2007-07-07
Les hauts et les bas de Readercon
La journée est moins passionnante dans l'ensemble, mais surtout parce que les discussions au programme tournent un peu en rond. En revanche, la journée s'achève sur le vingt-et-unième Kirk Poland Memorial Bad Prose Competition.
En début de journée, la table ronde « Political Beliefs and Fiction » aligne pourtant des participants de poids : Paolo Bacigalupi, Louis Edelman, Karen Joy Fowler, John Kessel, James Morrow et Lucius Shepard. En raison peut-être de l'âge de certains participants, on ne cite ni les grands débats politiques de l'heure ni les ouvrages récents qui les aborderaient (s'il y en a...). Shepard ne semble pas en forme et pas trop porté à parler de l'Amérique latine. On discute surtout de la justification esthétique d'une composante politique, mais beaucoup moins de la justification morale... J'aurais pu assister à une seconde table ronde sur le sujet en fin d'après-midi, mais le fiasco partiel de celle-ci me démotive. Je regrette presque d'avoir manqué la table ronde sur l'écriture sf d'Heinlein, même si j'ai un peu eu ma dose à Peyresq.
Je tombe aussi mal avec « Sense of Wonder, or Sense of Cool? », un sujet qui semblait pourtant prometteur (et qui aurait pu se rattacher à la consumérisation de la sf). Mais la distinction que les participants tentent de tracer entre l'émerveillement propre au sense of wonder et l'admiration blasée est subtile. La science-fiction d'il y a cinquante ans était-elle plus attachée à étonner les lecteurs que la sf qui s'écrit depuis le cyberpunk (ou les années soixante)? Il me semble que les auteurs de l'Âge d'Or étaient émerveillés eux-mêmes quand ils écrivaient, mais que les générations plus récentes sont plus soucieux de l'effet obtenu... J'en retire surtout la polysémie du jugement que telle ou telle chose est cool, de sorte que le qualificatif n'est guère utile pour l'auteur ou le critique. J'en profite pour grignoter quelque chose et j'achète mon dessert du Tiptree Bake Sale, que je ne suis pas le seul à fréquenter comme on le voit dans la photo ci-contre. Un sacrifice au bénéfice du Prix Tiptree.
Troisième prise : si la science-fiction ne démarre pas, allons voir du côté de la fantasy. Mais la table ronde « Fantasy as Inner Landscape » avec John Crowley, Greer Gilman, Kelly Link, Kathryn Morrow, Paul Park et Michael Swanwick arrive encore plus difficilement à cerner son sujet. (Et pourtant, quelle conjonction de vedettes!) En désespoir de cause, je me suis rabattu sur le business. Sans être aussi fertile en présences éditoriales que la World Fantasy Con, Readercon attire quand même de nombreux directeurs littéraires, de David G. Hartwell à Sharyn November. Puis, après avoir repris la préparation de mes interventions du lendemain, je retrouve les autres (Yves, Grimmwire, Christian, Rosefox) pour le souper habituel chez PapaRazzi avant l'affrontement ultime...
La 21e édition du Kirk Poland aura donné des sueurs froides aux organisateurs, et en particulier à l'animateur Eric M. Van. Pour déloger les deux champions en lice, il avait fait appel à un duo de choc composé de Debra Doyle et James D. Macdonald, que l'on peut voir à l'extrême droite de la photo ci-dessous. (Les autres participants de gauche à droite : Grimmwire, Eric M. Van, Craig Shaw Gardner et Yves.)D'entrée de jeu, Van nous sert un extrait d'un habitué, le pasteur et prédicateur qui arrondissait ses fins de mois avec des romans écrits en un... mois, le champion des tire-à-la-ligne, l'expert de la digression, le stakhanoviste (et bourreau) de la littérature industrielle, le maître de l'à-peu-près, de la tautologie et de la pléthore de synonymes (parfois livrés alphabétiquement!), l'as du recyclage de couvertures, l'homme aux mille pseudonymes, bref, nul autre que le Britannique Robert Lionel Fanthorpe. Van ne tarde pas à s'en mordre les doigts, car on ne le fait plus à l'auditoire qui identifie sans peine le texte authentique. Du coup, Van en perd le sourire qu'il avait au tout début du match (comme on le voit dans cette photo). Que se passerait-il si l'auditoire remportait, pour la première fois de l'histoire de l'Univers, le concours? Faudrait-il distribuer des romans de John Norman à tout le monde?
