2025-02-26
H+ ou la vanité du transhumanisme
Le transhumanisme est un sujet difficile au théâtre. Le « spectacle documentaire auto-science-fictionnel » H+ reproduit à plusieurs égards la démarche de la pièce Post Humains, dont j'ai déjà parlé. Tout comme Dominique Leclerc était partie de son diabète pour concevoir Post Humains, Emile Beauchemin, qui est à la fois l'auteur, le protagoniste et le metteur en scène, fonde la pièce sur sa propre alerte de santé. Ainsi, la fiction se mêle à l'autobiographie et à la vulgarisation. Le résultat tient plus de la mosaïque que de la fresque.
L'histoire du personnage d'Emile Beauchemin tient lieu d'intrigue. Surmené, il subit, alors qu'il est dans la jeune vingtaine, une myopéricardite, soit une double infection du cœur et de son enveloppe. Il se fait prescrire huit semaines de repos complet, durant lesquelles il visitera régulièrement le Musée des beaux-arts de Québec pour admirer l'œuvre plus ou moins finale de Riopelle, le monumental Hommage à Rosa Luxemburg où figurent des oies blanches observées depuis sa retraite de L'Isle-aux-Grues. Beauchemin adopte ensuite un mode de vie plus actif, axé sur la course, ce qu'il incarne sur scène en trottant sur un tapis de course durant l'essentiel de la pièce, ce qui rappelle aussi la course à la performance qui s'impose dans nos sociétés.
Ceci résume ce qu'on trouve en fait d'intrigue suivie, mais il s'y greffe l'histoire de Maureen, une bonne amie jouée par Maureen Roberge, et la scène accueille aussi la présence tranquille et silencieuse d'un homme âgé qui pourrait représenter l'avenir d'Emile, et dont le positionnement en marge de l'action principale illustre peut-être la marginalisation des personnes âgées (et moins suractives). Quand celui-ci se raconte, toutefois, il se présente comme Michel, qui a quitté son emploi à la campagne pour venir travailler en ville, ce qui démontre la possibilité des reconversions tardives.
Le volet documentaire annoncé par l'intitulé est fourni par des explications intercalaires, parfois débitées par une tête parlante animatronique, laquelle commence par raconter le mythe de Prométhée. On évoque aussi au passage les origines historiques de l'entracte au théâtre et de la scène théâtrales chez les Grecs, ainsi que l'attrait de la quête de l'immortalité pour les transhumanistes et la pression du temps qui passe dans le contexte des horaires surchargés de nos vies modernes.
Toutefois, ces aperçus de la pensée transhumaniste restent superficiels si on les compare au traitement plus étendu et approfondi de la pièce Post Humains. Par contre, H+ a le mérite de dégager les questionnements fondamentaux du transhumanisme : pourquoi voulons-nous transcender la condition humaine ? faut-il, pour y arriver, nécessairement disposer de plus de loisirs ou d'existences prolongées, voire d'exiger l'immortalité ? devons-nous épuiser un choix de vie avant d'en faire un autre ou pouvons-nous changer de carrière ou changer de vie quand nous en éprouvons le besoin ?
Malgré l'allusion à la science-fiction dans l'intitulé, il n'y a pas d'élément ouvertement science-fictionnel, à part la tête d'automate, mais un segment de la pièce présente en raccourci l'avenir de Maureen sur une quarantaine d'années, ce qui correspond à une projection futuriste implicite si on suppose que la pièce s'inscrit dans notre présent.
Le décor est minimaliste, mais il est nettement plus « intéressant » que l'offre scénique du Prince joué au Théâtre Denise-Pelletier. Des affichages lumineux et des projections vidéo égrènent les chiffres de la performance physique d'Emile Beauchemin sur son tapis roulant : vitesse, distance parcourue, rythme cardiaque... Une cuisine occupe l'autre extrémité de la salle et incarne la vie quotidienne dans ce qu'elle a de plus prosaïque, à l'opposé spatial et thématique du tapis roulant. Des écrans plus petits s'animent pour certains exposés documentaires ou commentaires en voix off. Ce décor nous réserve quelques surprises, dont un frigo qui se transforme en appareil IRM. Des pommes circulent deux ou trois fois, ajoutant un symbole polysémique à l'ameublement, fruit de la connaissance du bien et du mal, peut-être même prométhéen et transhumaniste...
Le dénouement n'est pas plus conventionnel que la structure du texte et convoque le concept des âges de la vie afin de battre en brèche les présupposés du transhumanisme. La décision la plus courageuse, ce n'est pas de faire courir un marathon sur scèene au personnage principal d'Emile Beauchemin, c'est d'avoir un bébé sur scène. La déconstruction de la prémisse est complétée par l'aveu de Beauchemin qu'il n'aura pas couru un marathon sur scène, contrairement à la publicité faite à cette pièce depuis ses premières représentations en juin 2023 dans le cadre du Carrefour international de théâtre.
Dans la mesure où le transhumanisme sous-tend certains espoirs véhiculés par une partie de la science-fiction, H+ offre aussi une critique de cette variété positiviste et optimiste de l'anticipation, ce qui en fait une création non seulement auto-science-fictionnelle, mais aussi méta-science-fictionnelle.