2019-05-22
Une fable de science-fiction en 1928
(C'est dans les pages du Progrès du Saguenay le 18 février 1928 que j'ai retrouvé cette petite fable de science-fiction anti-laïque apparemment composée par un politicien français de gauche modérée, Raoul Péret, pour un discours dans son fief poitevin, peut-être publié précédemment dans la Revue du Livre catholique. Je reproduis l'entièreté du texte ci-après.)
À l'Académie des sciences d'Ichtyopolis
« Être laïque, c'est ne pas consentir l'abdication de l'esprit humain devant l'incompréhensible.
(Discours prononcé à Mirebeau le 6 novembre 1927, par M. Raoul Péret).
Chacun sait qu'Ichtyopolis est la capitale du Royaume des Poissons. Le hasard m'a permis de découvrir dans les Archives Océanographiques le procès-verbal suivant que je suis heureux de mettre sous les yeux de nos lecteurs. Le voici sans commentaires :
« Le quatrième jour du mois de la Baleine, l'Académie d'Ichtyopolis a été appelée à discuter une communication saugrenue émanée d'un soi-disant savant [qui] prétend que les parties solides qui émergent au-dessus de notre Océan sont habitées par des êtres vivants. Notre illustre collègue Pansophos n'a pas eu de peine à réfuter cette ridicule hypothèse qui sous ses vigoureux coups de nageoires s'est écroulée comme un château de coquillages.
« La perfection de nos instruments, a-t-il fait ressortir, nous a permis d'établir que notre globe est entouré d'un fluide beaucoup plus subtil que l'eau ; il est sans consistance, continuellement agité, au point qu'il bouleverse sans cesse la surface de notre Océan. Des êtres qui vivraient dans un pareil milieu seraient emportés comme de légères arêtes, à moins qu'ils ne fussent fixés au sol. De plus nous savons pertinemment que ce fluide est aux quatre cinquièmes formé d'azote, gaz complètement impropre à la combustion et à la respiration. Comment veut-on qu'on puisse vivre dans ces conditions ? Et notre propre existence ne démontre-t-elle pas qu'il est impossible de vivre dans un milieu qui n'est pas saturé d'hydrogène ?
« Il y a mieux. À part ce fluide extrêmement subtil, rien ne sépare la surface du globe des brûlants rayons du soleil ; il n'y a point là cette eau rafraîchissante qui en tempère les ardeurs. Ou les êtres que l'on prétend vivre ainsi sont privés de la vue, ou ils deviennent aveugles dès les premiers jours de leur naissance, et de toutes façons ils ne peuvent qu'être rôtis.
« Impossibilité de se tenir en équilibre, impossibilité de respirer, impossibilité d'y voir, inéluctable nécessité de succomber rapidement à l'action d'une chaleur desséchante, c'est plus qu'il n'en faut pour démontrer l'absurdité d'une hypothèse qui prétend qu'on peut vivre hors de l'eau. Et il y va de l'honneur de l'Académie d'Ichtyopolis de ne jamais consentir l'abdication de l'esprit piscinal devant l'incompréhensible.
« D'étourdissants battements de queues accueillirent cette éloquente réfutation et l'on en vota à nageoires levées l'insertion dans les Archives de l'Académie. »
Pour copie conforme :
G. Ramette
Le Secrétaire perpétuel.
Squale ichtyosaure.
Libellés : Canada, France, Histoire, Science-fiction