2011-07-23

 

La troisième fois était la bonne

Cela faisait quelques semaines que nous tentions d'assister à l'adaptation par Robert Lepage de la pièce The Tempest de Shakespeare (qui aurait été sa dernière, selon la légende). La pièce était jouée au grand air, dans un nouvel amphithéâtre cerné par les bois de Wendake. Les intempéries ont mis fin à notre première tentative — une tempête ayant entraîné l'annulation de La Tempête. Quand nous y sommes retournés, nous avons eu droit à la première moitié de la pièce — jusqu'à ce que le bûcheron-acrobate Francis Roberge se blesse dans les coulisses. Deuxième annulation.

Hier soir, nous avons tenté notre chance de nouveau. Cette fois, c'était la bonne.

Telle que montée par Lepage, la pièce est une adaptation parfois infidèle. Des personnages et des répliques ont disparu. Quelques passages ont été traduits en langue innue. Un numéro costumé de la pièce originale faisant intervenir des déesses de l'Antiquité a été remplacé par une danse huronne. Mais surtout, Lepage a profité du cadre pour faire de l'île mystérieuse où se déroule l'action un bout d'Amérique du Nord peuplé d'autochtones qui jouent les rôles attribués à des esprits divers — elfes, lutins et démons — dans la pièce d'origine. Le lien n'est pas gratuit, car le texte de Shakespeare fait référence aux «Indiens » qui commençaient à apparaître dans les rues de Londres et l'intrigue fait de l'île un nouveau monde. De plus, le naufrage initial aurait été inspiré par celui d'un navire anglais sur des récifs des Bermudes en 1609 (les Bermudes étaient alors inhabitées, même si la présence de cochons laisse supposer qu'elles avaient été visitées plus d'une fois depuis leur découverte par Bermúdez vers 1505).

Les critiques de la version de Lepage, dans La Presse, The Globe and Mail et Voir, n'ont pas toutes été tendres, mais elles ne font pas toujours la part des choses. Il y a ce qui relève de l'adaptation et il y a ce qui relève de Shakespeare. Ce qui semble en avoir déçu certains, c'est l'hétéroclisme de la pièce. Or, c'est Shakespeare lui-même qui avait voulu la pièce ainsi, et Lepage nous épargne en fait quelques blagues et calembours. Bref, il convient de se souvenir que Shakespeare courtisait plusieurs publics et Lepage accentue à peine la dimension parfois bouffonne et parfois spectaculaire de l'original. Le jeu des acteurs n'est peut-être pas toujours à la hauteur, mais cela ne dérange guère dans le cas du jeune premier, Francis Roberge, qui n'a pas besoin d'être autre chose qu'un amoureux épris.

En revanche, Jean Guy, dans le rôle de Prospero, manque de prestance et souffre aussi d'une traduction de Michel Gauvreau qui transcrit assez bien les passages comiques de la pièce, mais qui se débrouille moins bien avec les envolées plus poétiques de Shakespeare. Ce ne sont pas les quelques québécismes qui gênent (au contraire, ils donnent une tournure vieillotte tout à fait appropriée aux discours des personnages), mais plutôt l'absence d'une certaine élévation dans l'expression. Certes, ce n'est pas parce que Shakespeare est obscur qu'il est forcément poétique, mais il manque parfois une certaine recherche.

Or, à plusieurs égards, Prospero est au cœur de la pièce. Il est le maître d'œuvre de l'action et il en tire les ficelles. Il apparaît nécessairement comme une sorte d'auteur et le soliloque qui clôt la pièce lui permet de se présenter à la fois comme le geôlier d'Ariel et Caliban, mais aussi comme le prisonnier de l'île qui vient de libérer ses serviteurs et dupes, ce qui peut aussi se comprendre comme le plaidoyer d'un dramaturge qui renonce à ses sortilèges verbaux (dans le contexte d'un changement de style? d'un départ à la retraite? ou seulement du dernier acte?) et fait appel à l'indulgence de l'auditoire. Or, si The Tempest est en partie une pièce sur le renoncement au pouvoir d'un père, patriarche et dramaturge omnipotent, cette dimension est nettement affaiblie à la fois par la prestation de l'acteur et par l'adaptation, car Lepage mise plutôt sur un face à face entre Prospero et ses esprits, qui ont dans le cas présent l'apparence d'autochtones canadiens en vêtements traditionnels.

La dimension post-colonialiste de l'adaptation de Lepage donne un sens additionnel (et apprécié) à plusieurs scènes, mais dans la mesure où elle affaiblit l'histoire du Prospero, je vais rester sur l'impression qu'en fin de compte, trop d'ingrédients aura nui.

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