2009-10-14

 

L'humain prédateur de lui-même

Un fascinant billet d'Olivia Judson dans le New York Times souligne qu'on a bien tort d'avoir peur des grands fauves, du tigre, du loup ou de l'ours... Quand les humains ont à redouter quelque chose des autres membres du règne animal, ce sont d'abord les micro-organismes qui devraient nous effrayer au moins autant qu'un grizzly croisé au fond des bois. Chaque année, les virus et bactéries fauchent des millions de vies, alors que tous les grands fauves réunis ont du mal à inscrire à leur tableau de chasse plus que quelques milliers de victimes humaines.

Au fil des siècles et de la domestication de la nature, les humains ont eu tendance à se substituer aux prédateurs animaux. Assassinats, guerres, petits meurtres entre amis, sports violents : tous les moyens ont été bons pour permettre aux humains de ressentir à nouveau le frisson de peur de la proie sur laquelle la bête féroce se jette en pleine nuit pour lui broyer le cou, l'étouffer (si la victime est chanceuse), puis l'entraîner dans la forêt afin de la dévorer à loisir. Petit piment de la vie primitive qui donnait beaucoup de valeur au feu de camp, à la hutte bien close et à la compagnie des autres... Et puis, il y avait l'autre frisson, celui du prédateur, du tueur qui s'approprie une vie et qui jouit ensuite de se savoir en vie tandis que sa victime est morte.

Mais à la domestication de la nature a succédé celle de l'humain. Les guerres sont moins nombreuses, et souvent moins meurtrières. Les assassinats sont plus rares. Les jeux virtuels remplacent les jeux où il est possible de se blesser. Du coup, le prédateur, ce n'est plus l'autre humain, c'est nous-même. Selon les statistiques mondiales disponibles, les morts par suicide sont désormais plus nombreuses que les morts par homicide — par altercide ?

Autrement dit, le suicide serait aussi une prédation de la seule proie encore disponible pour l'être humain moderne : lui-même. Et ce meurtre commis à ses propres dépens présenterait l'avantage de fournir un double frisson : celui de ressentir à la fois les affres de la proie et la jouissance du prédateur qui maîtrise une situation extrême...

S'agit-il d'une simple analogie poussée trop loin ou contient-elle un élément de vérité? Le suicide est-il l'ultime prédation? Heureusement, il existe d'autres dérivatifs à une hypothétique pulsion prédatrice. Le scientifique traque la vérité dans son laboratoire ou son observatoire, voire en pleine nature. L'artiste traque un certain triomphe sur la matière. L'amoureux traque l'amoureuse, et vice-versa...

Mais si nos sociétés occidentales de plus en plus policées se détournent de l'investigation disciplinée du chercheur, de la création libérée de l'artiste et du jeu de la séduction des amants, que reste-t-il donc comme sensation forte? Est-ce un hasard si la fréquence des suicides monte en flèche dans les États parfois les mieux régulés et les moins violents — du moins en apparence?

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Comments:
Judicieuse réflexion. Cela renvoie à la philosophie des samouraïs qui s'appliquaient tout autant à se suicider qu'à combattre leurs ennemis... Et le Japon est, à moins que les choses aient récemment changées, un des pays moderne avec le plus haut taux de suicide.

Dans un autre registre : un jour ils seront sans doute interdits, mais en attendant, pour ressentir le frisson du chasseur et de la proie, il reste les sports de combat ;)
 
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