2006-03-03
La misère des riches, le bonheur des pauvres
Les riches sont-ils trop riches pour leur propre bien?
Pas si on se fie aux statistiques sur la santé ou la longévité. Mais, dans un sens, ce sont des définitions de la richesse. La richesse — et un minimum de sagesse — achète en moyenne une santé meilleure et une longévité supérieure. Mais achète-t-elle le bonheur? Depuis quelques décennies, les économistes ont abordé la question afin de déterminer de quelle manière exactement la richesse (ou l'enrichissement) procure le bonheur, ou du moins un sentiment de satisfaction suffisamment fort pour être déclaré à des enquêteurs.
Un survol (.PDF) récent de la question signé par Bruno Frey et Alois Stutzer a posé les termes du problème. (Une autre version PDF est disponible ici, mais il est préférable de sauvegarder le fichier avant de l'ouvrir avec Acrobat.) Quelques conclusions sont tirées de ce travail par le journaliste australien Ross Gittins. D'autres chercheurs, y compris le pionnier Richard A. Easterlin (.PDF), invitent toutefois à une certaine prudence.
Comme d'autres, Frey et Stutzer s'appuient sur une constatation des plus frappantes : dans certains pays, le revenu individuel a augmenté de manière dramatique depuis un demi-siècle sans que la satisfaction individuelle ait augmenté dans les mêmes proportions. En fait, au Japon, l'indice de satisfaction est resté relativement stable tout au long de ce qu'on a parfois appelé le miracle japonais. L'enrichissement de la collectivité ne fait donc pas forcément le bonheur des particuliers. Et s'il le fait, c'est toujours relatif à la position de chacun dans l'échelle des revenus. Au terme de savantes analyses, Frey et Stutzer concluent donc : « Individuals anticipate substantial gains in terms of satisfaction from higher income, but in retrospect are often disappointed about the small size of the effect of the gains. »
Il ne s'agit pas d'affirmer que l'argent ne fait pas le bonheur, mais plutôt qu'il procure moins de bonheur qu'escompté. Et, globalement, que l'argent des riches ne fait pas autant le bonheur des riches que l'argent des pauvres réjouit ceux-ci. En effet, que l'on compare des individus dans un pays donné ou des pays entre eux, il semble bien qu'au-delà d'un certain revenu (un peu plus que minimal), la satisfaction individuelle plafonne ou fluctue de manière si désordonnée qu'il devient impossible de la relier au revenu des individus.
Tout ceci me rappelle ce roman de James Michener, Hawaii, qui nous apprenait que certains Chinois s'attendaient à l'alternance des périodes fastes et néfastes dans la vie, les périodes de chance et de bonne fortune succédant aux périodes de malchance et de pénurie. L'Ancien Testament a conservé le souvenir d'une croyance semblable dans l'Antiquité, les années de vaches maigres succédant aux années de vaches grasses. Si l'Ancien Testament évoquait des périodes d'égale durée, je crois que Michener faisait de ses personnages des optimistes : dix années de prospérité devaient suivre sept années d'infortune.
Il y avait dans cette ancienne sagesse populaire un fond de vérité. La condition humaine inclut sans doute quelque chose comme l'expérience de cette alternance, quelle que soit la richesse collective, parce qu'il faut du temps pour modifier ses attentes. Quand la pauvreté finit par devenir une habitude, les attentes sont révisées à la baisse et on retirera une satisfaction subjective du moindre mieux, voire de la persistance des mêmes conditions si on a appris à s'en contenter. Puis, si on s'est accoutumé à la stabilité ou à un certain enrichissement, on sera consterné dès que les choses changeront le moindrement pour le pire.
Autrement dit, sans l'expérience des périodes de vaches maigres, il est difficile de connaître l'euphorie des années de vaches grasses. Du coup, j'ai envie de faire le lien avec les politiques françaises qui misent beaucoup sur la stabilité économique; elles ont atteint leur objectif — et ce serait exactement pour cette raison que les Français seraient si malheureux. Faute d'une période de vaches maigres de temps en temps, pour remettre les compteurs à zéro, c'est toujours le temps des vaches maigres! Ce qui est vrai pour les collectivités pourrait l'être aussi pour les particuliers...
Alors, que faudrait-il aux riches pour qu'ils soient réellement plus heureux? Si je pose d'une part que l'enrichissement de la collectivité dans plusieurs pays a été plus ou moins accaparé par les riches, une solution gagnante pour tout le monde s'offre à moi. On sait que les professeurs universitaires jouissent d'une année sabbatique tous les sept ans (par exemple) pour se consacrer à la recherche. Imaginons donc que, tous les sept ans, les riches aient droit à une année sabbatique durant laquelle tous leurs revenus excédant le seuil de pauvreté seraient retenus par le fisc. Ceci renflouerait les coffres de l'État et une année de misère ferait assurément le bonheur des riches puisque retrouver leur aisance antérieure l'année suivante leur apporterait beaucoup plus de satisfaction que s'ils étaient demeurés riches.
Je laisse à de plus sages que moi le soin de définir le seuil de la richesse...
