2006-01-15
Tristesse française
La France est-elle triste? Malgré le succès inattendu de l'exposition sur la mélancolie à Paris, qui donc s'aventurerait à soutenir que la seule humeur à circuler dans le système français est la bile noire des Anciens? La France compte sans doute sa part de bilieux, mais aussi de sanguins et de flegmatiques, sans parler de tous les tempéraments que les Anciens auraient eu du mal à faire tenir dans leur classification humorale...
Cela dit, des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour dire que la France va mal. Banlieues coupées du reste du territoire. Chômage persistant malgré des améliorations marginales (et illusoires, selon certains). Déficits incontrôlés, dette incontrôlable. Classe politique vieillissante (et de moins en moins représentative). Position internationale en recul tant sur le front du commerce et de l'innovation que sur celui de l'influence, en Europe comme en Afrique. Niveau de vie moyen en perte de vitesse par rapport à des pays comme le Royaume-Uni.
Simple discours de circonstance, entonné par des chantres du déclin qui se vautrent avec complaisance dans les délices de l'hypercritique?
Les faits sont têtus, même s'ils ne sont souvent que passagers. Pour l'instant, il semble difficile, dans le sillage de la canicule de 2003 ou des violences urbaines de 2005 (sans parler d'incidents de parcours politiques comme l'irruption de Le Pen dans la présidentielle ou le rejet de la constitution européenne), de trop noircir le portrait. La conjoncture est ce qu'elle est. Elle peut changer, mais elle n'incline pas au jovialisme.
Mais ce qui me rend triste, c'est à quel point c'était prévisible. Depuis vingt ans, ils n'était pas si difficile d'identifier l'exclusion française des minorités visibles — de remarquer que les visages «basanés» n'étaient pas souvent visibles à la télé ou dans les arènes politiques alors qu'il était plus fréquent de les rencontrer dans les emplois les plus ordinaires de Paris — et de se dire que la France se préparait quelque chose comme les émeutes vécues aux États-Unis des décennies plus tôt. La France, souvent disposée à prendre les États-Unis comme exemple ou comme repoussoir, n'avait clairement rien appris de l'histoire récente des États-Unis en matière de lutte pour les droits des minorités et de mesures prises pour remédier aux erreurs du passé.
Même chose pour le déficit et la dette publique. Comme Canadien, et plus particulièrement comme résidant de la capitale, j'avais vécu en direct la dérive des finances publiques qui avait abouti aux années sales et brutales du milieu des années 90, quand l'administration fédérale et les gouvernements provinciaux sabraient dans les dépenses sans faire dans la dentelle. Il me suffisait de regarder la France aligner les déficits durant les années 90, y compris durant les années de vaches grasses, pour voir venir ce que le Canada avait connu vingt ans plus tôt. Les déficits étaient certes modestes et pas très élevés, mais ils se succédaient sans interruption. L'atteinte d'un point de non-retour était une certitude mathématique si la tendance se maintenait. Elle s'est maintenue.
Le plus déconcertant, c'est la timidité des réactions, comme si l'ampleur et le nombre des défis à relever étouffaient les velléités. Pourtant, il faudra bien tirer un jour la corde du parachute.
Cela dit, des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour dire que la France va mal. Banlieues coupées du reste du territoire. Chômage persistant malgré des améliorations marginales (et illusoires, selon certains). Déficits incontrôlés, dette incontrôlable. Classe politique vieillissante (et de moins en moins représentative). Position internationale en recul tant sur le front du commerce et de l'innovation que sur celui de l'influence, en Europe comme en Afrique. Niveau de vie moyen en perte de vitesse par rapport à des pays comme le Royaume-Uni.
Simple discours de circonstance, entonné par des chantres du déclin qui se vautrent avec complaisance dans les délices de l'hypercritique?
Les faits sont têtus, même s'ils ne sont souvent que passagers. Pour l'instant, il semble difficile, dans le sillage de la canicule de 2003 ou des violences urbaines de 2005 (sans parler d'incidents de parcours politiques comme l'irruption de Le Pen dans la présidentielle ou le rejet de la constitution européenne), de trop noircir le portrait. La conjoncture est ce qu'elle est. Elle peut changer, mais elle n'incline pas au jovialisme.
Mais ce qui me rend triste, c'est à quel point c'était prévisible. Depuis vingt ans, ils n'était pas si difficile d'identifier l'exclusion française des minorités visibles — de remarquer que les visages «basanés» n'étaient pas souvent visibles à la télé ou dans les arènes politiques alors qu'il était plus fréquent de les rencontrer dans les emplois les plus ordinaires de Paris — et de se dire que la France se préparait quelque chose comme les émeutes vécues aux États-Unis des décennies plus tôt. La France, souvent disposée à prendre les États-Unis comme exemple ou comme repoussoir, n'avait clairement rien appris de l'histoire récente des États-Unis en matière de lutte pour les droits des minorités et de mesures prises pour remédier aux erreurs du passé.
Même chose pour le déficit et la dette publique. Comme Canadien, et plus particulièrement comme résidant de la capitale, j'avais vécu en direct la dérive des finances publiques qui avait abouti aux années sales et brutales du milieu des années 90, quand l'administration fédérale et les gouvernements provinciaux sabraient dans les dépenses sans faire dans la dentelle. Il me suffisait de regarder la France aligner les déficits durant les années 90, y compris durant les années de vaches grasses, pour voir venir ce que le Canada avait connu vingt ans plus tôt. Les déficits étaient certes modestes et pas très élevés, mais ils se succédaient sans interruption. L'atteinte d'un point de non-retour était une certitude mathématique si la tendance se maintenait. Elle s'est maintenue.
Le plus déconcertant, c'est la timidité des réactions, comme si l'ampleur et le nombre des défis à relever étouffaient les velléités. Pourtant, il faudra bien tirer un jour la corde du parachute.