2006-03-21

 

La France, entre frondes et jacqueries

L'éditorialiste de L'Express affirmait l'autre jour que le monde était médusé par les remous que provoque actuellement le CPE en France. « Une fois encore, une fois de plus, la France offre en spectacle au monde stupéfait l'un de ces psychodrames aussi coûteux qu'inutiles dont elle a le secret. » En fait, Denis Jeambar se trompait.

Non, le reste du monde n'est plus stupéfait. Il en a trop vu ces derniers temps et la grève impromptue française — assortie ou non de manifestations à la carte — lui apparaît désormais
comme une tradition pittoresque, un peu gênante pour les voyageurs de passage mais aussi caractéristique de la France que les fromages au lait cru. Il en sourit plutôt, si ce n'est que parce qu'il serait injuste qu'un pays à ce point comblé en dons de la nature et de l'histoire jouisse aussi d'une paix sociale et d'un ordre public inattaquables. Bref, qu'un tel pays de Cocagne sache aussi se gouverner.

Ce qui frappe, c'est le caractère contradictoire des manifs actuelles et des violences urbaines de l'automne dernier. L'opposition au CPE s'organise au nom de la lutte à la précarité de la vie et du travail pour les jeunes. Soit. Ce que retient surtout le reste du monde, c'est que, dans les pays industrialisés autres que la France, les conditions du CPE apparaîtraient comme nullement extraordinaires alors que ces autres pays font plutôt mieux que la France quand il s'agit de réduire le chômage ou le sous-emploi des jeunes.

Que se passe-t-il alors? Une façon de regarder les choses, c'est sans doute de retenir de l'histoire de France qu'elle a été parsemée de deux types de mouvements de résistance : les frondes et les jacqueries. Les frondes étaient le fait des grands et des puissants de ce monde, nobles et bourgeois réclamant plus de privilèges pour eux, pour les communes qu'ils habitaient, pour la gouverne de leurs fiefs ou pour les parlements où ils se retrouvaient entre eux. Et les jacqueries étaient le fait des pauvres, des misérables, des affamés et des exclus qui n'en pouvaient plus de se faire marcher dessus et qui passaient à l'action pour défendre leur dernier carré ou s'emparer de ce qui leur manquait pour avoir le minimum vital.

Si les « violences urbaines » ressemblaient plutôt à des simulacres de jacqueries (dans la mesure où ces violences tenaient plutôt de la démonstration de force et du marquage du territoire que d'une véritable forme de violence, à quelques incidents près), les manifestations actuelles ont certains traits d'une fronde dans la mesure où ce sont des privilégiés (syndiqués et étudiants promis à des carrières plus intéressantes qu'autrement) qui protestent — des privilégiés relativement aux jeunes des banlieues, souvent sous-qualifiés et sous-employés même quand ils ont obtenu des diplômes. Par définition, convoquer une grève générale qui ne peut concerner que ceux qui travaillent alors que le problème visé, c'est l'absence de travail, cela permet tout de suite de reconnaître que les opposants au CPE ne sont pas représentatifs de l'ensemble de la classe d'âge concernée.

De toute manière, discuter sans fin des avantages et des désavantages du CPE fait oublier une question. Les frondes et les jacqueries ont-elles jamais fait changer les choses pour le mieux en France?

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Comments:
100% d'accord. Ton analyse est d'ailleurs si pertinente qu'elle aurait bien sa place dans les pages d'un quotidien français, quite à faire grincer quelques dents.
 
C'est plus un billet d'humeur qu'une analyse, en fait. Mais est-ce possible de dire quelque chose de sensé sur la politique française depuis trois ou quatre ans? Depuis la première élection de Chirac, en fait, la politique française aligne les changements de cap invraisemblables, les coups de théâtre et les décisions politiques qui poussent au désespoir. Chirac me rappelle parfois Joe Clark en politique canadienne, avec l'honnêteté en moins. Sauf que le manque de sens politique de Clark l'a obligé à quitter la direction des affaires en moins de cinq ans. Tandis que Chirac s'accroche et que le peuple français semble se mettre au diapason de ses stratégies erratiques au lieu de les sanctionner.
 
