2005-11-27
En littérature, érudition n'est pas toujours culture...
Ces jours-ci, je suis en train de lire Valperga, de Mary Shelley. Même s'il s'intéresse au destin du condottiere Castruccio de Lucca (début XIVe siècle), le roman pourrait être dit florentin tout comme le roman précédent de Mary, Frankenstein, avait été suisse, voire genevois. Tout comme Shelley se trouvait en Suisse quand elle a eu l'idée de Frankenstein, elle s'est renseignée en Toscane même sur les lieux de Valperga. Aucun fantastique dans ce roman historique, sauf dans la mesure où Shelley fonde un genre, celui de la saga médiévalisante qui fait une belle place aux femmes. De nos jours, les femmes qui écrivent de la fantasy ne dédaignent pas de faire la part belle à des personnages féminins où certaines semblent se projeter, à un point qui dépasse parfois les bornes de la vraisemblance historique. Mais Shelley l'a fait avant elles.
Shelley est passée par Florence; dans le premier tiers de Valperga que j'ai fini de lire, ce n'est pas entièrement évident, car les personnages du roman ne s'y rencontrent que brièvement. Comme je suis également passé par Florence, je suis curieux de voir si trois expériences différentes de la ville toscane pourront se toucher. Même si j'ai mangé avec Serena Gentilhomme dans un restaurant florentin, Paoli, qui existait déjà du temps de Mary Shelley, la ville moderne est bien différente de la ville visitée par Shelley ou de l'agglomération médiévale...
L'édition de Valperga chez Oxford University Press que j'ai entre les mains est l'œuvre de Michael Rossington, professeur à l'université de Newcastle upon Tyne.
La lecture d'un ouvrage annoté est toujours un peu frustrante. Quand un astérisque signale l'existence d'une note, il est difficile de résister à l'envie d'aller voir. Malheureusement, de nos jours (o tempora o mores), on estime à si peu la culture des lecteurs que, de plus en plus souvent, je remarque que les compilateurs jugent bon de se fendre d'une note pour expliquer, par exemple, qui était Charlemagne, ce qu'était un sénéchal ou ce qu'est du blé d'Inde. Si je donne des exemples tirés du travail de Rossington, puisque je l'ai sous la main, j'en ai constaté l'équivalent dans d'autres ouvrages annotés. Du coup, le lecteur le moindrement cultivé a l'impression d'avoir perdu son temps en interrompant sa lecture pour se faire dire qui était Charlemagne (en deux lignes). Ce qui gâche sa lecture...
Mais le comble, c'est quand Rossington signe une note qui, au lieu de jeter un peu de clarté, nous plonge dans la confusion. Au début du Chapitre XI, Castruccio, qui est du parti des gibelins, quitte Euthanasia, qui est du parti des guelfes, afin d'aller faire la guerre. Ils s'aiment, mais Euthanasia ne peut pas lui souhaiter de réussir dans ses combats! Donc: «He took leave of his lady; yet she neither tied the scarf around him, nor bade him go and prosper.» Rossington explique la mention d'une écharpe en expliquant qu'il s'agit d'un sash, c'est-à-dire une ceinture dans le genre de l'ancienne ceinture fléchée canadienne-française. Mais si ce n'est pas nécessairement erroné, tout le contexte suggère que la référence à une écharpe s'explique plutôt par la coutume médiévale de la «faveur», objet personnel reçu par le chevalier de sa dame avant de combattre dans un tournoi ou de partir guerroyer. Il s'agissait souvent d'une écharpe, souvent nouée autour du bras. Quand Shelley parle de nouer l'écharpe autour de Castruccio, il n'est pas dit que ce serait autour de sa taille et non de son bras. La construction même de la phrase suggère que si Euthanasia s'abstient de nouer l'écharpe en question, c'est l'équivalent d'un refus de souhaiter à Castrucci de réussir. S'abstenir de nouer une écharpe appartenant à Castruccio aurait certes été une marque de distance, mais cette marque de défaveur aurait été bien plus forte si Euthanasia avait refusé d'attacher sa propre écharpe autour de Castruccio, en se réclamant implicitement de la tradition des romans de chevalerie... Si Rossington ne connaissait pas cette coutume des temps chevaleresques, ce serait la preuve qu'il ne faut pas confondre l'extrême érudition qu'il démontre pour tout ce qui concerne l'ouvrage de Shelley avec une véritable culture générale. Mais il la connaît certainement et peut-être fait-il confiance à ses lecteurs pour la reconnaître (alors qu'ils ignorent, selon lui, tant d'autres choses), mais le moins qu'on puisse dire, c'est que sa note lance plutôt le lecteur sur une fausse piste...
