2011-06-16

 

Les deux cultures du Canada

Il fut un temps où le concept des deux solitudes nationales canadiennes semblait aussi simple qu'évident : le monde francophone et le monde anglophone, les Catholiques ultramontains et les Protestants orangistes, les bons vivants de Montréal (... ville ouverte) et les coincés de Toronto (the Good), le Québec s'enracinant dans la Nouvelle-France et le reste du Canada fondé par les Loyalistes...

Il est temps toutefois de diagnostiquer une autre division du pays, qui s'incarne dans une paire d'articles du Globe and Mail d'aujourd'hui. D'une part, il y a la culture du hockey, dont témoigne les émeutes de la Coupe Stanley à Vancouver (événement devenu quasi rituel dans les grandes villes canadiennes depuis les émeutes montréalaises de 1993). D'autre part, il y a la culture des arts telle qu'elle est incarnée par le réseau de Radio-Canada/CBC, qui, selon ce qu'une étude récente démontre, semble générer des retombées qui dépassent ses coûts.

Ce sont des cultures presque hostiles, de la tête du pays jusqu'à sa base. De Stephen Harper qui, en fait de culture livresque, se targue surtout d'écrire une histoire du hockey au Canada, jusqu'aux fans qui se pressent dans les rues et les bars, ou monopolisent la télé familiale. De ce côté de la barricade, la CBC a pour seul mérite de diffuser les matchs de hockey et de faire une place à Don Cherry, de sorte que les Conservateurs de Harper parlent depuis longtemps d'abolir ou de privatiser Radio-Canada... Et ce n'est pas un phénomène anglo-canadien : que l'on songe à l'hystérie collective qui s'empare de Montréal quand les Canadiens sont en finale ou à la mobilisation du village de Québec qui se range derrière le maire Labeaume dès qu'il est question de ravoir une équipe de hockey, en prenant au besoin pour cible Radio-Canada, coupable de laisser parler Amir Khadir ou d'exprimer les opinions du Plateau montréalais sur la question... Dans le cadre d'une partie de hockey, tout a le mérite d'être clair : qui gagne, qui perd, qui se surpasse, qui déchoit. Et on s'attend à ce que tout soit pareillement clair dans la vie.

En face, en anglais comme en français, il existe des institutions littéraires, musicales, cinématographiques, etc., qui entretiennent le culte d'une recherche de sens faisant appel aux talents d'écrivains, de compositeurs, de cinéastes, de plasticiens, de danseurs, etc. Ceux-ci se débattent avec l'indicible, l'ineffable, bref, le mystère. La détestation du hockey par les défenseurs d'une culture des arts est parfois plus discrète que l'abhorrence de formes d'art dites trop élitistes par les fanas du hockey ou les employés de Sun News Network, mais le dédain est bien réel. On fait comme si le hockey n'existait pas et les occasions de rencontre sont rares — et rarement réussies. Face à la culture du hockey, la crispation n'est-elle pas si concrète qu'on se rejette avec excès sur toutes les formes de culture qui s'éloigne le plus possible des goûts populaires? Si la science-fiction ou la fantasy ont le tort d'être trop populaires, on n'essaiera surtout pas de comprendre pourquoi : on saluera bien bas les ouvrages qui rapportent des millions, on oubliera les autres et on continuera à parler des ouvrages que nos amis ont lus — ou écrits. Mais ce qui unit cette constellation d'arts et d'artistes, c'est avant tout, peut-être, l'acceptation de la nuance.

La violence n'est parfois qu'un épiphénomène : elle peut exploser dans le contexte d'un concert annulé ou de manifestations politiques opposées aux G8 et G20 tout comme elle peut exploser à l'occasion de matches de hockey perdus (ou gagnés), ce qu'on a très bien vu à Montréal depuis 1993. Le nombre de personnes en cause est souvent réduit et le lien de ces personnes avec les manifs ou les véritables fans de hockey est parfois ténu. On peut comprendre ces explosions comme une exploitation d'un espace de liberté carnavalesque créé par l'importance transcendante accordée à ces événements ponctuels — une importance qui transcende les codes habituels et les conventions tacites qui, autant que les forces de l'ordre, régimentent la vie en société. De ce point de vue, la violence n'est qu'un symptôme de l'importance prise dans le champ culturel par tel ou tel événement. Le déchaînement de la violence révèle l'emprise de ces cultures distinctes sur nos esprits, mais il nous avertit aussi que les énergies, les ressentiments et les espoirs investis dans ces deux cultures sont de plus en plus intenses, et de plus en plus aptes à déborder.

En attendant la prochaine explosion, si on désire se situer entre ces deux grands pôles culturels, il n'y a qu'à se demander lequel de ces deux prétextes, un septième match de la coupe Stanley ou le rassemblement de politiciens du G20, nous semble justifier le plus des réactions violentes?

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