœur de celle-ci, Azilda Talbot, était l'épouse d'Émile Jean, qui était sans doute le frère de Cécile Jean, née le 2 février 1880, l'épouse de Jean Gingras, né le 27 novembre 1879. Ce Jean (alias « Jack ») Gingras était l'oncle de ma grand-mère, dont la mère était Marguerite Gingras, née le 9 février 1872. Ainsi, on peut comprendre la présence de ces trois ou quatre photos de membres de la famille Magon de la Giclais prises durant l'été 1913.

On peut supposer qu'Alain Magon de la Giclais était un immigrant français en terre canadienne et qu'il avait conservé des liens avec la mère patrie, car sa fille Françoise épousera plus tard Jean Touzet du Vigier. (Étaient-ils retournés en 1914, lorsque la Première Guerre mondiale avait entraîné la mobilisation générale?) Mon père, installé à Paris au début des années 1960, avait-il noué connaissance avec la générale, poussé par ma grand-mère, curieuse d'avoir des nouvelles d'une amie d'enfance revenue au Manitoba à quelques reprises? La réponse se trouve peut-être dans la correspondance accumulée de mon père.

Les Magon de la Giclais sont une ancienne famille de Saint-Malo, dont l'origine remonterait à la fin du XVIIe s. Quant à Jean Touzet du Vigier, né le 10 octobre 1888 à Chambéry, il était le quatrième enfant d'Alain-Pierre Touzet du Vigier (1849-1912) et de Louise-Marie-Isabelle Lochtembergh (1857-1928).

Et comme tout se rejoint, tôt ou tard, la famille Jean avait en 1913 un chien appelé Gyp. Ou une chienne? Était-ce une allusion ethnique? Ou était-ce un hommage rendu à Gyp l'écrivain, à moins que ce ne soit une façon de l'insulter? (De son vrai nom Sibylle Gabrielle Marie Antoinette de Riquetti de Mirabeau, comtesse de Martel de Janville, Gyp était une réactionnaire forcenée, légitimiste, boulangiste et anti-dreyfusarde, qu'on a aussi décrite comme une anarchiste de droite. Vieille noblesse de Bretagne, comme les Magon de la Giclais... En septembre 1916, mon grand-père sera invité à un souper parisien où il retrouvera le mari de Gyp, le comte Roger de Martel.)

Autre souvenir d'enfance, autre mystère éclairci (partiellement) par une photo, celui de la maison de Percé... Lors d'un voyage en Gaspésie, la famille s'était bien entendu arrêtée à Percé pour admirer le célèbre massif rocheux. Nous avions fait le tour de l'île Bonaventure en bateau et mon père nous avait expliqué que la maison abandonnée sur la falaise offrant la meilleure vue du Rocher avait été longtemps occupée par une parente, dont il n'avait pas éclairci le degré de parenté. Comme je n'avais jamais eu l'occasion d'en reparler ou d'entendre parler de nouveau d'une branche de la famille avec un pied-à-terre en Gaspésie, j'en étais presque venu à croire que c'était une erreur, ou un malentendu. Pourtant, je conserve un souvenir très net des sentiers sinuant dans l'herbe folle et de la maison claquemurée sur la hauteur. Or, la photo de 1936 ci-dessus apparaît dans un vieil album avec une note précisant que cette villa baptisée « Les Goélands » était la maison d'été du docteur Aldège Éthier et de sa femme, née Béatrice Champagne.

Il s'agit sans doute du docteur montréalais de ce nom qui avait fait ses études médicales à l'Université Laval de Montréal (comme mon grand-père), obtenant son diplôme en 1892. Il était devenu professeur de gynécologie à l'Université de Montréal et directeur du personnel de l'Hôpital Notre-Dame, peut-être en même temps que mon grand-père y était, avant 1916. Il est mort début juin 1939. Quant à sa femme, son nom de famille suggère qu'elle pourrait être la sœur ou plus probablement la fille de l'avocat hullois Alfred Champagne, le conjoint d'Évangéline Chevrier, née le 1er septembre 1854 et mariée à Ottawa le 15 août 1876. Évangéline était la sœur du sénateur Noé Chevrier, le grand-père de ma grand-mère Margherita Chevrier. Le lien de parenté serait donc ténu, mais non imaginaire...