La question angoissante se pose pendant les premières rondes. Van a peut-être commis l'erreur de se rabattre sur des valeurs sûres telles que R. L. Fanthorpe et L. Ron Hubbard, qu'une partie de l'auditoire connaît déjà depuis belle lurette (et qui partagent les mêmes initiales... une coïncidence, si c'en est une, qui pourrait inquiéter les fans de Robert L. Asprin, Robert Leslie Bellem... ou Robert Lull Forward). Puis, les deux principaux concurrents, soit Yves et Grimmwire qui ont vite déclassé Debra et Jim, commencent à remonter l'auditoire, en réduisant l'intervalle. Grimmwire réussit quelques coups fumants, qui le font rigoler dans sa barbiche (photo à droite). Après un début de roman particulièrement lamentable de L. Ron Hubbard, on saute jusqu'à la fin d'un texte du même auteur pour proposer des pastiches du... glossaire! Yves est si inspiré (ou déterminé) qu'il compose deux fins différentes, dont une qui est particulièrement tordante.
C'est l'hallali. L'auditoire, asphyxié par les éclats de rire devenus douloureux à force d'empêcher l'air de pénétrer dans leurs poumons, se rend à merci. Il crie grâce, mais Van ne fait pas grâce. Après un doublé Hubbard, il nous sert un doublé Fanthorpe, qui s'est hissé à des altitudes surréalistes en évoquant « light that had mildew on it ». Cette fois, l'auditoire aux neurones en train de disjoncter comme autant de lumières s'éteignant dans la plaine quand on coupe le courant se laisse abuser et il vote en masse pour un texte qui rappelle Lovecraft pour les uns et Hope Hodgson pour les autres. Mais le texte est de la plume d'un concurrent, qui devient donc l'as de la mauvaise prose, l'avatar de R. Lionel Fanthorpe, le cauchemar des directeurs littéraires, la personnification de Kilgore Trout ou Kirk Poland lui-même, la réincarnation des feuilletonnistes et des pisse-copie d'un autre temps, le déterreur d'écrivaillons refoulés... Eh oui, pour la troisième année d'affilée, Yves Meynard est le champion du Kirk Poland! Il est chaudement applaudi par les perdants (tandis qu'Éric Van affiche une mine soulagée) et il leur renvoie poliment la balle en sollicitant, d'un geste magnanime, l'ovation de la foule pour confirmer l'humiliation de ses voisins...
En début de journée, la table ronde « Political Beliefs and Fiction » aligne pourtant des participants de poids : Paolo Bacigalupi, Louis Edelman, Karen Joy Fowler, John Kessel, James Morrow et Lucius Shepard. En raison peut-être de l'âge de certains participants, on ne cite ni les grands débats politiques de l'heure ni les ouvrages récents qui les aborderaient (s'il y en a...). Shepard ne semble pas en forme et pas trop porté à parler de l'Amérique latine. On discute surtout de la justification esthétique d'une composante politique, mais beaucoup moins de la justification morale... J'aurais pu assister à une seconde table ronde sur le sujet en fin d'après-midi, mais le fiasco partiel de celle-ci me démotive. Je regrette presque d'avoir manqué la table ronde sur l'écriture sf d'Heinlein, même si j'ai un peu eu ma dose à Peyresq.
Je tombe aussi mal avec « Sense of Wonder, or Sense of Cool? », un sujet qui semblait pourtant prometteur (et qui aurait pu se rattacher à la consumérisation de la sf). Mais la distinction que les participants tentent de tracer entre l'émerveillement propre au sense of wonder et l'admiration blasée est subtile. La science-fiction d'il y a cinquante ans était-elle plus attachée à étonner les lecteurs que la sf qui s'écrit depuis le cyberpunk (ou les années soixante)? Il me semble que les auteurs de l'Âge d'Or étaient émerveillés eux-mêmes quand ils écrivaient, mais que les générations plus récentes sont plus soucieux de l'effet obtenu... J'en retire surtout la polysémie du jugement que telle ou telle chose est cool, de sorte que le qualificatif n'est guère utile pour l'auteur ou le critique. J'en profite pour grignoter quelque chose et j'achète mon dessert du Tiptree Bake Sale, que je ne suis pas le seul à fréquenter comme on le voit dans la photo ci-contre. Un sacrifice au bénéfice du Prix Tiptree.
