2014-08-24

 

Mars et Avril

Il n'y a pas tant de science-fiction québécoise au cinéma.  En fait, dans la catégorie des longs métrages, je ne pourrais citer à première vue que L'Effet (2013), Truffe (2008) et Dans le ventre du dragon (1989).  À la rigueur, Bunker (2014).  Et il y a Mars et Avril (2012) que j'ai enfin pu regarder hier soir.

Sans être aussi décourageant que Truffe — qui relevait du grand foutage de gueule au nom des mânes de la comédie psychotronique — et sans être aussi sympathique que L'Effet, Mars et Avril tient un peu des deux, mais il se rapproche sans doute le plus du film de Simoneau en 1989.  Comme Dans le ventre du dragon qui s'intéressait à l'immortalité, le film de Martin Villeneuve aborde de grands thèmes : la réalité et la virtualité, l'art et l'amour, l'infini et l'ennui.  Enfin, l'ennui infini, c'est peut-être celui du spectateur...

Si ennui il y a, on ne peut l'imputer au jeu d'acteur, car Villeneuve a recruté des vedettes du milieu québécois : Jacques Languirand, Caroline Dhavernas, Paul Ahmarani et Robert Lepage.  On ne peut l'imputer à la pauvreté des décors ou des effets visuels : ce Montréal futuriste (prévu pour 2022 — lorsque la reconstruction de l'échangeur Turcot sera terminée depuis deux ans ! — selon le photo-roman en deux volumes disponible chez la Pastèque) est somptueux grâce au calibre des artistes recrutés pour la production.  Non seulement Thierry Labrosse (Moréa) faisait partie des illustrateurs, mais François Schuiten (Les Cités obscures) a assuré la direction artistique.  Quant à la musique et à la trame sonore fournies par Benoît Charest (Les Triplettes de Belleville), la première s'écoute avec plaisir et la seconde n'est pas sans charme.

Qu'est-ce qui reste ?  L'histoire et les idées.  Le scénario aurait pu faire un bon épisode de vingt ou trente minutes à la télévision.  Jacob Obus est un musicien vieillissant dans un Montréal futuriste dont la population s'est entichée de ses performances toujours swinguantes, grâce à des instruments singuliers modelés sur des corps féminins, et qui passe pour un Don Juan alors qu'il n'a jamais fait l'amour de sa vie (sauf à ses instruments).  Une jeune et jolie photographe (et vidéaste) appelée Avril s'éprend de Jacob tandis qu'Arthur, le jeune concepteur des instruments de Jacob, s'éprend d'Avril.  Le père d'Arthur, qui fabrique les instruments conçus par son fils et qui est épris, lui, de théories fumeuses, intervient pour venir en aide aux deux amoureux lorsqu'Avril aboutit sur Mars en raison d'un accident de téléporteur.  Pour la récupérer, Jacob et Arthur plongent dans une réalité virtuelle onirique...  mais il faudrait que je regarde de nouveau la fin du film pour comprendre la justification précise de cette manœuvre.

Étirée sur 90 minutes, cette intrigue alourdie par des digressions métaphysiques et philosophico-cosmologiques révèle encore une fois le principal défaut des films québécois : l'incurie scénaristique.  En savons-nous assez sur Arthur pour comprendre pourquoi il tient à Avril ?  Sur Jacob pour savoir pourquoi il cède aux avances d'Avril ?  Sur Avril pour saisir ce qui la pousse vers Jacob ou Arthur ?  Quelles difficultés rencontrent-ils ?  Jacob avoue à Eugène qu'il manque d'expérience sexuelle, mais c'est un constat, pas une motivation : en est-il fier ?  honteux ?  est-il désintéressé ?  homosexuel ? curieux ?  fétichiste ?  Avril n'est semble-t-il qu'un joli visage, pas plus.  Si elle est en panne d'inspiration, c'est encore une fois un constat : pourquoi est-ce si important pour elle ?   Et Arthur n'est guère mieux défini.

L'action du film démarre vraiment quand Jacob n'arrive pas à jouer du nouvel instrument modelé sur Avril, dessiné par Arthur et fabriqué par Eugène.  (Parce qu'Eugène l'a saboté afin de pousser Jacob vers Avril pour éloigner son fils de la photographe ?  Sans doute que non.)  Ceci pousse finalement Jacob à se rapprocher d'Avril, qui est en quelque sorte instrumentalisée à double titre : transformée en instrument de musique dont Jacob veut jouer et en moyen charnel pour Jacob de retrouver le souffle voulu pour jouer de son nouvel instrument...  L'objectification féminine aura rarement été aussi flagrante, surtout que les courbes d'Avril se métamorphosent à l'écran en paysages martiens.

En fin de compte, le seul véritable rebondissement a lieu quand Avril disparaît d'une cabine de téléportation.  Or, une heure du film est déjà écoulée...  Bref, c'est à s'en arracher les cheveux.

Quant aux idées, elles auraient paru originales à l'époque de Philip K. Dick et de Star Trek, il y a cinquante ans.  (On se demande au passage pourquoi il y a encore des trains ou métros dans un monde doté de cabines de téléportation...)  Le père d'Arthur, Eugène Spaak, a une tête holographique qui, dans le film, semble suggérer qu'il a téléchargé son esprit sur un support informatique, mais les explications de Villeneuve dans les médias sont moins claires.  La vieille idée de la musique des sphères semble être prise plus ou moins au pied de la lettre tandis que le film s'embourbe aussi dans le compte-rendu d'un voyage martien qui enchaîne les absurdités.

Lily a tout de suite relevé qu'on entendait la fusée martienne décoller de la surface de la Lune...  et il semble y avoir des entrevues en direct entre les marsonautes de la fusée et une personnalité de la 3D-vision sur Terre, malgré le décalage temporel qui devrait grandir entre Mars et la Terre (les ondes électromagnétiques ne pouvant assurer une liaison instantanée).  C'est peut-être un indice que l'expédition est une supercherie montée en studio (comme les marsonautes l'affirment dans une scène rêvée ou une réalité virtuelle de la dernière demi-heure) ou simplement une bévue de Villeneuve.

Néanmoins, les touches fantaisistes de la création de Villeneuve évoquent parfois les univers de Boris Vian d'une manière assez agréable et il est possible de beaucoup pardonner à ce film rien que pour la qualité de la construction visuelle et sonore.  Seulement, si on espérait tomber sur une histoire un tant soit peu dramatique dans un univers de science-fiction construit avec soin, il faudra attendre que les organismes subventionnaires québécois et les cliques culturelles du Québec se décident à soutenir de véritables créateurs de science-fiction — ou à se défaire de l'idée (trop influente dans la tradition française) que la science-fiction n'est bonne qu'à illustrer (lourdement) des allégories superficielles.

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