2009-12-30

 

Avatars d'une culpabilité?

Voir Avatar en trois dimensions sur un écran IMAX, c'est vivre un voyage qui doit se rapprocher un peu de l'immersion totale connue par ces premiers spectateurs des frères Lumière que l'arrivée d'un train en gare de Ciotat aurait effarés de manière plus ou moins prononcée.

Mais il faut parler de l'histoire. Ailleurs, les commentateurs n'hésitent pas à interpréter l'intrigue du film comme une fantaisie post-colonialiste empreinte de culpabilité européenne qui cache imparfaitement un colonialisme mal assumé...

D'une part, j'ai tendance à croire que Cameron (d'origine canadienne) a tout simplement mis en images une histoire qu'il a voulu suffisamment universelle (la plupart des pays et des populations du monde ont eu une certaine expérience du colonialisme, de l'impérialisme, de l'invasion ou de l'occupation, en tant que victimes) pour râtisser si large qu'un film aussi coûteux aurait de bonnes chances de rentrer dans ses frais. Cameron peut en être parfaitement conscient tout en étant lui-même sensible à l'attrait de l'histoire d'un petit village d'irréductible Gaulois tenant tête à l'Empire galactique avec l'aide d'un transfuge de l'armée des États-Unis...

D'autre part, ceci ne fait que transférer les questions soulevées par l'histoire. Le héros (blanc) assimilé qui s'avère un meilleur défenseur de la nature et des indigènes que les indigènes eux-mêmes, est-ce un fantasme colonialiste ou post-colonialiste? On songe à Tarzan, Kim, Mowgli ou Lord Jim dans la fiction d'antan... En même temps, est-ce condescendant ou non de faire des indigènes de nouvelles incarnations du « noble sauvage » de jadis, en leur niant une part de notre commune humanité si celle-ci est supposée foncièrement vile? (Ou est-ce un reniement des valeurs de l'Occident que de célébrer tout ce qui est primitif, si on adopte le point de vue opposé quant à cette supposée noblesse?)

Ce sont des questions distinctes, à mon avis. L'impossibilité même de changer de camp me semblerait nier plus que tout qu'il peut y avoir quelque chose de commun quand la couleur de la peau, les habitus sociaux, les traditions et le mode de vie ne sont pas les mêmes. Mais le transfuge est-il nécessairement un héros? D'un point de vue tactique, il n'est pas niable que si deux adversaires inégalement équipés s'affrontent, ceux qui sont moins bien armés ont intérêt à disposer d'informations privilégiées sur les armes de leurs ennemis. Et il peut arriver qu'un transfuge ou renégat adopte avec plus de vigueur les valeurs de ceux qu'il rejoint que ceux-là mêmes : c'est le zèle du converti, ou l'effet du choix conscient de celui qui opte délibérément pour un mode de vie parce qu'il trouve celui-ci mieux adapté à ses besoins et inclinaisons.

Mettons que le réalisme d'un tel scénario fait défaut quand le transfuge s'en tire avec tous les honneurs et toutes les récompenses matérielles. Mais jusqu'à ce point, c'est défendable. L'entre-deux n'est pas toujours confortable, mais il est souvent profitable à ceux qui occupent une position intermédiaire entre deux cultures ou sociétés.

Quant à l'accusation d'en faire trop en faisant des indigènes de « bons sauvages » aux vertus surabondantes, elle est plus délicate. Oui, il y a sans doute une part de culpabilité. Mais cette culpabilité induit-elle nécessairement une évaluation biaisée des mérites de l'adversaire vaincu, dépouillé, massacré?

L'histoire récente a peut-être des leçons pour nous. Quels ont été les éléments, réels ou supposés, de la supériorité européenne? Au fil du temps, on a mis de l'avant plusieurs facteurs, dont une supériorité innée d'ordre racial, la maîtrise d'une technologie plus performante et des valeurs sociales plus propices à la domination d'autrui. Toutefois, pour expliquer la maîtrise de cette technologie supérieure ou de ces valeurs sociales dominatrices par les habitants de l'Europe/de l'Ancien Monde/du Nord plutôt que par les habitants des Amériques/du Nouveau Monde/du Sud, on risque fort d'être obligé d'invoquer soit une différence d'ordre racial soit des circonstances géographiques et biologiques plus favorables pour les uns que pour les autres.

Si on ne remonte pas aux causes ultimes, toujours difficiles à déterminer avec certitude, il faut s'en tenir aux causes intermédiaires, dont la supériorité technologique et l'organisation sociale. Si on doit choisir entre l'un ou l'autre, on optera soit pour l'idée que la supériorité technologique confère à la volonté de domination présente chez tous la possibilité de s'accomplir uniquement si on dispose des plus gros canons (Dieu est pour les gros bataillons, aurait fait remarquer Bussy-Rabutin) soit pour l'idée qu'il y avait dans la société patriarcale et hiérarchique des Européens quelque chose qui leur était véritablement spécifique et qui était absent chez plusieurs des sociétés qu'ils ont écrasées. Or, si on opte pour le second cas de figure, on peut soutenir que le « bon sauvage » n'est pas un mythe. Il incarne des valeurs différentes (plus égalitaires, disons) qui n'ont pas permis aux sociétés dont il émanait de l'emporter, mais que des jugements a posteriori peuvent réhabiliter pour des raisons propres à des époques postérieures...

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Comments:
La seconde raison pour laquelle je n'écris rien, après la paresse, c'est que tu dis tôt fort bien ce que j'aurais dit plus tard.

J'ai vu ce film hier, j'ai beaucoup aimé l'expérience, mais j'ai trouvé le scénario un peu trop naïf et trop dans l'air du temps, avec les gentils Amérindiens, la Gaïa extraterrestre et tout ça.

Cela dit, c'est visuellement mémorable.
 
Comme il s'est écrit sur une liste juste à côté : c'est un scénario basique, avec les méchants d'un bord et les gentils de l'autre.. le héros a tout à gagner et rien à perdre en changeant de camp, bref... si on cherche l'originalité il faut voir ailleurs. Mais les images et le graphisme valent le détour. Pour cette raison je recommande de le voir sur grand écran et de ne pas attendre une diffusion TV qui sera forcément étriquée.
 
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