Shelley est passée par Florence; dans le premier tiers de Valperga que j'ai fini de lire, ce n'est pas entièrement évident, car les personnages du roman ne s'y rencontrent que brièvement. Comme je suis également passé par Florence, je suis curieux de voir si trois expériences différentes de la ville toscane pourront se toucher. Même si j'ai mangé avec Serena Gentilhomme dans un restaurant florentin, Paoli, qui existait déjà du temps de Mary Shelley, la ville moderne est bien différente de la ville visitée par Shelley ou de l'agglomération médiévale...
L'édition de Valperga chez Oxford University Press que j'ai entre les mains est l'œuvre de Michael Rossington, professeur à l'université de Newcastle upon Tyne.
La lecture d'un ouvrage annoté est toujours un peu frustrante. Quand un astérisque signale l'existence d'une note, il est difficile de résister à l'envie d'aller voir. Malheureusement, de nos jours (o tempora o mores), on estime à si peu la culture des lecteurs que, de plus en plus souvent, je remarque que les compilateurs jugent bon de se fendre d'une note pour expliquer, par exemple, qui était Charlemagne, ce qu'était un sénéchal ou ce qu'est du blé d'Inde. Si je donne des exemples tirés du travail de Rossington, puisque je l'ai sous la main, j'en ai constaté l'équivalent dans d'autres ouvrages annotés. Du coup, le lecteur le moindrement cultivé a l'impression d'avoir perdu son temps en interrompant sa lecture pour se faire dire qui était Charlemagne (en deux lignes). Ce qui gâche sa lecture...
Mais le comble, c'est quand Rossington signe une note qui, au lieu de jeter un peu de clarté, nous plonge dans la confusion. Au début du Chapitre XI, Castruccio, qui est du parti des gibelins, quitte Euthanasia, qui est du parti des guelfes, afin d'aller faire la guerre. Ils s'aiment, mais Euthanasia ne peut pas lui souhaiter de réussir dans ses combats! Donc: «He took leave of his lady; yet she neither tied the scarf around him, nor bade him go and prosper.» Rossington explique la mention d'une écharpe en expliquant qu'il s'agit d'un sash, c'est-à-dire une ceinture dans le genre de l'ancienne ceinture fléchée canadienne-française. Mais si ce n'est pas nécessairement erroné, tout le contexte suggère que la référence à une écharpe s'explique plutôt par la coutume médiévale de la «faveur», objet personnel reçu par le chevalier de sa dame avant de combattre dans un tournoi ou de partir guerroyer. Il s'agissait souvent d'une écharpe, souvent nouée autour du bras. Quand Shelley parle de nouer l'écharpe autour de Castruccio, il n'est pas dit que ce serait autour de sa taille et non de son bras. La construction même de la phrase suggère que si Euthanasia s'abstient de nouer l'écharpe en question, c'est l'équivalent d'un refus de souhaiter à Castrucci de réussir. S'abstenir de nouer une écharpe appartenant à Castruccio aurait certes été une marque de distance, mais cette marque de défaveur aurait été bien plus forte si Euthanasia avait refusé d'attacher sa propre écharpe autour de Castruccio, en se réclamant implicitement de la tradition des romans de chevalerie... Si Rossington ne connaissait pas cette coutume des temps chevaleresques, ce serait la preuve qu'il ne faut pas confondre l'extrême érudition qu'il démontre pour tout ce qui concerne l'ouvrage de Shelley avec une véritable culture générale. Mais il la connaît certainement et peut-être fait-il confiance à ses lecteurs pour la reconnaître (alors qu'ils ignorent, selon lui, tant d'autres choses), mais le moins qu'on puisse dire, c'est que sa note lance plutôt le lecteur sur une fausse piste...
Libellés : Histoire, Italie, Livres