2006-04-02

 

Où va la France?

Trêve de choses sérieuses, parlons de la France...

Pourtant, même si j'ai été désinvolte l'autre jour, il ne faut pas se cacher que les forces en présence en France jouent un jeu dangereux. Les précédents historiques doivent incliner à la prudence. Quand les situations dégénèrent, que l'ordre public semble échapper au contrôle de la police, que la classe politique est de plus en plus discréditée et que l'État même est menacé, il est souvent arrivé que se présente un homme providentiel pour ramener l'ordre. En provenance de l'extérieur des institutions, parfois, mais aussi de l'intérieur d'un gouvernement à l'occasion.

(Les prises du pouvoir par les militaires se classent sans doute quelque part entre ces deux cas de figure... J'en profite pour citer le film Machuca d'Andrés Wood sur le coup d'État du 11 septembre au Chili; le choix d'une fin choc m'avait d'ailleurs rappelé le film La Lengua de las mariposas sur le début de la guerre civile en Espagne. Dans les deux cas, de jeunes protagonistes étaient forcés de réviser leurs allégeances de manière déchirante, ou plutôt de revenir à leur camp « naturel » après avoir flirté avec un autre camp... Wood intégrait d'ailleurs la question raciale présente au Chili mais absente en Espagne.)

L'exemple typique de l'homme providentiel venu de l'extérieur est, dans l'histoire de France récente, Charles de Gaulle. (Il convient sûrement de remarquer que la France est l'une des rares démocraties industrialisées à avoir opté pour cette solution au cours des dernières décennies. On pourrait arguer que les circonstances étaient exceptionnelles, mais le cas du maréchal Pétain, moins de vingt ans plus tôt, laisse croire à un automatisme bien plus profondément ancré dans les mœurs françaises. Dans le même temps, des démocraties nettement plus neuves, comme l'Inde, ont réussi à suspendre les règles de leur démocratie le temps d'un état d'urgence sans avoir à dénaturer ou amender leurs institutions.)

Récemment, je suis tombé à la télévision sur un segment d'une émission d'affaires publiques qui s'interrogeait sur la possibilité d'un coup d'État militaire aux États-Unis. J'avoue n'avoir pas très bien compris pourquoi ce scénario était soulevé (et rejeté comme improbable — avec raison à mon avis), car la possibilité d'un coup d'État interne — d'un autogolpe — semble nettement plus probable aux États-Unis, en ce moment. Le président Bush a déjà tendance à revendiquer pour son administration des pouvoirs pratiquement sans limite au nom de la sécurité nationale. Les limites fixées à un mandat présidentiel pourraient-elles sauter au nom des mêmes impératifs? Cela ne semble plus aussi hypothétique qu'il n'y a pas si longtemps.

En avril 1992, j'étais au Chili lorsque Fujimori a exécuté son autogolpe au Pérou. Quand la nouvelle est sortie, elle était donc beaucoup plus immédiate pour moi que si j'avais été au Canada, puisque je la lisais dans El Mercurio... J'ignore si le néologisme a été inventé uniquement pour lui, mais les précédents ne sont pas trop rares. On pourrait penser à Hitler ou à Napoléon le Petit.

Dans plusieurs cas, l'autogolpe est aussi le moyen pour un chef de gouvernement de se mettre à l'abri des poursuites qui le guetteraient s'il quittait la vie publique. Aux États-Unis, on évoque de plus en plus souvent l'impeachment dans le cas de Bush. En France, certains ont attribué au désir de Jacques Chirac d'éviter un face-à-face avec la justice ses manœuvres les plus hardies en 2002, dont peut-être un coup de pouce occulte en faveur de la candidature de Le Pen (à laquelle il manquait des signatures de maire, selon certains).

En France, on voit mal actuellement quelle personnalité politique de l'extérieur pourrait jouer le rôle du sauveur. Quant à un autogolpe, on imagine mal un Chirac vieillissant dans ce rôle. A-t-il encore l'énergie qu'il faudrait? Et le minimum de crédibilité personnelle? Villepin? Peut-être. Sarkozy? Ce serait l'homme d'une faction minoritaire, mais cela n'a pas toujours été un obstacle.

Le rituel des manifs et des reculades gouvernementales est sans doute trop bien rodé en France pour que l'on s'expose à ce danger, mais il ne faut pas se cacher qu'un jour, l'engrenage pourrait s'emballer avant que certains apprentis sorciers se rendent compte du danger...

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Comments:
Bonjour Jean-Louis,
Ton billet est en résonnance avec celui publié par Olivier Noël sur son blog http://findepartie.hautetfort.com/ qui a par ailleurs inscrit Culture des futurs en lien. Si tu ne l'as pas encore lu, je te le suggère amicalement.
Personnellement, j'ai eu la mauvaise idée d'aller me colleter avec un habitué de son blog, qui attend le sauveur, mais c'est une autre histoire...
 
En effet, je n'avais pas lu le billet d'Olivier avant de signer le mien. Les dernières journées ont été passablement occupées. Des réactions au billet d'Olivier, je retiens surtout que les esprits s'échauffent (je ne suis pas sûr d'avoir compris la position de Stalker, dont je n'ai pas visité le blogue, mais je n'ai pas l'impression qu'il espère un sauveur), mais je reste surpris que l'on prenne les choses à ce point au sérieux en France alors que ce n'est que l'énième répétition d'un rituel familier.

J'ai grandi à Ottawa, la capitale du Canada, et je baigne donc dans la politique depuis mon enfance. Mais la politique au Canada est une chose sérieuse, qui n'est pas forcément brillante mais qui est un métier avec ses institutions. En France, je finis par avoir l'impression que la politique n'est qu'un sport dont on est toujours prêt à réviser les règles quand on n'est pas content. Un peu comme la conduite automobile en France avant les resserrements récents des contrôles... Heureusement pour elle, la France a des conducteurs habiles et a eu des politiciens brillants, sinon elle serait encore plus mal lotie qu'actuellement...
 
"...ce n'est que l'énième répétition d'un rituel familier."

C'est bien vu. La nouveauté est nous perdons le recul. Et comme toujours en ces cas, l'hystérie se propage comme une lame de fond.

PS : fûté, le garde-fou "anti-spam".
 
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