2006-04-29
L'autre monde de Cyrano
C'était aujourd'hui que la pièce L'Autre Monde, d'après Savinien Cyrano de Bergerac, texte et mise en scène d'Antoine Laprise et Francis Monty du Théâtre Il va sans dire, quittait l'Espace Libre (1945 Fullum, Montréal). Les représentations comptaient sur Julie Castonguay, Normand Daneau, Antoine Laprise, Jacques Laroche, Vincent-Guillaume Otis, Caroline Tanguay et Benoît Vermeulen.
Alors que, dernièrement, deux membres de l'université québécoise étaient du jury de cinq membres qui a mis en doute la scientificité de l'évolution au nom du CRSH, j'étais de tout cœur avec Antoine Laprise dans son entreprise de défense de la pensée libre, voire de la laïcité, à travers la réhabilitation de Cyrano de Bergerac et de ses écrits. Mais je suis un peu resté sur ma faim.
La pièce se déroule dans un espace meublé (ou non) comme pour une répétition, simple plancher au pied d'une estrade dont les gradins sont occupés par les spectateurs. Au centre, une table ronde et quelques chaises. En arrière-plan, un drap tendu cache une structure de grande taille. Sur le mur de droite, des panneaux sont placardés d'affiches et de feuillets divers relatifs à Cyrano ou à l'exploration lunaire. Sur le mur de gauche, derrière le micro, une roulette est suspendue, arborant le titre de la pièce et divers symboles d'allure vaguement astronomique; au cours des heures qui suivent, les acteurs la feront tourner à l'occasion ou tireront une carte des casiers incorporés, pour relancer l'action ou assurer une transition.
L'Autre Monde débute avec l'auteur et le metteur en scène en train de bavarder dans un sabir qui mélange l'italien, l'espagnol et des mots français affublés de terminaisons italiennes ou espagnoles. Lorsque les acteurs arrivent, tout se passe en français et il est bientôt question de la pièce à monter, l'adaptation théâtrale de l'Histoire comique des États et Empires de la Lune de Savinien Cyrano de Bergerac. Il y aura donc une pièce dans une pièce, et encore la pièce jouée par les acteurs n'est pour l'instant qu'un simulacre ou une répétition, la véritable pièce devant s'appuyer sur des effets spéciaux. En l'absence de ceux-ci, Laprise et Monty ont recours à des pantins, des éléments de décor, une maquette et quelques autres accessoires pour faire vivre le récit de Cyrano.
Le tout se met en place assez lentement; plusieurs scènes sont consacrées au making-of, mais tendent plus à établir qu'il s'agit d'une création collective qu'à faire avancer les choses. Mais Cyrano entre enfin en scène, comme narrateur de son propre récit, et la pièce suit assez fidèlement le début du roman original, tirant des effets comiques du passage de Cyrano en Nouvelle-France. Et son départ pour la Lune est mis en parallèle avec la mission Apollo XI, qui est reconstituée avec les éléments d'un repas. L'ingéniosité de l'improvisation en fait un morceau de bravoure qui conclut la première partie. Certains dans la salle ont ri, mais je soupçonne que les spectateurs les plus âgés ont été émus malgré tout quand une des actrices a remué les bottes lunaires du fantôme d'Armstrong en train de descendre du LEM en prononçant des paroles célèbres...
Au terme de cette première heure, l'impression est positive. Le concept permet à l'auteur d'offrir le récit d'origine de Cyrano tout en le coupant d'intermèdes et de digressions qui l'éclairent ou clarifient certaines questions pour l'auditoire. Le parti pris expérimental permet aussi des jeux de scène qui allègent l'aspect monologique du récit de Cyrano; ainsi, un dialogue plus dynamique est instauré dans une scène en faisant jouer Cyrano par deux acteurs. C'est drôle et souvent endiablé; les acteurs cédent brièvement à l'attrait du Cyrano de Rostand, tirant leurs épées de théâtre pour s'escrimer tandis que l'auteur s'arrache les cheveux.