Troisième prise : si la science-fiction ne démarre pas, allons voir du côté de la fantasy. Mais la table ronde « Fantasy as Inner Landscape » avec John Crowley, Greer Gilman, Kelly Link, Kathryn Morrow, Paul Park et Michael Swanwick arrive encore plus difficilement à cerner son sujet. (Et pourtant, quelle conjonction de vedettes!) En désespoir de cause, je me suis rabattu sur le business. Sans être aussi fertile en présences éditoriales que la World Fantasy Con, Readercon attire quand même de nombreux directeurs littéraires, de David G. Hartwell à Sharyn November. Puis, après avoir repris la préparation de mes interventions du lendemain, je retrouve les autres (Yves, Grimmwire, Christian, Rosefox) pour le souper habituel chez PapaRazzi avant l'affrontement ultime...
La 21e édition du Kirk Poland aura donné des sueurs froides aux organisateurs, et en particulier à l'animateur Eric M. Van. Pour déloger les deux champions en lice, il avait fait appel à un duo de choc composé de Debra Doyle et James D. Macdonald, que l'on peut voir à l'extrême droite de la photo ci-dessous. (Les autres participants de gauche à droite : Grimmwire, Eric M. Van, Craig Shaw Gardner et Yves.)D'entrée de jeu, Van nous sert un extrait d'un habitué, le pasteur et prédicateur qui arrondissait ses fins de mois avec des romans écrits en un... mois, le champion des tire-à-la-ligne, l'expert de la digression, le stakhanoviste (et bourreau) de la littérature industrielle, le maître de l'à-peu-près, de la tautologie et de la pléthore de synonymes (parfois livrés alphabétiquement!), l'as du recyclage de couvertures, l'homme aux mille pseudonymes, bref, nul autre que le Britannique Robert Lionel Fanthorpe. Van ne tarde pas à s'en mordre les doigts, car on ne le fait plus à l'auditoire qui identifie sans peine le texte authentique. Du coup, Van en perd le sourire qu'il avait au tout début du match (comme on le voit dans cette photo). Que se passerait-il si l'auditoire remportait, pour la première fois de l'histoire de l'Univers, le concours? Faudrait-il distribuer des romans de John Norman à tout le monde?
La question angoissante se pose pendant les premières rondes. Van a peut-être commis l'erreur de se rabattre sur des valeurs sûres telles que R. L. Fanthorpe et L. Ron Hubbard, qu'une partie de l'auditoire connaît déjà depuis belle lurette (et qui partagent les mêmes initiales... une coïncidence, si c'en est une, qui pourrait inquiéter les fans de Robert L. Asprin, Robert Leslie Bellem... ou Robert Lull Forward). Puis, les deux principaux concurrents, soit Yves et Grimmwire qui ont vite déclassé Debra et Jim, commencent à remonter l'auditoire, en réduisant l'intervalle. Grimmwire réussit quelques coups fumants, qui le font rigoler dans sa barbiche (photo à droite). Après un début de roman particulièrement lamentable de L. Ron Hubbard, on saute jusqu'à la fin d'un texte du même auteur pour proposer des pastiches du... glossaire! Yves est si inspiré (ou déterminé) qu'il compose deux fins différentes, dont une qui est particulièrement tordante.
C'est l'hallali. L'auditoire, asphyxié par les éclats de rire devenus douloureux à force d'empêcher l'air de pénétrer dans leurs poumons, se rend à merci. Il crie grâce, mais Van ne fait pas grâce. Après un doublé Hubbard, il nous sert un doublé Fanthorpe, qui s'est hissé à des altitudes surréalistes en évoquant « light that had mildew on it ». Cette fois, l'auditoire aux neurones en train de disjoncter comme autant de lumières s'éteignant dans la plaine quand on coupe le courant se laisse abuser et il vote en masse pour un texte qui rappelle Lovecraft pour les uns et Hope Hodgson pour les autres. Mais le texte est de la plume d'un concurrent, qui devient donc l'as de la mauvaise prose, l'avatar de R. Lionel Fanthorpe, le cauchemar des directeurs littéraires, la personnification de Kilgore Trout ou Kirk Poland lui-même, la réincarnation des feuilletonnistes et des pisse-copie d'un autre temps, le déterreur d'écrivaillons refoulés... Eh oui, pour la troisième année d'affilée, Yves Meynard est le champion du Kirk Poland! Il est chaudement applaudi par les perdants (tandis qu'Éric Van affiche une mine soulagée) et il leur renvoie poliment la balle en sollicitant, d'un geste magnanime, l'ovation de la foule pour confirmer l'humiliation de ses voisins...
Libellés : Congrès, Science-fiction