2012-09-07

 

Les merveilles du scrutin uninominal à un tour

Les bizarreries du scrutin uninominal à un tour sont connues depuis longtemps.  Ce n'est pas si rare au Canada qu'un parti obtienne une majorité de sièges avec une minorité de voix, d'habitude en raison de la présence d'un troisième parti (le cas de figure des élections fédérales l'an dernier).  On a déjà vu également des cas où le parti qui obtenait la majorité des sièges avait obtenu moins de voix que le parti relégué sur les banquettes de l'opposition (le cas de figure des élections provinciales de 1998 au Québec).

Même avec deux partis uniquement, on peut aboutir à des résultats aberrants.  Un article paru dans L'Actualité au siècle dernier l'avait illustré avec un exemple à peu près semblable à celui-ci.  Soit 125 sièges disponibles au Québec et deux partis en lice.  Supposons qu'un parti obtienne 50,2% des voix dans 124 circonscriptions et 0% dans la dernière circonscription, tandis que l'autre obtient nécessairement 49,8% des voix dans 124 circonscriptions et 100% dans la dernière.  Du coup, le premier parti récolte 124 sièges sur 125, mais seulement 49,8% des voix, tandis que le second parti n'obtient qu'un siège avec 50,2% des voix.  Et notons bien que le premier parti bénéficie d'une marge somme toute respectable de 40 voix en sa faveur dans des circonscriptions comptant 10 000 votants.  Résultat, la majorité de la population ne serait représentée que par 1 seul député sur 125...

C'est merveilleux, non?  Mais on peut faire beaucoup plus fort encore.  L'exemple ci-dessus accordait la majorité des sièges à une très forte minorité des suffrages (49,8%), ce qui assurait à ce parti un minimum de légitimité démocratique.  Même avant les élections de mardi, par contre, je soutenais que tous les résultats étaient possibles cette année.  Avec six vrais partis en lice, le nombre de combinaisons est multiplié.  D'un point de vue strictement mathématique, ce serait théoriquement possible que, dans le cas d'une division presque égale du vote (avec cinq partis à 16,6% des voix), un parti rafle tous les sièges avec 17% du voix.

Merveilleux, non?  Mais pas très réaliste, peut-être.  Cela dit, même en adoptant des contraintes plus vraisemblables, on peut aboutir à des résultats presque aussi surprenants.  Prenons d'abord des chiffres représentatifs des sondages de la fin juillet, soit 32% des intentions de vote pour le PQ, 30,8% des intentions de vote pour le PLQ,  23,9% pour la CAQ, 7,4% pour Québec-Solidaire, 3,9% pour le Parti vert et 2% pour Option nationale.  En partant de ces chiffres, je me suis amusé un peu avec un tableur et une liste des 125 circonscriptions québécoises.

Évidemment, les deux premiers partis pouvaient remporter une majorité ou une minorité avec les soutiens dont ils bénéficiaient.  Mardi dernier, le PQ l'a démontré en obtenant une minorité, mais il n'a tenu qu'à 2 ou 3 sièges que ce soit le PLQ.  Trop facile, donc.

La CAQ aurait-elle pu remporter une majorité avec 23,9% des soutiens?  Politiquement, si on tenait compte de la fidélité des électeurs selon leur répartition régionale, la réponse, c'était non, bien entendu.  Mathématiquement, si on supposait un électeur parfaitement libre de disposer de ses allégeances, c'était tout à fait possible.  Un partage des votes dans chaque circonscription dont la somme provinciale donnerait les niveaux de soutien spécifiés ci-dessus (32%, 30,8%, 23,9%, 7,4%, 3,9% et 2%) aurait pu donner 63 sièges à la CAQ, 31 au PQ et 31 au PLQ.  (J'afficherais les chiffres par circonscription si je le jugeais nécessaire, mais cela prendrait beaucoup de place et l'exercice est assez simple.)

Bien sûr, si la CAQ pouvait remporter une majorité avec 23,9% des voix, elle pouvait aussi remporter une minorité (43 sièges contre 41 pour le PQ et 41 pour le PLQ).  D'autres scénarios étaient également envisageables : un gouvernement de coalition de la CAQ et des Verts (31 sièges pour le PQ, autant pour le PLQ, 62 sièges pour la CAQ et 1 siège pour les Verts, qui auraient détenu la balance du pouvoir...). 

De fait, il aurait été possible que n'importe lequel des trois grands partis ait à dépendre en chambre du soutien d'un petit parti.  Dans la situation actuelle, où la marge du PQ est de 3 sièges, il suffirait d'un recomptage judiciaire ou deux, d'un décès ou d'une défection pour que Pauline Marois soit obligée de se tourner vers les 2 sièges de Québec solidaire pour maintenir son rang de premier groupe parlementaire.  Mais sans altérer les niveaux de soutien pour toute la province, le scurtin uninominal à un tour aurait également pu accoucher d'une alliance des Libéraux et des Verts, de la CAQ et de Québec solidaire, et ainsi de suite.

Une dernière question : Avec 7,4% des appuis, Québec solidaire aurait-il pu remporter une minorité ou une majorité parlementaire ?

Mathématiquement, si les autres partis maintenaient leur niveau de soutien, cela me semble impossible.  Mais si quelqu'un trouvait la combinaison miraculeuse qui l'aurait permis, je serais ravi d'avoir les chiffres.  En revanche, on peut se demander à partir de quel niveau, il aurait été mathématiquement possible pour Québec solidaire d'occuper une place importante à l'Assemblée nationale grâce aux merveilles du scrutin uninominal à un tour.

Sans affirmer que ce soit le niveau absolument minimal, un petit transfert de voix du PQ à Québec solidaire aurait pu donner au parti d'Amir et Françoise un gouvernement majoritaire avec 12% des voix.  Ceci correspondrait à des niveaux de soutien pour la province de 30,8% pour le PLQ, 27,4% pour le PQ, 23,9% pour la CAQ, 12% pour Québec solidaire, 2% pour Option nationale et 3,9% pour les Verts.  Avec une répartition optimale des voix selon les circonscriptions (optimale pour Québec solidaire, bien entendu), le vote aurait pu donner 63 sièges à Québec solidaire, 41 sièges au PLQ, 11 sièges à la CAQ et 10 sièges au PQ.  (La clé de ce scénario quelque peu improbable, c'est que les voix de Québec solidaire soient concentrées dans 63 circonscriptions à hauteur de 23,5-26%, en l'emportant de justesse sur les trois autres partis obtenant entre 19 et 25,5% du vote chacun, tandis que les voix des autres partis seraient concentrées dans les 62 autres circonscriptions où Québec solidaire ne récolterait aucun vote.)

Quand le scrutin uninominal à un tour permet de telles merveilles (ou distortions des intentions de l'électorat, au choix), on comprend qu'aucun parti n'ait eu jusqu'à présent le courage de le réformer.

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