La deuxième moitié se délite. Est-ce en raison de l'arrivée d'un nouvel acteur, Vermeulen, dont tous les rôles semblent marqués par un cabotinage que le deuxième ou troisième degré du jeu ne fait pas pardonner? (J'ai parfois eu l'impression que l'auditoire comptait un grand nombre d'étudiants en théâtre particulièrement sensibles aux in-jokes de la pièce ou aux moments particulièrement embarrassants pour les acteurs, d'où des éclats de rire parfois intempestifs.) Est-ce en raison du recours continu à des mises en abyme parfois lourdes ou un peu gratuites? On admire la maestria du jeu des acteurs qui enchaînent plusieurs rôles aux tonalités fort différentes et on salue l'exploitation de toutes les ressources de l'art théâtral par Laprise, mais on en vient à n'y voir que des distractions.
Ainsi, la scène de baise homosexuelle entre les pantins qui représentent Cyrano et son compagnon terrien sur la Lune, à la Team America, m'a laissé sceptique. Comme moyen de pimenter le texte de Cyrano qui porte à ce moment sur l'existence du vide, c'est quand même facile... Cette frénésie d'inventivité laisse filtrer une sorte de peur panique d'ennuyer. (De faire intellectuel?) Le texte d'origine serait certes austère, mais j'avoue que je me demande s'il n'y avait pas un juste milieu entre le divertissement à tout prix et la fidélité en tous points. Aurait-il été tellement plus difficile de dramatiser autrement l'attaque en règle de Cyrano (l'auteur) contre les Aristotéliciens de son époque qui refusaient la possibilité du vide?
Après tout, la pièce profite amplement des retours au cadre du making-of pour nous dire de manière explicite ce qu'il faut retenir de L'Autre monde. On nous prend pour des coglioni, ou quoi?
Un dernier retournement suggère que l'auteur et le metteur en scène n'étaient peut-être que Cyrano de Bergerac lui-même et son compagnon espagnol de captivité, descendus sur Terre et retournant sur la Lune en prenant la ligne jaune pour se rendre à Longueuil... C'est amusant, mais cela n'apporte pas grand-chose de plus à l'interprétation.
En fin de compte, sans nier la difficulté du défi relevé par Laprise, il me semble que la pièce n'arrive pas à décider si elle a pour sujet L'Autre monde de Cyrano de Bergerac ou l'histoire d'une bande de comédiens qui essaient de monter une adaptation du roman de Cyrano. Dans le premier cas, les intermèdes comiques liés à l'autre histoire sont trop longs et parfois redondants; dans le second, on pourrait reprocher à l'auteur l'absence d'une véritable intrigue donnant un sens à ce making-of.
Mais on peut espérer que la pièce donnera à ceux qui ne connaissent pas le roman de Cyrano le goût de le découvrir.
Alors que, dernièrement, deux membres de l'université québécoise étaient du jury de cinq membres qui a mis en doute la scientificité de l'évolution au nom du CRSH, j'étais de tout cœur avec Antoine Laprise dans son entreprise de défense de la pensée libre, voire de la laïcité, à travers la réhabilitation de Cyrano de Bergerac et de ses écrits. Mais je suis un peu resté sur ma faim.
La pièce se déroule dans un espace meublé (ou non) comme pour une répétition, simple plancher au pied d'une estrade dont les gradins sont occupés par les spectateurs. Au centre, une table ronde et quelques chaises. En arrière-plan, un drap tendu cache une structure de grande taille. Sur le mur de droite, des panneaux sont placardés d'affiches et de feuillets divers relatifs à Cyrano ou à l'exploration lunaire. Sur le mur de gauche, derrière le micro, une roulette est suspendue, arborant le titre de la pièce et divers symboles d'allure vaguement astronomique; au cours des heures qui suivent, les acteurs la feront tourner à l'occasion ou tireront une carte des casiers incorporés, pour relancer l'action ou assurer une transition.
L'Autre Monde débute avec l'auteur et le metteur en scène en train de bavarder dans un sabir qui mélange l'italien, l'espagnol et des mots français affublés de terminaisons italiennes ou espagnoles. Lorsque les acteurs arrivent, tout se passe en français et il est bientôt question de la pièce à monter, l'adaptation théâtrale de l'Histoire comique des États et Empires de la Lune de Savinien Cyrano de Bergerac. Il y aura donc une pièce dans une pièce, et encore la pièce jouée par les acteurs n'est pour l'instant qu'un simulacre ou une répétition, la véritable pièce devant s'appuyer sur des effets spéciaux. En l'absence de ceux-ci, Laprise et Monty ont recours à des pantins, des éléments de décor, une maquette et quelques autres accessoires pour faire vivre le récit de Cyrano.
