2013-04-19

 

La peur et la lumière

On meurt de tout manquer ou parce qu'on se craint,
étouffant par excès de maîtrise de soi
en s'imposant toujours la plus dure des lois
ravalant ses rages, refoulant ses chagrins

Car c'est en restant fort qu'on se casse les reins
par égard pour autrui qu'on sabote sa foi
par désir d'endurer qu'à la fin on se noie
comme pour mettre à notre seule vie un frein

Pourtant, le poids des ans abat notre énergie
longtemps avant que soit consumée la bougie
que nous brûlons pour brûler, anges dans la nuit

Mourons d'avoir trop brillé, les ailes usées
d'avoir trop volé, tel un astre qui a trop lui
las non de ses peurs mais d'avoir su s'amuser

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2013-04-18

 

La journée du CIRST en 2013

Aujourd'hui, le Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST) consacrait une première journée à ses thèmes de recherche.  Le premier atelier était consacré à l'environnement du point de vue des études STS.  Détenteur de la chaire de recherche du Canada en histoire environnementale du Québec, Stéphane Castonguay de l'UQTR livre un résumé de son exploration du sujet.  Sa communication, « Le gouvernement des ressources naturelles : savoir, pouvoir et territoire », s'intéresse au rôle des scientifiques qui ont guidé la gestion par l'État québécois de ses ressources naturelles.  Relativement à la création de la Commission géologique du Canada au niveau fédéral en 1842, les agences scientifiques en tant que telles apparaissent assez tardivement au Québec, le service forestier datant de 1909 et le service agronomique datant de 1913, après la jonction des universités et des écoles d'agriculture.  Avant cette époque, ce sont des spécialistes autodidactes et des experts étrangers qui conseillent le gouvernement.  Leurs activités prennent de nombreuses formes.  Il y a la cartographie, l'exploration géologique et l'inventaire des ressources, mais il y a aussi la mise en valeur ou même l'amélioration des ressources grâce au reboisement, à la pisciculture clé de l'empoissonnement, au choix de cultures et d'élevages appropriés pour les sols québécois et à la délimitation des territoires, qui peut se traduire par la création de réserves variées.  Les découpages mis en place par les agences scientifiques créeront des territorialités distinctes que les acteurs sociaux reproduiront, parfois, d'où l'importance de les étudier.

Professeur à l'UQÀM, Dany Fougères offre une périodisation de l'occupation du territoire du Québec dans sa communication « L'histoire de l'aménagement du territoire : une histoire environnementale ».  Si l'aménagement est un ordonnancement des habitants, de leurs activités, des constructions, des équipements publics et des communications voulu par les pouvoirs publics, on peut distinguer plusieurs périodes historiques.  Le Régime français est le temps de l'installation en terre canadienne.  Jusqu'au milieu du XIXe siècle, la marque humaine reste superficielle et Fougères parle de nomadisme pour désigner la nature des activités humaines sur le territoire québécois qui font rarement appel à des infrastructures lourdes.  Suit un siècle de colonisation et de quadrillage du territoire avec des canaux, des chemins de fer et des routes.  Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle génération de professionnels et d'experts scientifiques profitent des pleins pouvoirs de l'État québécois pour imposer leur autorité.  Depuis 1980 environ, toutefois, l'aménagement des villes et des régions ne peut plus se faire sans consultations avec le public.  Fougères note que la modification d'un territoire passe souvent par une rencontre entre le négociable et le non-négociable, entre les nouveaux et les anciens usages.  La première génération sur place oriente souvent les choix des générations ultérieures, car les possibilités écartées à l'origine sont rarement récupérables par la suite.

Le second atelier de la matinée portait sur l'entreprise, l'innovation et la recherche.  Andrea Schiffauerova de l'Université Concordia présente « The effect of the small-world network architecture on knowledge and innovation production:  The case of Canadian biotechnology ».  Il s'agit du résultat d'une collaboration qui a étudié la structure rhizomatique de la biotechnologie canadienne sur une période de près de quarante ans, en se basant sur les articles parus et les brevets associés aux recherches dans ce domaine.  Les nœuds du réseau correspondent à des personnes tandis que les liens les unissant correspondent à la co-paternité d'un brevet ou à la co-signature d'un article.  La question, c'était de savoir si la biotechnologie canadienne avait la structure d'un small-world network caractérisé par une structure ni complètement régulière ni complètement aléatoire de telle façon qu'il existe des trajectoires plus courtes entre certains points et des grappes plus denses ou plus concentrées que dans le reste du réseau.  Si c'était le cas, l'étude voulait déterminer l'effet de cette structure sur les flux d'informations et la création des savoirs.  Bref, ce genre de réseau augmente-t-il la production scientifique ainsi que la qualité et la quantité de la production d'innovations?

