2021-05-22

 

Mirage

Le roman Mirage (Alire, 2020) de Josée Lepire, qui a signé d'excellentes nouvelles de science-fiction dans les revues du milieu, présente une aventure individuelle qui finit par décider de l'avenir d'un petit peuple.

Le ton et le décor de l'ouvrage rappellent un peu la trilogie de Francine Pelletier, « Le Sable et l'Acier » (Alire, 1997-1998), qui débutait avec un roman primé, Nelle de Vilvéq.  Cela tient à la présence d'un désert post-apocalyptique en terre canadienne (surtout québécoise dans la trilogie), au personnage d'une messagère, Phan, qui rappelle la coursière Algir dans le roman jeunesse Le Rendez-vous du désert, qui s'inscrivait dans le même univers, et à la prédominance des négociations pour résoudre les différends qui mettent aux prises les sociétés de cet univers.  (De fait, le roman est dédicacé à Francine.)  En revanche, alors que la trilogie avait trois protagonistes successives, le roman est tout d'abord l'histoire d'un seul personnage, Phan, une messagère qui traverse régulièrement les étendues désertiques séparant les quatre oasis habitées et quelques autres lieux associés.

Des siècles plus tôt, des Nomades avaient fondé ces hameaux à proximité de points d'eau et leurs descendants ont développé une population de quelques milliers de personnes privilégiant une existence frugale et autarcique.  Toutefois, les ressources disponibles commencent à manquer et l'assèchement de l'oasis d'Asbor a nécessité la transplantation des survivants, accueillis par les oasis restantes.  De plus, une fraction grandissante de la population souffre de visions et d'un décrochage de la réalité.  Phan craint de faire partie de ces « Hallucins » puisqu'elle commence à vivre des hallucinations.

Une hallucination partagée met Phan sur la piste d'une série de révélations sur la véritable nature des Oasis, lesquelles déterminent l'organisation d'une expédition à pied pour réclamer de l'aide aux populations du monde extérieur, dont les Oasiens se sont coupés depuis des siècles.  Ceci va entraîner un contact avec l'Extérieur et le début d'une série de tentatives de Phan pour solliciter une intervention de puissances disposées à épauler les Oasiens.  Même si la situation passe à un doigt de déraper complètement, les efforts consentis par Phan n'auront pas été vains et les Oasis retiennent la solution qui leur convient.

C'est la personnalité de Phan qui finit par s'imposer.  Comme il sied à une marcheuse, l'obstination la caractérise.  Tant qu'elle trouvera une voie à emprunter, elle ira au bout de ses forces.  En même temps, sa personnalité se dérobe.  Elle agit et pense comme si elle n'avait aucune famille ou être aimé dans les Oasis, même si sa mère est mentionnée en passant.

Au fil des péripéties, il devient pourtant évident que Phan attire des amitiés susceptibles de correspondre à des sentiments plus profonds.  D'une part, il y a Orge l'ermite et Basti le médecin qui, de toute évidence, se préoccupent de son sort.  D'autre part, une femme de l'Extérieur, Saraé, semble aussi s'attacher à la messagère.  Phan n'envisage jamais très clairement que ces personnes lui témoigneraient en fait une affection susceptible de se transformer en une liaison amoureuse ou une relation durable.  Même si elle était aromantique et asexuelle, on s'attendrait à ce qu'elle ait observé la formation de couples autour d'elle.  Même si elle était imperméable à l'amour et peu encline à se croire l'objet des affections d'autrui, elle devrait quand même envisager certaines hypothèses, ou avoir conscience de son propre désintérêt pour les relations de ce type.  Toutefois, le récit occulte toutes ces possibilités (alors que l'enjeu même de l'histoire, c'est la survie de la communauté des Oasiens) jusqu'aux toutes dernières lignes du roman, qui laissent entrevoir le début d'une relation avec... mais chut !

Ce choix de la réticence est inusité, quelque peu original, voire rafraîchissant, mais il prive sans doute Phan d'une part d'humanité.  De même, la narration est fluide, mais peut-être trop égale et mesurée pour ne pas empeser le texte d'une distance qui nuit à la tension.  L'expédition de Phan et son séjour à l'Extérieur se prolongent sans susciter de grandes angoisses alors même qu'il était question que l'approvisionnement en eau des Oasis prenne fin d'un jour à l'autre.  Le sentiment d'urgence, évoqué au début, s'estompe et retombe.

Du point de vue science-fictif, le contexte post-apo n'est pas neuf, pas plus que le cadre géographique choisi, soit celui du Canada, comme dans Amblystone de Valérie Drouin.   Cette Amérique du Nord désertifiée fait penser, outre l'univers de Francine Pelletier, à la série « Dust Lands » de Moira Young.

Ce qui soutient l'intérêt du point de vue science-fictif, par contre, c'est d'abord le mystère des visions de Phan, qui reste largement irrésolu, malgré quelques éclaircissements, et riche de potentialités.  Lepire nous prépare-t-elle une suite ?

Enfin, le roman place la technologie au cœur de débats récurrents sur son utilisation.  Les Oasiens ont choisi la voie d'une certaine autarcie en cherchant à réduire le plus possible leur dépendance aux technologies avancées du passé.  À la fin, la société des Oasis doit se décider à rejeter les anciennes techniques ou à s'assimiler au mode de vie de l'Extérieur... à moins de trouver une troisième voie.  Ces débats politiques concluent le roman et témoignent d'une maturité de vues qui rattache le roman à la tradition de la science-fiction qui fait réfléchir.

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