Pas si on se fie aux statistiques sur la santé ou la longévité. Mais, dans un sens, ce sont des définitions de la richesse. La richesse — et un minimum de sagesse — achète en moyenne une santé meilleure et une longévité supérieure. Mais achète-t-elle le bonheur? Depuis quelques décennies, les économistes ont abordé la question afin de déterminer de quelle manière exactement la richesse (ou l'enrichissement) procure le bonheur, ou du moins un sentiment de satisfaction suffisamment fort pour être déclaré à des enquêteurs.
Un survol (.PDF) récent de la question signé par Bruno Frey et Alois Stutzer a posé les termes du problème. (Une autre version PDF est disponible ici, mais il est préférable de sauvegarder le fichier avant de l'ouvrir avec Acrobat.) Quelques conclusions sont tirées de ce travail par le journaliste australien Ross Gittins. D'autres chercheurs, y compris le pionnier Richard A. Easterlin (.PDF), invitent toutefois à une certaine prudence.
Comme d'autres, Frey et Stutzer s'appuient sur une constatation des plus frappantes : dans certains pays, le revenu individuel a augmenté de manière dramatique depuis un demi-siècle sans que la satisfaction individuelle ait augmenté dans les mêmes proportions. En fait, au Japon, l'indice de satisfaction est resté relativement stable tout au long de ce qu'on a parfois appelé le miracle japonais. L'enrichissement de la collectivité ne fait donc pas forcément le bonheur des particuliers. Et s'il le fait, c'est toujours relatif à la position de chacun dans l'échelle des revenus. Au terme de savantes analyses, Frey et Stutzer concluent donc : « Individuals anticipate substantial gains in terms of satisfaction from higher income, but in retrospect are often disappointed about the small size of the effect of the gains. »
Il ne s'agit pas d'affirmer que l'argent ne fait pas le bonheur, mais plutôt qu'il procure moins de bonheur qu'escompté. Et, globalement, que l'argent des riches ne fait pas autant le bonheur des riches que l'argent des pauvres réjouit ceux-ci. En effet, que l'on compare des individus dans un pays donné ou des pays entre eux, il semble bien qu'au-delà d'un certain revenu (un peu plus que minimal), la satisfaction individuelle plafonne ou fluctue de manière si désordonnée qu'il devient impossible de la relier au revenu des individus.
Tout ceci me rappelle ce roman de James Michener, Hawaii, qui nous apprenait que certains Chinois s'attendaient à l'alternance des périodes fastes et néfastes dans la vie, les périodes de chance et de bonne fortune succédant aux périodes de malchance et de pénurie. L'Ancien Testament a conservé le souvenir d'une croyance semblable dans l'Antiquité, les années de vaches maigres succédant aux années de vaches grasses. Si l'Ancien Testament évoquait des périodes d'égale durée, je crois que Michener faisait de ses personnages des optimistes : dix années de prospérité devaient suivre sept années d'infortune.
Il y avait dans cette ancienne sagesse populaire un fond de vérité. La condition humaine inclut sans doute quelque chose comme l'expérience de cette alternance, quelle que soit la richesse collective, parce qu'il faut du temps pour modifier ses attentes. Quand la pauvreté finit par devenir une habitude, les attentes sont révisées à la baisse et on retirera une satisfaction subjective du moindre mieux, voire de la persistance des mêmes conditions si on a appris à s'en contenter. Puis, si on s'est accoutumé à la stabilité ou à un certain enrichissement, on sera consterné dès que les choses changeront le moindrement pour le pire.
Autrement dit, sans l'expérience des périodes de vaches maigres, il est difficile de connaître l'euphorie des années de vaches grasses. Du coup, j'ai envie de faire le lien avec les politiques françaises qui misent beaucoup sur la stabilité économique; elles ont atteint leur objectif — et ce serait exactement pour cette raison que les Français seraient si malheureux. Faute d'une période de vaches maigres de temps en temps, pour remettre les compteurs à zéro, c'est toujours le temps des vaches maigres! Ce qui est vrai pour les collectivités pourrait l'être aussi pour les particuliers...
Alors, que faudrait-il aux riches pour qu'ils soient réellement plus heureux? Si je pose d'une part que l'enrichissement de la collectivité dans plusieurs pays a été plus ou moins accaparé par les riches, une solution gagnante pour tout le monde s'offre à moi. On sait que les professeurs universitaires jouissent d'une année sabbatique tous les sept ans (par exemple) pour se consacrer à la recherche. Imaginons donc que, tous les sept ans, les riches aient droit à une année sabbatique durant laquelle tous leurs revenus excédant le seuil de pauvreté seraient retenus par le fisc. Ceci renflouerait les coffres de l'État et une année de misère ferait assurément le bonheur des riches puisque retrouver leur aisance antérieure l'année suivante leur apporterait beaucoup plus de satisfaction que s'ils étaient demeurés riches.
Je laisse à de plus sages que moi le soin de définir le seuil de la richesse...
Libellés : Économie, Réflexion, Société, Théorie
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Le pire, Jean-Louis, c'est que je pense que ton projet pour améliorer le bonheur collectif marcherait vraiment!
Joël Champetier
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Joël Champetier
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