Aucun mystère à signaler du côté de la famille Mailhot, mais une tragédie longtemps ressassée... La tante de mon grand-père, née Valérie Trudel (1864-1950), avait épousé Joseph Émile Mailhot (1858-1934), que l'on voit aussi sur la photo ici (malgré la confusion sur les initiales). Joseph Émile Mailhot était en quelque sorte le directeur du personnel de l'asile provincial à Selkirk, petite localité qui se trouve approximativement au nord-est de Winnipeg. Selon mon oncle Robert, que nous avons vu à Winnipeg et qui apparaît sur la photo à droite à l'âge de sept ans, il était aussi un peu l'homme à tout faire de l'asile. Cette photo prise en mars 1931 par Paul-Émile Trudel, entre deux séjours à Fort Smith, montre un couple à la retraite. Elle ne montre pas le fils dont l'absence les incitait peut-être à se montrer particulièrement attentionnés pour les enfants de leur entourage. En effet, leur fils Charles Edmond était mort dans des circonstances particulièrement tragiques en 1905, alors qu'il essayait de prendre un raccourci en traversant le chemin de fer et en passant entre deux wagons d'un train apparemment à l'arrêt. Un mouvement du train avait soudain précipité les wagons les uns contre les autres et l'adolescent s'était retrouvé écrasé entre les wagons. Ce coup du sort était encore évoqué aujourd'hui en fin de journée dans le salon de l'oncle, près d'un siècle plus tard, alors que tous les contemporains sont morts... C'est ainsi que naissent les traditions orales, sans doute. Avant l'ère des blogues, c'est-à-dire.

Libellés : ,


Comments:
salut je vien de lire votre histoire moi je vien de percé et je suis un trudel on es beaucoup de trudel par la si tu veu rentré en contact mon adress email c donahue_steve@hotmail.com
 
Bonjour,
Simplement vous informer sur le Dr Aldège Éthier, décédé le 3 juin 1939 à l'âge de 71 ans.

Madame Béatrice Champagne est la fille du juge Louis-Napoléon Champagne et d'Aldée Chevrier, petite fille du juge Charles Champagne et arrière petite fille de Charles Champagne dit Laplante, patriotes de 1837, et fait prisionnier à la prison de Saint-Eustache. Ce dernier fut le premier médaillé d'or du Mérite Agricole du Québec autour de 1890.
PS: Aldège et Béatrice ont une fille unique qui a demeuré jusqu'à l'exporpriation du cap Canon, soit la maison Fédérik James, par le governement fédéral.

Ernest Champagne, filleul de Aldège et Béatrice
 
Merci pour cette précision. Est-ce qu'Alfred Champagne, mari d'Évangéline Chevrier, est connu de vous?
 
M. Trudel
Je ne connais rien d'Alfred Champagne et d'Évangéline Chevrier, mais je m'informe auprès de L'Association Champagne, pour savoir si il y a un lien avec les Éthier Champagne. Si j'obtiens une réponse, je l'informerai,
M. E. Champagne
 
Bon Lundi,
M. Trudel, voici les information concernant le lien d'Alfred Champagne et d'Évangeline Chevrier avec Béatrice Champagne et Aldège Ethier,

Informations de L'Association des Champagne, par Madame Sabine Champagne

En ce qui concerne le lien de parenté entre
Alfred Champagne & Evangéline
avec
Aldée Chevrier & Louis Napoleon Champagne.

Voici ce qu j'ai trouvé.

Lors du baptême d'Anita Champagne (Soeur de Béatrice) (fille de Louis-Napoléon et Aldée
Chevrier) les parrain et marraine sont: Alexandre Chevrier le grand père et
Philomène Vallée tante de l'enfant.

Il faut savoir que Philomène Vallée était l'épouse de Zephirin Gauthier.
Zéphirin Gauthier était le frère de Mathilde Gauthier.

Mathilde Gauthier a épousé Alexandre Chevrier dit Lajeunesse(8 août 1843 à
Rigaud)

Ils ont eu plusieurs enfants:

1- Jovite Chevrier
2- Hyacinthe Chevrier né 27 avril 1846 à Rigaud surnommé Noé Chevrier, le
sénateur
3-Aglaé Chevrier
4- Ephrem Chevrier
5- Adrien Zephirin Chevrier
6- Antoine Edmond Chevrier
7- Evangéline Chevrier épouse ALFRED CHAMPAGNE
8- Edmond Adolphus Chevrier
9- Oscar Chevrier
10-Eugene Louis Chevrier épouse Delia St-Jacques (Voir Note plus bas)
11- Marie Emma Chevrier
12- Alexandre Chevrier
13- Noé Chevrier

Note: Eugene Louis Chevrier et Delia St-Jacques ont un fils nommé Edgar
Chevrier qui épouse le 4 juin 1914 à St-Viateur d'Outremont Eugénie
Champagne (fille de Charles Champagne et Aglaé Ethier).
J'espère que mes explications sont claires.

Sabine Champagne

J'espère que ses informations répondent en partie à votre demande.

Ernest Champagne
 
Salut,

Avec quelques années de retard, je vous remercie pour ses explications qui me permettent de conclure qu'Aldée Chevrier était donc, en principe, la tante du père de ma grand-mère Margherita et donc que Béatrice Champagne était la cousine du grand-père de mon père. Ou la cousine de mon arrière-grand-père.

Quoique ce ne soit pas très clair : si Anita la soeur de Béatrice, fille d'Aldée Chevrier, était la petite-fille d'Alexandre Chevrier, il me semble qu'il faut nécessairement qu'Aldée soit une fille d'Alexandre, mais son nom n'apparaît pas dans la liste des enfants d'Alexandre...
 
Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?