2014-08-30

 

La Dayounak de Johanne Brodeur

Depuis quelques années, la science-fiction connaît un regain au Québec, qui est dû en partie à de nouveaux auteurs qui écrivent pour la jeunesse, comme Patrice Cazeault ou André Marois, et en partie à des auteurs qui s'auto-éditent, peut-être inspirés par les succès d'auteurs anglophones qui ont su trouver leur public en offrant des versions numériques de leurs ouvrages.  En 2013, Johanne Brodeur a fait paraître son premier livre, La Dayounak, un « roman illustré » qui se présente comme le premier tome de la série Sans Terre Sans Destin.  La page du pavé légal inclut d'ailleurs cet avis : « Ce roman n'a fait l'object d'aucune aide gouvernementale ni d'aucun crédit d'impôt fédéral ou provincial.  Il a été entièrement financé par l'auteur et son éditeur au bénéfice des jeunes lecteurs. »

Du point de vue technique, l'ouvrage échappe aux pires tares des livres auto-publiés.  Quelques coquilles à part, la typographie et le texte sont presque impeccables.  Les illustrations de Maxime Bigras sont d'un niveau honnête.  Curieusement, la seule partie du livre qui n'a pas été corrigée semble être la biographie de l'auteure qui rappelle qu'elle a lu « Azimov, Lover Craft, Zimmer, Clarke » (tels quels dans le texte).  Malgré cela, le roman démontre quelque chose qui échappe encore à certains créateurs, comme le Villeneuve de Mars et Avril : une histoire, ce n'est pas compliqué.  Il  suffit d'avoir un personnage (inoffensif, voire vaguement sympathique) pour qui les choses vont de mal en pis.

C'est le cas d'Ariane, une jeune mère terrienne qui est enlevée par des extraterrestres et qui se retrouve dans les entrailles d'une immense station spatiale, en compagnie d'extraterrestres appartenant à une multitude d'espèces différentes.  Comme elle ne comprend la langue de personne et que personne ne comprend la sienne, elle doit lutter pour survivre, trouver de quoi manger et un coin pour dormir dans les espaces clos d'une station envahie par des réfugiés de plusieurs mondes menacés par la guerre.  Néanmoins, elle se lie d'amitié avec une petite extraterrestre esseulée qui lui rappelle la fille dont elle a été séparée par son enlèvement.  La pauvrette est assassinée sous ses yeux par des individus particulièrement féroces et repoussants.  Ariane survit de peu aux aventures qui s'ensuivent et elle se rapprochera plus tard d'un groupe de réfugiés qui comprend deux petits enfants.  Parmi eux, il y a la vieille Messelti, sage et clairvoyante, ainsi que le beau Tashkâ, robuste et courageux mais glaçant.

Comme on le soupçonne rapidement, elle n'a pas croisé de parfaits inconnus.  La fillette extraterrestre et le petit groupe de réfugiés ont des rôles à jouer dans la politique interstellaire.  Après de nombreuses péripéties qui vaudront à Ariane de nouvelles vicissitudes (battue, affamée, transformée en esclave par des fanatiques religieux), celle-ci échappe enfin à son emprisonnement sur la station en compagnie de ses nouveaux amis : Tashkâ et les deux enfants qui sont les héritiers de la souveraine d'un puissant empire.  La greffe d'un traducteur universel lui permet enfin de commencer à s'exprimer et à comprendre ce qui se dit autour d'elle.  Néanmoins, elle doit faire face à l'hostilité de plusieurs membres de la Cour de Dame Abnakaïs où elle a abouti et elle est accusée d'avoir été impliquée dans un grave incident qui met la paix interstellaire en péril.

La narration va de l'avant malgré ses maladresses : on finit par s'intéresser au sort d'Ariane en dépit des coïncidences invraisemblables et des sous-intrigues inutiles.  Toute une partie du roman concerne un clan de fanatiques misogynes qui assume certaines responsabilités sur la station, fait trimer la pauvre Ariane comme une bête et s'entre-déchire.  Pourtant, si Akal, l'artiste gagné par un début de compassion pour Ariane, arrive à évincer l'ambitieux Zidor en se gagnant les faveurs du vieux Galt, tous ces personnages qui sont les premiers à acquérir un peu d'envergure disparaissent sans revenir — du moins, dans ce premier volume de la série.

Bref, La Dayounak relève d'une science-fiction romanesque un peu éculée, quelque part entre Star Wars et le space-opéra des années soixante et soixante-dix.  Les bons sont très bons et les méchants, très méchants.  Pour épicer le tout, il y a même une histoire d'amour.  Car, il allait de soi qu'Ariane allait tomber amoureuse du beau Tashkâ, malgré les particularités anatomiques propres à son espèce, et que celui-ci allait s'éprendre d'elle, même si quelques malentendus les séparent momentanément...  Cette dimension romantique m'a rappelé certains livres de Marion Zimmer Bradley ou d'Anne McCaffrey, comme Restoree (1967), traduit en français et intitulé Reconstituée (1982), où l'héroïne est une Terrienne enlevée par des extraterrestres qui va subir bien des avanies avant de tomber amoureuse d'un extraterrestre haut placé dans la hiérarchie de la planète où elle a abouti.

Comme dans Restoree ou Star Trek, les différences anatomiques entre toutes ces espèces extraterrestres ne semblent pas peser lourd.  De nombreuses espèces respirent le même air, mangent la même nourriture, parlent avec une bouche, sont bipèdes et sexués.  Et la politique des empires interstellaires est régie par des Nobles Maisons (on songera à Dune) et des assemblées qui semblent assez anachroniques.  Mais si on ne le reproche pas à Babylon 5 et au space-opéra, pas plus que les pouvoirs psi qui figurent dans La Dayounak comme dans ses sources d'inspiration, on ne peut pas le reprocher à Brodeur.  Celle-ci gère aussi avec une certaine difficulté le problème de la langue, ce qui l'oblige en cours de route à commencer à changer de point de vue, mais de manière assez gauche.

Dans la catégorie de la sci-fi auto-éditée au Québec, j'ai lu bien pire (Row, row, row your boat de Brigitte Labrecque, par exemple) et on se demande si, avec l'aide d'un bon éditeur, Brodeur aurait pu livrer quelque chose qui aurait ressemblé à un bon volume de science-fiction populaire.

Libellés : , ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?