2011-09-20
La trilogie de Mahfouz
Les révoltes du Printemps arabe m'ont incité à me plonger dans la lecture de la Trilogie cairote de Naguib Mahfouz, dont j'avais acheté l'édition en un volume chez le Livre de Poche, il y a quelques années, au Salon du livre de Montréal.
L'ouvrage, rédigé dans les années cinquante, fait figure de classique dans les lettres arabes. Bien entendu, ce n'est pas si facile de juger de ses mérites littéraires en traduction française. Néanmoins, ce que le préfacier dit de l'évolution du style de Mahfouz, clairement partagé entre arabe littéraire et arabe dialectal dans le premier volume, puis de plus en plus proche de la langue parlée dans les volumes suivants, m'a semblé se retrouver dans la traduction. Dans le premier volume, les dialogues se détachent des descriptions, un peu comme des mélanges de morceaux de bravoure et de pièces rapportées. Dans le troisième volume, les dialogues se fondent mieux dans l'ensemble, mais c'est en partie parce que Mahfouz révèle plus souvent le monologue intérieur de ses personnages. Du coup, la parole des uns et des autres prend le dessus sur les observations plus détachées de l'auteur au démarrage de la trilogie. En revanche, il se dégageait une grande tendresse des pages consacrées à la petite famille d'Ahmed Abd el-Gawwad, au coin des rues al-Nahhasin et Bayn al-Qasrayn au Caire, et aussi à l'enfance du jeune Kamal, le plus proche sans doute de l'auteur. Plus on avance dans la trilogie, plus la douceur de vivre et d'espérer de la famille est remise en cause. Les héros vieillissent, les pleutres ne se corrigent pas, les enfants déçoivent les espérances de leurs parents et la libération du pays se fait attendre.
Mahfouz trace un portrait sans grande complaisance de la vie égyptienne du tournant du siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Quand on tourne les ultimes pages du roman, on découvre un Kamal vieillissant qui a choisi la vie de l'intelligence et de la culture, mais qui oscille entre le doute et la foi dans la vie comme dans les hommes. Ses questionnements se superposent aux gestes du quotidien, alors qu'il s'occupe autant de la naissance que de la mort de ses proches. Le temps est souvent au cœur des sagas familiales et historiques. Quand l'auteur ne s'attache pas à une seule vie, il est bien obligé de s'intéresser au sens de la succession des existences, de leurs fins et de leurs recommencements.
Temps linéaire et vieillissement sans retour. Temps cyclique et ininterrompu. La trilogie de Naguib Mahfouz fait écho aux grands romans modernes du vingtième siècle, mais il se distingue d'un ouvrage comme À la Recherche du temps perdu. Alors que Proust faisait de toutes les subtilités du temps qui passe (et des façons de passer le temps) son sujet, Mahfouz est plus soucieux de souligner comment le temps passe, mais sans vraiment renouveler les petits et grands faits de nos existences : amours, ambitions, aspirations, déconvenues, mariages, naissances et pertes des êtres chers. Il met en scène l'immuabilité du changement dans un cadre qui est assez peu familier pour un lecteur occidental, en nous faisant apprécier ou à tout le moins comprendre un peu mieux les conventions sociales de la société égyptienne. C'est un peu l'autre face de l'Égypte que Lawrence Durrell décrivait dans le Quatuor d'Alexandrie. Les deux sommes ont été rédigées durant les mêmes années : la Trilogie cairote en 1956 et 1957 et le Quatuor d'Alexandrie de 1957 à 1960. Les deux auteurs se sont ignorés dans la mesure où Mahfouz ne pouvait pas avoir lu Durrell et où je ne crois pas Durrell lisait l'arabe. Ensemble, ces deux ouvrages aux tonalités très différentes (exoticisme et romantisme chez Durrell, réalisme et réflexion philosophique chez Mahfouz) permettent certainement de mieux comprendre les racines du Printemps égyptien et la tradition cairote de la révolte populaire.
L'ouvrage, rédigé dans les années cinquante, fait figure de classique dans les lettres arabes. Bien entendu, ce n'est pas si facile de juger de ses mérites littéraires en traduction française. Néanmoins, ce que le préfacier dit de l'évolution du style de Mahfouz, clairement partagé entre arabe littéraire et arabe dialectal dans le premier volume, puis de plus en plus proche de la langue parlée dans les volumes suivants, m'a semblé se retrouver dans la traduction. Dans le premier volume, les dialogues se détachent des descriptions, un peu comme des mélanges de morceaux de bravoure et de pièces rapportées. Dans le troisième volume, les dialogues se fondent mieux dans l'ensemble, mais c'est en partie parce que Mahfouz révèle plus souvent le monologue intérieur de ses personnages. Du coup, la parole des uns et des autres prend le dessus sur les observations plus détachées de l'auteur au démarrage de la trilogie. En revanche, il se dégageait une grande tendresse des pages consacrées à la petite famille d'Ahmed Abd el-Gawwad, au coin des rues al-Nahhasin et Bayn al-Qasrayn au Caire, et aussi à l'enfance du jeune Kamal, le plus proche sans doute de l'auteur. Plus on avance dans la trilogie, plus la douceur de vivre et d'espérer de la famille est remise en cause. Les héros vieillissent, les pleutres ne se corrigent pas, les enfants déçoivent les espérances de leurs parents et la libération du pays se fait attendre.
Mahfouz trace un portrait sans grande complaisance de la vie égyptienne du tournant du siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Quand on tourne les ultimes pages du roman, on découvre un Kamal vieillissant qui a choisi la vie de l'intelligence et de la culture, mais qui oscille entre le doute et la foi dans la vie comme dans les hommes. Ses questionnements se superposent aux gestes du quotidien, alors qu'il s'occupe autant de la naissance que de la mort de ses proches. Le temps est souvent au cœur des sagas familiales et historiques. Quand l'auteur ne s'attache pas à une seule vie, il est bien obligé de s'intéresser au sens de la succession des existences, de leurs fins et de leurs recommencements.
Temps linéaire et vieillissement sans retour. Temps cyclique et ininterrompu. La trilogie de Naguib Mahfouz fait écho aux grands romans modernes du vingtième siècle, mais il se distingue d'un ouvrage comme À la Recherche du temps perdu. Alors que Proust faisait de toutes les subtilités du temps qui passe (et des façons de passer le temps) son sujet, Mahfouz est plus soucieux de souligner comment le temps passe, mais sans vraiment renouveler les petits et grands faits de nos existences : amours, ambitions, aspirations, déconvenues, mariages, naissances et pertes des êtres chers. Il met en scène l'immuabilité du changement dans un cadre qui est assez peu familier pour un lecteur occidental, en nous faisant apprécier ou à tout le moins comprendre un peu mieux les conventions sociales de la société égyptienne. C'est un peu l'autre face de l'Égypte que Lawrence Durrell décrivait dans le Quatuor d'Alexandrie. Les deux sommes ont été rédigées durant les mêmes années : la Trilogie cairote en 1956 et 1957 et le Quatuor d'Alexandrie de 1957 à 1960. Les deux auteurs se sont ignorés dans la mesure où Mahfouz ne pouvait pas avoir lu Durrell et où je ne crois pas Durrell lisait l'arabe. Ensemble, ces deux ouvrages aux tonalités très différentes (exoticisme et romantisme chez Durrell, réalisme et réflexion philosophique chez Mahfouz) permettent certainement de mieux comprendre les racines du Printemps égyptien et la tradition cairote de la révolte populaire.