J'arrive à te suivre jusqu'à ce que tu prétendes que le peuple français se met au diapason de Chirac au lieu de le sanctionner. Pitié, ne nous enfonce pas plus que nous ne le sommes déjà !
Je pense que tu ne peux pas imaginer ce que c'est que se lever par un beau matin de dimanche de mai 2002, avec une boule dans l'estomac à l'idée de devoir aller pousser la porte d'un bureau de vote, prendre un bulletin de Chirac parce que c'est le moins pire, le plier et le glisser dans une enveloppe puis dans une urne, et savoir que tu en prends pour 5 ans ...
Comme j'avais voté Jospin au 1er tour, je pense être autorisé à engueuler tous les gens de gauche qui ont cru malin de s'éparpiller en laissant un boulevard à Le Pen. Mais aprés çà, le mal est fait. Chirac est là, et il faut serrer les fesses en espérant qu'au prochain scrutin on ne se ratera pas.

Pour ce qui est de démissionner, je ne sais pas ce qu'a pu faire Clark pour en arriver là, ni comment sont faites les institutions au Canada (je viens de faire un tour sur Wikipedia, l'article est fourni mais semble plutôt écrit par un partisan). Mais pour un Président de la République Française, il y a suffisamment de fusibles pour repousser une telle extrémité bien au-delà de la longueur de deux mandats.
Ou alors, j'ai mal compris ce que tu attends de nous, et tu espères nous voir mener le grand chambard qui fera la faillite des institutions en même temps que celle de ses représentants. Mais bon, on ne va quand même pas lui couper la tête, et puis en plus, depuis qu'on a eu Louis XVI, les suivants font attention. D'ailleurs tu le vois bien, il fait tout pour ne pas aller en prison parce que pour Louis XVI ça avait été le début de la fin.
 
Je crois que le mot-clé dans le rapprochement que je faisais entre Chirac et les Français, c'était "erratique". Cela fait combien d'élections que les Français changent systématiquement d'idée en ne votant jamais pour les sortants? Dans certains cas, l'alternance semblait s'imposer, mais que penser des électeurs français en 2002? Pour un tiers partis à la pêche, je veux bien, pour un tiers votant pour les candidats principaux (et encore!), et pour un tiers s'éparpillant entre les autres candidats possibles... Ce n'est pas sérieux!

En passant, j'ai la double citoyenneté et je suis un Français de l'étranger. En 2002, je suis allé voter au premier tour au Canada en sachant que Le Pen avait passé (en raison du décalage horaire, nous avions le douteux avantage de connaître le résultat si nous attendions assez longtemps dans la journée). Et j'ai voté Chirac au second tour, ce que je n'aurais jamais imaginé faire...

Lors de la première élection de Chirac, j'étais en France (ce qui m'avait empêché de voter, puisque je suis inscrit au Canada) et j'avais pu suivre les péripéties de la campagne d'assez près.
Les Français avaient rejeté Balladur et Jospin, mais si on choisissait de croire à la sincérité de Jacques "le bruit et l'odeur" Chirac sur la fracture sociale, on pouvait espérer...

Dans le cas de Clark, c'est vrai qu'il était un chef de gouvernement et un chef de parti, mais non un chef d'État, ce qui le rendait plus vulnérable en cas d'erreurs. (La prochaine fois que je peine à expliquer aux Français — ou aux Québécois — les avantages de la monarchie, je crois que je comparerai Clark et Chirac... Dommage que la France ait si souvent écarté la possibilité d'une monarchie constitutionnelle; le pays est sans doute trop latin pour l'admettre.)
 
Ok, ça va mieux, je te suis sur toute la ligne, et te présente bassement mes excuses pour avoir prétendu que tu ne pouvais pas avoir subi l'affront ultime de voter Chirac à l'insu de ton plein gré !
 
Pour revenir sur ta question première, celle du rapprochement que je faisais entre Chirac et les Français, j'ajouterais ceci.

Si Chirac a souvent été prêt à dire n'importe quoi, les Français ont été tout aussi prêts à entendre et croire n'importe quoi pendant longtemps. Je me souviens de 1995, quand le résultat m'avait laissé quelque peu incrédule. Les électeurs français avaient laissé sur le carreau deux candidats sérieux (Balladur, Jospin) qui avaient eu le tort de ne pas promettre monts et merveilles. Et Chirac avait fait campagne sur la fracture sociale : c'était à se demander d'où sortaient ceux qui l'ont élu? Ils avaient été frappés d'amnésie, ils ne se souvenaient pas du Chirac des lois Pasqua, etc.? Bref, je maintiens que, quelque part, Chirac et les Français se sont mérités mutuellement.
 
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