Les données ont été explorées avec les méthodes de l'analyse de réseaux sociaux et les enquêteurs ont découvert que les grappes se renforcent dans le temps tandis que la longueur moyenne des trajectoires diminue (en convergeant sur la valeur mythique des 6 degrés de séparation), ce qui indique que la biotechnologie canadienne serait bel et bien devenue un small-world network.  La transition a lieu vers 1985 et entraîne des effets mesurables sur le nombre de publications et de brevets, mais pas sur la qualité des brevets (qui est évaluée à l'aune du nombre de réclamations par brevet).  L'existence de grappes de plus en plus intimement reliées (des « cliques ») réduit la productivité scientifique mais favorise l'application des découvertes.  La centralité de certains acteurs ne gêne pas la production du savoir, mais elle pourrait gêner l'innovation ou la production totale.  Dans la salle, Ted Porter demande si la tendance à la concentration est une cause ou un effet, ce qui reste sans vraie réponse.  On signale aussi des études de l'OCDE en 2010 qui ont décrit les réseaux de collaborateurs dans différentes disciplines.

Serghei Floricel de l'UQÀM a ensuite présenté « Le rôle cognitif des représentations externes du savoir dans les projets d'innovation ».  En invoquant tout de suite Le monde comme volonté et représentation de Schopenhauer, il nous a mené sur la piste des représentations (programmatiques? performatives? rhétoriques?) dans l'innovation, en se basant sur 17 études de cas et 232 réponses à un sondage (toujours en cours).  Selon Floricel, les représentations sont sélectives, favorisent l'abstraction, assurent la préservation des connaissances retenues et simplifient évidemment la réalité dans une certaine mesure.  Il inscrit les représentations dans un schéma à deux dimensions, les représentations subjectives allant de l'abstrait au concret (et vice-versa) et les représentations objectives du comparatif au causal.  Il fait aussi intervenir des relations figées (sur-déterminées) et libres (sous-déterminées); dans ce dernier cas, le lecteur comble les trous, mais, parfois, les représentations en soi dictent l'interprétation des lacunes.

La communication de Sophie Veilleux de l'Université Laval, « L'internationalisation des entreprises de biotechnologie par les alliances stratégiques », présentait les résultats d'une étude des entreprises de biotechnologie à Montréal et à Boston du point de vue des liens avec des compagnies extérieures.  Les résultats n'étaient guère surprenants : les firmes de Boston se tournaient davantage vers les ressources de leur propre pays que vers l'étranger, tandis que c'était l'inverse pour les firmes de Montréal.  Elle note au passage que les partenariats avec l'étranger ne représentent pas la solution de prédilection de nombreuses entreprises, qui ne collaborent que parce qu'elles le doivent.

Enfin, Olivier Germain de l'UQÀM a offert un point de vue plus théorique de l'entrepreneuriat, en appliquant la philosophie (heideggérienne, entre autres) à la compréhension des stratégies et tactiques des entrepreneurs.  Sa communication, « Émergence des opportunités, immanence de la stratégie »,distingue trois types d'entrepreneurs, celui qui repère/détecte les occasions, celui qui fabrique/suscite les occasions et celui qui, sans plan pré-établi, sait faire émerger les occasions.

Comme anglicisme, l'opportunité désigne l'occasion, mais le mot a pour sens premier celui du moment favorable à l'action.  Quelque chose qui est opportun tombe à point.  Germain suggère que les entrepreneurs pro-actifs, mais qui ne sont pas captifs d'une définition préalable de leur démarche, sont plus aptes à se montrer non seulement opportunistes mais capables de faire émerger l'occasion.  Ils ne doivent pas évoluer dans un cadre déterminé et déterminant : l'émergence discrète et impensée suppose une disponibilité pleine et entière des agents, au contraire du repérage qui exige un « détachement théorique » où l'action correspond à un « mode de construction » parce que les buts sont pré-définis et les intentions priment.

En revanche, dans le cas de l'émergence, l'entrepreneur doit adopter un « mode d'habitation » qui précède la réflexion ou la représentation symbolique.  Il est ouvert au moment et capable de se laisser porter par le potentiel d'une situation jusqu'à ce que la stratégie prenne forme.  Bref, les acteurs de l'innovation sont immergés dans un contexte pratique où le monde est « à portée de la main» et la stratégie est immanente, car elle s'appuie sur la situation.  Pour Germain, organiser l'émergence pourrait relever du bricolage décrit par Lévi-Strauss, qui impose de s'arranger avec les moyens du bord, au besoin en exécutant des tâches fort diversifiées.  En définitive, Germain décrit une approche qui privilégie le potentiel plutôt que les finalités stratégiques.

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