Le tout se met en place assez lentement; plusieurs scènes sont consacrées au making-of, mais tendent plus à établir qu'il s'agit d'une création collective qu'à faire avancer les choses. Mais Cyrano entre enfin en scène, comme narrateur de son propre récit, et la pièce suit assez fidèlement le début du roman original, tirant des effets comiques du passage de Cyrano en Nouvelle-France. Et son départ pour la Lune est mis en parallèle avec la mission Apollo XI, qui est reconstituée avec les éléments d'un repas. L'ingéniosité de l'improvisation en fait un morceau de bravoure qui conclut la première partie. Certains dans la salle ont ri, mais je soupçonne que les spectateurs les plus âgés ont été émus malgré tout quand une des actrices a remué les bottes lunaires du fantôme d'Armstrong en train de descendre du LEM en prononçant des paroles célèbres...
Au terme de cette première heure, l'impression est positive. Le concept permet à l'auteur d'offrir le récit d'origine de Cyrano tout en le coupant d'intermèdes et de digressions qui l'éclairent ou clarifient certaines questions pour l'auditoire. Le parti pris expérimental permet aussi des jeux de scène qui allègent l'aspect monologique du récit de Cyrano; ainsi, un dialogue plus dynamique est instauré dans une scène en faisant jouer Cyrano par deux acteurs. C'est drôle et souvent endiablé; les acteurs cédent brièvement à l'attrait du Cyrano de Rostand, tirant leurs épées de théâtre pour s'escrimer tandis que l'auteur s'arrache les cheveux.
La deuxième moitié se délite. Est-ce en raison de l'arrivée d'un nouvel acteur, Vermeulen, dont tous les rôles semblent marqués par un cabotinage que le deuxième ou troisième degré du jeu ne fait pas pardonner? (J'ai parfois eu l'impression que l'auditoire comptait un grand nombre d'étudiants en théâtre particulièrement sensibles aux in-jokes de la pièce ou aux moments particulièrement embarrassants pour les acteurs, d'où des éclats de rire parfois intempestifs.) Est-ce en raison du recours continu à des mises en abyme parfois lourdes ou un peu gratuites? On admire la maestria du jeu des acteurs qui enchaînent plusieurs rôles aux tonalités fort différentes et on salue l'exploitation de toutes les ressources de l'art théâtral par Laprise, mais on en vient à n'y voir que des distractions.
Ainsi, la scène de baise homosexuelle entre les pantins qui représentent Cyrano et son compagnon terrien sur la Lune, à la Team America, m'a laissé sceptique. Comme moyen de pimenter le texte de Cyrano qui porte à ce moment sur l'existence du vide, c'est quand même facile... Cette frénésie d'inventivité laisse filtrer une sorte de peur panique d'ennuyer. (De faire intellectuel?) Le texte d'origine serait certes austère, mais j'avoue que je me demande s'il n'y avait pas un juste milieu entre le divertissement à tout prix et la fidélité en tous points. Aurait-il été tellement plus difficile de dramatiser autrement l'attaque en règle de Cyrano (l'auteur) contre les Aristotéliciens de son époque qui refusaient la possibilité du vide?
Après tout, la pièce profite amplement des retours au cadre du making-of pour nous dire de manière explicite ce qu'il faut retenir de L'Autre monde. On nous prend pour des coglioni, ou quoi?
Un dernier retournement suggère que l'auteur et le metteur en scène n'étaient peut-être que Cyrano de Bergerac lui-même et son compagnon espagnol de captivité, descendus sur Terre et retournant sur la Lune en prenant la ligne jaune pour se rendre à Longueuil... C'est amusant, mais cela n'apporte pas grand-chose de plus à l'interprétation.
En fin de compte, sans nier la difficulté du défi relevé par Laprise, il me semble que la pièce n'arrive pas à décider si elle a pour sujet L'Autre monde de Cyrano de Bergerac ou l'histoire d'une bande de comédiens qui essaient de monter une adaptation du roman de Cyrano. Dans le premier cas, les intermèdes comiques liés à l'autre histoire sont trop longs et parfois redondants; dans le second, on pourrait reprocher à l'auteur l'absence d'une véritable intrigue donnant un sens à ce making-of.
Mais on peut espérer que la pièce donnera à ceux qui ne connaissent pas le roman de Cyrano le goût de le découvrir.
Libellés : Québec, Science-fiction, Théâtre