2011-05-18

 

Jean-François Somain (1943-2011)

Le dimanche 15 mai, Jean-François Somain (Somcynsky, de son vrai nom) est décédé soudainement d'une rupture de l'aorte. L'annonce par l'UNEQ de son décès résume une vie et une carrière exceptionnelles de par leur richesse. Grand voyageur, dès sa naissance à Paris suivie d'une enfance en Argentine et d'une jeunesse canadienne, il a souvent fait bénéficier ses écrits, qui relevaient parfois de la science-fiction ou du fantastique, de cette expérience du monde. Homme universel, il s'intéressait aussi bien à la littérature qu'aux sciences, à l'histoire ou à l'érotisme. Ses ouvrages portaient souvent l'empreinte d'une philosophie personnelle qui privilégiait l'ouverture à l'autre, de toutes les manières.J'ai pris la photo ci-dessus lors de la fête d'anniversaire de l'AAOF en 2008. Nous avions eu l'occasion de bavarder un peu, mais sans creuser, sans doute en nous disant qu'il y aurait d'autres occasions d'approfondir, voire de faire un bilan de sa carrière littéraire, en particulier en science-fiction. En fin de compte, comme il arrive trop souvent, ces autres occasions resteront virtuelles...

J'avais rencontré Jean-François Somcynsky pour la première fois entre 1986 et 1988, soit au congrès Boréal à Longueuil en 1986, soit lors des festivals de science-fiction que j'avais organisés à l'Université d'Ottawa. Depuis, je ne l'avais pas revu souvent, car il ne fréquentait pas les congrès Boréal, mais nous nous croisions assez régulièrement dans les salons du livre, soit à Montréal, soit à Toronto, soit à Hull/Gatineau. À l'occasion d'un Salon du Livre de l'Outaouais, Christine Dumitriu van Saanen, lui et moi-même avions offert une table ronde sur la littérature et la science (dont je suis actuellement le seul survivant, hmmm...). Il était toujours amène, heureux de parler de ses projets littéraires ou de son domicile au lac Bell qui intégrait l'ancien chalet acquis par ma grand-tante en son temps.

En septembre 1993, j'avais fait paraître dans la revue Liaison une entrevue avec Jean-François Somcynsky. Alors en poste au Japon, il avait consenti à répondre par écrit à mes questions. Voici quelques extraits de cette entrevue :

Écrivain des plus prolifiques, vous avez écrit de nombreux romans et nouvelles de science-fiction ou de fantastique. Quel est l'intérêt pour vous de ces modes littéraires? En existe-t-il un que vous préférez aux autres?

Je suis surtout un écrivain de fiction réaliste qui s'aventure parfois dans le domaine de la science-fiction et dans celui du fantastique, aussi différents l'un de l'autre qu'ils le sont du premier. On peut employer les techniques du réalisme, de la science-fiction ou du fantastique pour traiter des mêmes thèmes, raconter des histoires similaires et dire à peu près la même chose. Mais on change l'atmosphère et le ton, comme lorsqu'on se sert d'un style naturaliste ou d'un style poétique pour décrire la même scène. J'ai trouvé que la science-fiction me servait admirablement bien pour faire de la critique sociale (Les grimaces [1975] ou Vivre en beauté [1989]), pour jeter un regard neuf sur les relations humaines (Les visiteurs du pôle Nord [1987]), pour placer des personnages dans des situations exceptionnelles (La planète amoureuse [1982]) ou pour traiter de l'Histoire et du destin (bien de mes nouvelles). Le fantastique était l'outil idéal pour explorer la nature de la réalité, la différence entre ce qu'on sait et ce qu'on croit savoir, les grands mythes et la nature humaine, où la réalité intérieure, faite de désir et de rêve, se mêle tant bien que mal à la réalité extérieure (Peut-être à Tokyo [1981], La nuit du chien-loup [1990]).

Vous avez changé de nom il y a quelques années, prenant celui de Somain après vous être fait connaître sous celui de Somcynsky. Est-ce que Somain est simplement un nom de plume? Accepteriez-vous de révéler la raison de ce choix?

J'ai simplifié mon nom en biffant ce qui était difficile à prononcer. Maintenant, c'est moins compliqué pour tout le monde, ce qui me semble une raison suffisante.

Vous avez remporté plusieurs prix littéraires pour des ouvrages de science-fiction. Est-ce que a joué un rôle d'incitation au moment d'en écrire d'autres?

Un artiste peut continuer à produire contre vents et marées, mais il n'est pas désagréable d'être rassuré sur la qualité de ce qu'on fait. Mes prix Solaris et Boréal, qui sont des prix de science-fiction et de fantastique, m'ont dit que ce que j'écrivais dans ces genres n'était pas mauvais du tout. En recevant le Prix Louis-Hémon de l'Académie du Languedoc, pour Les visiteurs du pôle Nord, qui est un roman de science-fiction, je me suis dit que j'avais fait du bon travail. J'aurais continué à écrire tout ce que je voulais dans les genres les plus appropriés à mes besoins, et je continuerai à le faire, mais les encouragements sont toujours appréciés.

L'amour, la liberté et l'indépendance sont parmi les thèmes privilégiés de votre œuvre. Pourquoi? Quels sont les autres?

Mon grand sujet, c'est l'amour de la vie. Je mets alors l'accent sur l'individualisme, le besoin de liberté, le destin de chacun. Ensuite, il y a les autres, parce qu'il n'est pas confortable de vivre seul. Deux autres thèmes apparaissent: l'amour, qui est le contact affectif, facile ou difficile à vivre, avec les autres, et, plus largement, l'ensemble des relations humaines. D'autres thèmes surgissent aussitôt: la critique sociale, le pouvoir, la violence, l'environnement, l'avenir de l'espèce humaine. Mon œuvre est un long cheminement à travers ces thèmes, parmi des personnages et des histoires généralement très différents de livre en livre.

Vous êtes un grand voyageur devant l'Éternel et vous êtes passé par un grand nombre de pays. Pensez-vous que ces expériences de voyage aient pu favoriser votre prédilection pour la science-fiction, souvent considérée comme une littérature de l'exotique?

J'ai visité plus de soixante-dix pays et j'ai vécu dans plusieurs: la France, l'Argentine, le Sénégal, l'Indonésie, maintenant le Japon, sans oublier le Canada. Je me sens citoyen de la planète et je me sens partout chez moi. Viscéralement allergique aux frontières, j'aime trop la littérature pour me cantonner dans un domaine. On peut faire de très belles choses en science-fiction et en fantastique et j'ai spontanément incorporé ces domaines à ma pratique de la fiction réaliste, parce que mon matériau, c'est toute la littérature.

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