2025-02-23

 

Le Prince d'un vaisseau globotron

Les pièces de science-fiction se suivent et ne se ressemblent pas.  J'ai assisté hier après-midi à une nouvelle création du Théâtre du Futur, qui se spécialise dans le futurisme, comme son nom l'indique.  Or, Le Prince souffre de la comparaison avec L'Inframonde, que j'avais vue le mois dernier.  En revanche, certains des commentaires que j'avais formulés au sujet de l'adaptation du Meilleur des mondes de Huxley pour la scène du Théâtre Denise-Pelletier en 2019 s'appliquent encore.  Très grande salle, acoustique ou élocution douteuse, ciblage d'un public adolescent...

Néanmoins, la longévité et la productivité de cette troupe dirigée par Olivier Morin et Guillaume Tremblay sont sans commune mesure avec les trajectoires des deux autres troupes, TESS Imaginaire et Ô Délire, qui ont essayé auparavant de creuser un filon science-fictionnel au Québec. Le Théâtre du Futur a opté pour la même recette qu'Ô Délire, soit la dérision ou l'humour. Dans leurs premières productions, en commençant par Clotaire Rapaille, l'opéra rock (2011), le choix de sujets québécois assuraient un minimum de cohérence à leurs spectacles satiriques et musicaux.

Toutefois, Le Prince se disperse dans tous les sens au fil des scènes et verse dans une certaine incohérence.  On passe d'une transposition de la Renaissance (puisque l'ouvrage éponyme de Machiavel inspire le texte) dans l'espace, où des vaisseaux globotrons lancés par des entreprises commerciales de la Terre se livrent une guerre commerciale, à la visite d'une Terre post-apocalyptique (où les survivants parlent surtout anglais, alors que le français domine dans les vaisseaux globotrons), en passant par batailles spatiales, des chassés-croisés amoureux, des complots et des plaisanteries intercalaires dignes de figurer dans un Bye-Bye.  

Le décor de la salle convenait parfaitement à l'ambiance de la Renaissance, mais je crois que ce n'était qu'une coïncidence et qu'il s'agit de l'ornementation d'origine.  Les costumes et les décors de la pièce étaient nettement moins somptueux, inspirés par la Renaissance ou conçus comme rétro-futuristes par Estelle Charron, Cloé Alain Gendreau (qui avait travaillé sur La Singularité est proche), Odile Gamache, Sarah Bengle et le reste de l'équipe.  À leurs yeux, ce terme renvoie aux choix visuels d'anciens films de science-fiction.  Signe peut-être du sous-financement actuel de la culture, ces décors ainsi que les effets scéniques m'ont moins impressionné que le décor minutieusement construit pour la pièce Jules & Joséphine, qui inventait l'hiver dernier une cousine québécoise de Jules Verne et qui synthétisait plusieurs des aventures verniennes dans le cadre d'une prestation dramatique.  J'avais vu cette dernière pièce pour enfants en reprise dans la petite salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier et les machines de scène combinaient pour la plupart beauté et ingéniosité dans un cadre physique restreint.  Le décor du Prince est ambitieux mais schématique, recyclant les procédés du théâtre d'ombres et appelant les spectateurs à déployer leur propre imagination.  L'environnement sonore est l'œuvre de Navet Confit, vieux complice du Théâtre du Futur.

La question qui se pose toujours pour la lignée de ces pièces québécoises axées sur l'exploitation comique de la science-fiction (à l'instar de la série télévisée et filmique Dans une galaxie près de chez vous), c'est de savoir si la science-fiction n'est en tout et pour tout qu'un prétexte à des blagues.  Les gags et les références bousculent parfois nos attentes en offrant des clins d'œil à l'actualité québécoise, mais ceux-ci se confondent et se noient dans le déferlement de références intertextuelles au Petit Prince de St-Exupéry, au Prince de Machiavel, à l'histoire italienne, à Star Wars et même à l'histoire politique québécoise (une réplique commence par le « Si je vous ai bien compris » de 1980), voire aux excès du wokisme.

Le récit est animé par Lorenzo de Médicis (assassiné et ressuscité sous la forme d'un bio-hologramme),  en compagnie de son fils, Luc, le Prince du titre, de Nikole, la PDG du vaisseau globotron Dollarama, de Catalina, la fille bâtarde de Lorenzo, et de Mike, le conseiller sans scrupule de Nikole.  L'action se déplace du vaisseau globotron Médicis à la Terre, en passant par quelques autres astronefs. Temporellement, comme il est question de cours de marketing suivis par Lorenzo et Nikole vers 2470, l'action se situerait au XXVIe siècle.

Ces personnages sont joués, dans le désordre, par Ann-Catherine Choquette, Stéphane Crête, 𝐌𝐚𝐫𝐢𝐞-𝐂𝐥𝐚𝐮𝐝𝐞 𝐆𝐮𝐞́𝐫𝐢𝐧, 𝐎𝐥𝐢𝐯𝐢𝐞𝐫 𝐌𝐨𝐫𝐢𝐧 et 𝐆𝐮𝐢𝐥𝐥𝐚𝐮𝐦𝐞 𝐓𝐫𝐞𝐦𝐛𝐥𝐚𝐲. L'enthousiasme et l'énergie sont au rendez-vous, mais l'intrigue ne leur permet pas nécessairement d'explorer beaucoup d'émotions distinctes ou d'émotions plus subtiles. Néanmoins, il faut saluer l'effort d'imagination qui nous sort un peu des clichés habituels de la science-fiction telle qu'elle est conçue par les profanes. Ceci dit, les auteurs ont plutôt gaspillé le potentiel dramatique du cadre.

Dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry, le personnage principal revient chez lui après avoir appris la valeur de l'amour qu'on donne et qu'on reçoit. Dans l'Italie de la Renaissance, la lutte pour le pouvoir disputée par les princes italiens va ouvrir la porte à l'ingérence étrangère et l'Italie perdra petit à petit sa supériorité technique et artistique au sein de l'Europe. Les auteurs du Théâtre du Futur imaginent une résolution des luttes de pouvoir centrées sur le fils de Lorenzo, mais ils n'envisageant pas les conséquences des luttes intestines pour la suprématie de telle ou telle principauté. Les guerres de la Renaissance vont également distraire l'Italie de la nouvelle entreprise européenne de conquête de la planète qui permet aux royaumes occidentaux qui bordent l'Atlantique de se tailler une place dans les réseaux commerciaux mondiaux, ce qui est d'autant plus ironique que de nombreux explorateurs seront italiens : Christophe Colomb, Amerigo Vespucci, Verrazzano, Cabot... Le cynisme de Machiavel cachait, si je me souviens bien une visée plus large, certes, celle de permettre à l'Italie de s'affranchir des ingérences étrangères en favorisant l'apparition d'un prince assez fort pour tenir tête aux monarques espagnols, français, ottomans ou germanophones. Mais les auteurs du Prince n'approfondissent pas les raisons de la recherche du pouvoir suprême.

En guise de post-scriptum, notons que, du 8 au 25 octobre, la pièce sera présentée à Sherbrooke par le Théâtre du Double signe, sur les planches de la Salle intermédiaire des arts de la scène.

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